P. Gérard : "Nous voulons aller chercher des étudiants qui n'imaginent pas que l'ENA est faite pour eux"

Amélie Petitdemange Publié le
P. Gérard : "Nous voulons aller chercher des étudiants qui n'imaginent pas que l'ENA est faite pour eux"
Une nouvelle prépa égalité des chances va ouvrir pour diversifier encore plus les profils recrutés à l'ENA. // ©  Elodie Meynard
La scolarité et le concours de l'ENA sont modifiés depuis janvier 2021 afin de mieux préparer aux postes de la fonction publique. L'école ouvre par ailleurs une troisième prépa égalité des chances afin de diversifier son recrutement. Patrick Gérard, directeur de l'ENA, explique ces grands changements à venir.

A la rentrée 2021, de nouvelles prépas Talents verront le jour avec des places dédiées au concours, afin de diversifier les profils dans la fonction publique. Pouvez-vous nous en dire plus sur ces dispositifs concernant l'ENA ?

L'idée, c'est que la haute administration française ressemble davantage à la société, avec une plus grande diversité sociale et géographique parmi ceux qui ont des responsabilités importantes dans l'administration.

PATRICK GERARD DIRECTEUR DE L'ENA
PATRICK GERARD DIRECTEUR DE L'ENA © Photo fournie par le témoin

Nous mettons en place deux mesures, qui sont liées. La première mesure, c'est de créer des classes prépas pour les étudiants boursiers qui ont eu de bons résultats à l'université. Dans ces "classes prépas Talents", les élèves seront coachés par des anciens de l'école. Nous avions une classe prépa comme cela à Paris, pour l'ENA mais aussi pour les autres concours administratifs, avec 24 élèves. Nous en avions aussi créé une en 2019 à Strasbourg avec 12 élèves.

D'ici septembre 2021, nous allons doubler ces classes prépa avec l'INET (Institut national des études territoriales). Il y aura donc 24 places dans la prépa de Strasbourg. Nous créons par ailleurs une nouvelle classe prépa pour l'ENA et l'Inet à Nantes, en partenariat avec l'université de Nantes. Nous passons donc de 36 places en classe prépa à 72. Nous avons choisi Nantes car c'est une région où il n'y a ni Institut d'études politiques ni antenne de Sciences po Paris. Nous voulons aller chercher des étudiants qui n'imaginent pas que l'ENA est faite pour eux.

Nous créons une nouvelle classe prépa pour l'ENA et l'INET à Nantes, en partenariat avec l'université de Nantes.

La deuxième mesure, c'est qu'à partir du concours 2021 qui aura lieu fin août, nous ajoutons des places au concours étudiant. Il offre actuellement 40 places et nous passerons à 46. Ces six places supplémentaires seront réservées aux candidats venant des classes prépas. Ce n'est donc pas un concours au rabais mais le même concours. La liste des reçus sera d'ailleurs publiée sans distinguer les uns des autres.

La scolarité de l'ENA est modifiée depuis janvier 2021. Quels sont les objectifs de cette réforme ?

Nous avons constaté que la plupart de nos élèves avaient fait beaucoup d'études supérieures, un voire deux masters. Or la formation était encore très académique et universitaire à l'ENA. Nous avons voulu davantage tenir compte de ce que nous disaient les employeurs, c'est-à-dire les administrations, mais aussi les élèves et les membres du Conseil d'administration. L'idée, c'est de proposer une formation qui les prépare mieux à être administrateurs de l'Etat.

Les élèves qui ont passé le concours en 2020 sont entrés en janvier 2021 et voient leur scolarité modifiée. Les grands changements pour eux sont surtout en fin de cursus, pendant la deuxième année.

Quels sont les grands changements pour cette promotion 2021-2022 et les futurs élèves de l'ENA ?

Les élèves doivent acquérir des compétences, qui s'articulent essentiellement autour de trois axes. D’abord, concevoir, mettre en œuvre et évaluer les politiques publiques. Ensuite, piloter la transformation de l'action publique dans plusieurs secteurs. Ils doivent apprendre à faire en sorte que ces changements fonctionnent et faire attention aux impacts budgétaires, écologiques, sociaux… Et enfin, la dernière compétence concerne les missions essentielles de l'Etat : conseiller les autorités politiques, exercer la fonction de l'ordre, contrôler, inspecter, prévenir les crises...

Nous avons décidé de remplacer le stage dans une grande entreprise par un stage en PME dans le département où ils font leur stage en préfecture.

La scolarité est désormais organisée autour de ces trois axes et complétée par des socles techniques sur les relations humaines, le dialogue social, les compétences comportementales… Les élèves vont aussi avoir des coachs qui viennent de la haute fonction publique, ce qui n'était pas le cas avant.

Jusqu'à présent, il y avait trois stages : un en préfecture, un autre dans une grande entreprise, et le troisième à l'international. Nous avons décidé de remplacer le stage dans une grande entreprise par un stage en PME dans le département où ils font leur stage en préfecture. Dans leur poste futur, ils réfléchiront davantage aux conséquences de leurs décisions et propositions de réformes pour les PME.

Les épreuves de sortie vont aussi évoluer, à partir de 2022. Quelles sont les modifications prévues ?

Les élèves seront évalués en trois temps : connaître et comprendre, appliquer, analyser. A la fin de la scolarité, les épreuves ne seront plus des épreuves de droit, économie ou finances publiques, mais des épreuves qui vont porter sur ces compétences. Nous leur demanderons par exemple quelle réforme ils peuvent présenter à un ministre sur un sujet en particulier. Cela correspond davantage à des mises en situation collectives ou individuelles.

Les épreuves correspondront davantage à des mises en situation collectives ou individuelles.

Nous leur demanderons aussi de réfléchir à un sujet environnemental, sociétal, budgétaire… Ils devront ainsi faire des rapports où ils proposeront des solutions, et soutenir un rapport devant un jury.

Une des pistes était de supprimer ce classement. Quelles raisons ont penché pour son maintien ?

Il faut bien un critère pour que les élèves choisissent leur premier poste. Nous avons toujours pensé que le critère du mérite devait permettre d'avoir du choix à la sortie. Sinon, ce sont les administrations qui choisissent les élèves. Cela induit plus de copinage, de cooptation et de discrimination. Le classement a beaucoup d'inconvénients mais il permet à chaque élève de choisir son poste après l'école.

Amélie Petitdemange | Publié le