Facs de médecine et industrie pharmaceutique : les liaisons dangereuses

Aurore Abdoul-Maninroudine Publié le
Facs de médecine et industrie pharmaceutique : les liaisons dangereuses
Sur un maximum possible de 26 points, la faculté Lyon-Est arrive en tête avec 5 points du premier classement des facultés de médecine françaises sur les conflits d'intérêts avec les laboratoires. // ©  Jean Claude MOSCHETTI/REA
Le premier classement des facultés de médecine françaises en matière d'indépendance par rapport à l'industrie pharmaceutique a été publié lundi 9 janvier 2017. Ses auteurs, Paul Scheffer, doctorant en sciences de l'éducation à Paris 8, et Jean-Sébastien Borde, néphrologue et fondateur du site Formindep, expliquent à EducPros leur projet et les difficultés rencontrées.

Vous avez publié, lundi 9 janvier 2017, le premier classement des facultés de médecine françaises en matière d'indépendance par rapport à l'industrie pharmaceutique sur les sites Formindep(1) et The Conversation. Quels enseignements en tirez-vous ? 

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Paul Scheffer : Les résultats témoignent d'une très faible prise de conscience par les doyens de médecine des enjeux autour des conflits d'intérêt. Seules 9 facultés de médecine sur 37 ont pris des initiatives pour se prémunir des conflits d'intérêt avec l'industrie pharmaceutique.

In fine, sur un maximum possible de 26 points, la faculté Lyon-Est arrive en tête avec 5 points. Celle d'Angers obtient 4 points, puis suivent sept établissements ex aequo avec 1 point : Aix-Marseille, Lyon-Sud, Paris-Descartes, Paris-Diderot, Rennes 1, Strasbourg et Toulouse.

Comment se caractérise cette "absence de prise de conscience" ?

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Jean-Sébastien Borde : Les doyens n'ont pas établi de doctrine officielle pour réguler les relations avec l'industrie pharmaceutique alors que leurs étudiants sont régulièrement en contact avec les laboratoires, en particulier lors des stages à l'hôpital. C'est pourtant de leur responsabilité de se soucier du devenir de ces jeunes en formation, même hors de la faculté. 

Paul Scheffer : Autre exemple, certaines facultés sont financées par l'industrie pharmaceutique via la taxe d'apprentissage, mais nous n'avons pas réussi à en obtenir les montants. À l'inverse, l'UFR de médecine Lyon-Est refuse tout financement de ce type.

Les publicités des laboratoires sont également fréquentes dans les manuels. Nous regrettons que la DCI (Dénomination commune internationale) d'une substance active pharmacologique soit encore peu utilisée. Trop souvent, les noms commerciaux des molécules sont présents dans les manuels et cités pendant les cours.

Autre constat, selon les remontées des étudiants, les professeurs ne déclarent pas systématiquement leurs éventuels liens avec l'industrie pharmaceutique. Or, selon l'article 115 de la loi de modernisation du système de santé, ils sont "tenus de les faire connaître au public" lorsqu'ils s'expriment lors d'un enseignement universitaire.

Jean-Sébastien Borde : Si la transparence des PU-PH (professeur universitaire-practicien hospitalier) est nécessaire, elle n'est de toute façon pas suffisante. Déclarer des liens avec l'industrie pharmaceutique, c'est bien. Ce serait encore mieux si les enseignants n'en avaient pas.

Comment vous y êtes-vous pris pour obtenir les informations utilisées pour votre classement ?

Paul Scheffer : Nous avons d'abord recherché sur les sites Internet de chaque faculté si celles-ci avaient mis en place des politiques publiques ou des chartes de bonne conduite en rapport avec les conflits d'intérêt, en vain...

Nous avons ensuite écrit à tous les doyens. Seuls trois d'entre eux nous ont répondu : ceux de Lyon-Est, d'Angers et de Toulouse, ce dernier pour nous faire savoir que nous n'avions pas la légitimité nécessaire pour mener à bien cette étude.

Malgré tout, via les sites Internet, nous avons pu recenser un certain nombre de formations visant à sensibiliser les étudiants à ces questions : une dizaine pour 2015.

Le plus important est d'enclencher une réflexion : bien souvent, les enseignants sont convaincus que leurs contrats avec les laboratoires n'ont pas d'influence sur leur enseignement.

Quelles recommandations feriez-vous aux facultés afin de mieux réguler leurs relations avec l'industrie pharmaceutique ?

Jean-Sébastien Borde : La première chose à faire est d'élaborer une charte expliquant comment la faculté a l'intention de gérer les conflits d'intérêt. Le plus important est d'enclencher une réflexion car, bien souvent, les enseignants sont convaincus que leurs contrats avec les laboratoires n'ont pas d'influence sur leur enseignement.

Prenons l'exemple des médicaments contre Alzheimer : ils ont été recommandés dans la plupart des cours de médecine de France, alors qu'aujourd'hui, ils ne sont plus remboursés et que leur efficacité est fortement contestée. Les résultats des études sur ces médicaments n'ont pourtant pas changé.

Dans un second temps, des mesures encadrant strictement les relations avec les laboratoires pourraient être prises : dans certaines facultés américaines, les enseignants ont l'interdiction d'être parallèlement consultants pour l'industrie pharmaceutique.

Paul Scheffer: Les facultés pourraient tout simplement s'inspirer du curriculum sur les conflits d'intérêts rédigé par l'association américaine des étudiants en médecine (AMSA) : c'est le PharmFree curriculum.

(1) Formindep est une association de citoyens créée il y a onze ans et composée majoritairement de médecins généralistes. Elle se bat contre les différents conflits d'intérêt en médecine.

Un classement qui s'inspire d'une initiative américaine
Le classement des facs de médecine les plus indépendantes vis-à-vis de l'industrie pharmaceutique s'inspire de celui créé en 2007 par l'AMSA. Fondée sur 13 critères recensant les différents moyens d'intervention des laboratoires dans les facultés, cette première édition avait mis en lumière la très faible prise en compte de ces enjeux par les facultés américaines. Dix ans plus tard, les deux tiers de ces établissements avaient mis en place des politiques et chartes veillant à réguler leurs relations avec les laboratoires.
Aurore Abdoul-Maninroudine | Publié le