Nicolas Cadène : "La laïcité est plutôt bien respectée dans l'enseignement supérieur"

Isabelle Dautresme Publié le
Nicolas Cadène : "La laïcité est plutôt bien respectée dans l'enseignement supérieur"
Pour Nicolas Cadène, "la loi est suffisante dès lors qu'elle est correctement mise en œuvre". // ©  Observatoire de la laïcité
Les incidents liés à des atteintes à la laïcité sont peu nombreux dans l'enseignement supérieur, selon l'Observatoire de la laïcité qui pointe un décalage entre la réalité du terrain et le traitement médiatique. Nicolas Cadène, son rapporteur général, défend toujours une vision juridique de la laïcité. Et ne souhaite pas alimenter les polémiques avec Manuel Valls.

L'Observatoire de la laïcité a rencontré, pendant l'année 2015, la communauté universitaire pour faire remonter les éventuelles difficultés liées à la laïcité et à la gestion du fait religieux dans l'enseignement supérieur. Quels sont les principaux problèmes qui existent ?

Les problèmes qui nous ont été rapportés concernent principalement des demandes d'adaptation du calendrier des examens, essentiellement le samedi matin. Une vingtaine d'incidents liés à des contestations d'enseignements pour des raisons religieuses ont été recensés.

La question de la tenue vestimentaire s'est également posée, à peu près dans les mêmes proportions. Soit parce qu'elle n'était pas adaptée aux cours, essentiellement pour des raisons de sécurité, ou parce qu'elle ne permettait pas un contrôle anti-fraudes lors des examens (foulard sur la tête par exemple).

À cela s'ajoutent quelques cas d'enseignants qui n'ont pas respecté le principe de neutralité auquel est soumis tout agent de l'État. Nous avons également noté une vingtaine de cas de discriminations à l'égard d'étudiants. Il s'agit par exemple de professeurs qui ont refusé de faire cours à des jeunes filles voilées.

Au final, ce qui ressort de notre état des lieux, c'est que la laïcité est plutôt bien respectée dans l'enseignement supérieur, même si j'ai bien conscience que nous n'avons pas nécessairement eu connaissance de toutes les difficultés. Certaines ont en effet été réglées directement sur le terrain, par le recours au règlement intérieur ou par le dialogue. Dans ce cas, elles n'ont pas été relevées par la direction de l'établissement.

Un tel constat vous suprend-il ?

Lorsque nous avons décidé de faire cet état des lieux, il y a environ un an, nous nous attendions à un nombre beaucoup plus important d'incidents. Le traitement médiatique, notamment autour du voile, pouvait en effet laisser entendre que l'atteinte à la laïcité était fréquente dans l'enseignement supérieur.

Les auditions montrent que si des cas existent, ils sont peu nombreux et ne reflètent nullement la situation générale. Les personnes auditionnées parlent de "cas isolés", "marginaux" voire "sporadiques". Il y a clairement un décalage entre la réalité du terrain et le traitement de ces questions par les médias. Pour autant, bien que rares, les cas qui nous ont été rapportés sont sources de crispations.

Il y a clairement un décalage entre la réalité du terrain et le traitement de ces questions par les médias.

Comment expliquez-vous ces crispations ?

La religion est incontestablement plus visible qu'il y a encore une dizaine d'années. Mais la volonté d'afficher plus clairement ses convictions religieuses ne renvoie pas nécessairement à une remise en cause de la laïcité.

En revanche, ce qui est vrai, c'est que nous assistons à des replis identitaires et à des pressions communautaristes alimentés, pour certains, par un sentiment de relégation sociale. Ce repli, couplé à une plus grande visibilité religieuse, suscite des tensions. Surtout depuis les attentats de Charlie Hebdo qui ont touché la religion et la liberté.

L'université est connectée à la société, elle est donc traversée par les mêmes tensions. La question du voile en est l'illustration.

Pourquoi alors ne pas légiférer sur la question du port de signes religieux à l'université ?

Si le port de signes religieux posait des difficultés au bon fonctionnement de l'université, alors il faudrait légiférer. Mais, au regard de ce qui est ressorti des auditions, le voile n'est clairement pas un problème. En prenant position contre son interdiction, nous nous situons dans la droite ligne de la commission Stasi. Comme elle, nous pensons que "l'université doit rester un lieu de débats ouvert sur le monde", où s'exerce la liberté de pensée et de conscience.

En ce sens, la situation de l'université n'a rien à voir avec celle de l'école et du lycée. Les personnes qui y étudient sont majeures et libres de leurs choix. D'ailleurs, aucun acteur de terrain ne souhaite légiférer sur cette question, à l'exception d'un syndicat étudiant : l'UNI.

Être contre toute évolution de la législation ne signifie pas pour autant qu'il faut tout tolérer. Certaines limites ne peuvent être dépassées, comme de contester un cours pour des raisons religieuses. Mais la loi actuelle suffit pour résoudre les problèmes.

Comment la ministre de l'Éducation nationale, Najat Vallaud-Belkacem, a-t-elle reçu l'avis de l'Observatoire de la laïcité ?

Favorablement.

Notre approche n'est nullement accommodante, elle est celle du droit.

L'Observatoire fait l'objet de vives polémiques actuellement, certains vous reprochant une approche trop accommodante et ouverte de la laïcité. Lundi 18 janvier 2016, le Premier ministre, Manuel Valls, vous a même ouvertement critiqué. Que leur répondez-vous ?

Je ne souhaite pas alimenter la polémique. Notre approche n'est nullement accommodante, elle est celle du droit. Notre rôle est de veiller à ce qu'il soit appliqué avec fermeté mais discernement.

La loi est suffisante dès lors qu'elle est correctement mise en œuvre. C'est là-dessus qu'il faut être strict. Le problème, c'est que la loi est méconnue, d'où des polémiques totalement injustifiées.

Dans cet avis sur la laïcité et à la gestion du fait religieux dans l'enseignement supérieur, à chaque incident qui nous a été répété, nous avons apporté une réponse concrète en conformité avec la loi. Preuve que cette dernière est suffisante.

Isabelle Dautresme | Publié le