Pascal Carcaillon, délégué général du groupe Ducretet : « Le métier de formateur est le plus beau de tous ceux que j’ai exercés »

Propos recueillis par Céline Manceau Publié le
Pascal Carcaillon, délégué général du groupe Ducretet : « Le métier de formateur est le plus beau de tous ceux que j’ai exercés »
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C’était en 1992... Pascal Carcaillon, alors responsable de la formation continue chez Thomson, prenait la tête du CFA Ducretet, créé par les industriels du multimédia, pour former un vivier de vendeurs et de techniciens de maintenance. À 34 ans, il remettait en jeu sa carrière pour étrenner, auprès de 35 apprentis, ses convictions sur la pédagogie intuitive et l’alternance. Aujourd’hui délégué général du groupe Ducretet, Pascal Carcaillon assure un avenir professionnel dans la vente et le service à quelque 500 jeunes par an. Il se souvient de ses débuts et raconte la montée en puissance du CFA, qui vise les 800 apprentis pour 2012. Nouveau volet de notre série « Les entrepreneurs pédagogiques ».

Vous avez débuté comme technicien de maintenance. Imaginiez-vous devenir directeur d’un établissement d’enseignement supérieur ?

Au départ, je devais participer à un groupe de travail constitué pour améliorer le dispositif de formation initiale. Nous étions au début des années 1990. Avec l’arrivée massive du numérique, les produits devenaient de plus en plus sophistiqués et les industriels avaient constaté un décalage de compétences chez les vendeurs et les techniciens après-vente. J’aurais pu rester confortablement chez Thomson, mais j’ai découvert un domaine que je ne connaissais pas, la formation initiale, et un nouveau secteur, le commerce. J’ai eu envie de relever le défi pour toute la profession. Et c’est comme ça que j’ai quitté mon poste de responsable d’un service de 13 personnes pour tout recommencer, avec une assistante. Aujourd’hui, le CFA compte 34 permanents.

Vous n’avez pas eu le sentiment de vous substituer à l’Éducation nationale ?

On ne peut pas demander à l’Éducation nationale de répondre à toutes les spécificités du monde du travail. C’est aux professionnels de prendre leurs responsabilités en créant des formations aux métiers qui permettent, d’une part, d’être immédiatement employable et, d’autre part, de pouvoir évoluer. D’emblée, nous avons voulu travailler en complémentarité avec l’Éducation nationale qui proposait déjà un BEP et un bac pro pour les techniciens et aucune formation spécifique pour les vendeurs détenteurs d’un bac généraliste. Nous avons donc mis en place pour ces bacheliers deux titres homologués reposant sur trois axes : l’acquisition d’une compétence métier, la maîtrise de la relation avec la clientèle, et la découverte de la culture d’entreprise.

Vous n’avez pas souhaité élaborer des diplômes nationaux ?

Les titres homologués ont un avantage énorme par rapport aux diplômes de l’Éducation nationale. Ils permettent une très grande réactivité. Les constructeurs de matériel multimédia changent leur gamme tous les six mois et aucun diplôme ne peut suivre les caractéristiques de notre secteur très innovant. Nous révisons nos titres tous les ans et les changeons en profondeur tous les deux à trois ans. Et puis, un titre est très professionnel, ce qui nous convient car nous estimons que les matières générales n’ont plus besoin d’être enseignées, elles ont été vues jusqu’au bac.

C’est vous qui avez conçu la pédagogie ?

J’étais responsable de l’animation pédagogique dans le groupe de travail. Le métier de formateur est le plus beau de tous ceux que j’ai exercés. C’est un métier fabuleux qui consiste à démystifier et vulgariser des choses complexes pour les rendre limpides et simples. Je suis adepte de la pédagogie intuitive qui consiste à partir du vécu et de l’objet pour arriver à la théorie. Nos jeunes ont une efficience intellectuelle pratique. Il faut leur donner du sens. Plus on travaille par analogie, plus on développe l’appétence à apprendre. J’en suis l’illustration puisque je suis un pur produit de la formation continue. J’ai arrêté mes études en terminale pour débuter comme technicien de maintenance. Et ce sont tous les cycles de formation continue que j’ai suivis qui m’ont construit. À l’ESSEC, j’ai appris le management et le marketing, grâce à des exercices pratiques que j’ai pu appliquer immédiatement en tant que directeur du CFA. C’était génial d’acquérir ainsi des outils et des méthodes.

Le choix de l’alternance s’est-il également imposé comme une évidence ?

Oui, nous proposons même une double alternance. Une alternance dans le CFA avec des équipements à manipuler dans les salles de cours, des magasins fictifs pour les futurs vendeurs et une maison numérique pour simuler la visite d’un technicien chez un particulier. Et une alternance, bien sûr, dans l’entreprise. Comme un sportif qui commence par s’entraîner, par apprendre des techniques, nos apprentis viennent en cours. Puis, ce sportif va jouer sur le terrain comme nos apprentis dans l’entreprise. Et quand il revient en entraînement, il va alors partir de son vécu pour s’améliorer. C’est ainsi que se fait la montée en compétences. J’ajoute qu’aucune entreprise du secteur ne prenait d’apprentis avant la naissance du CFA. Il a fallu convaincre les patrons. Mais nous fonctionnons à 180 degrés du Code du travail, puisque c’est le CFA (et non les entreprises elles-mêmes) qui analyse les besoins du marché. Si bien que, lorsque nos apprentis viennent en formation, nous avons déjà les emplois.

Êtes-vous financé par l’État ?

La formation est totalement gratuite, c’est-à-dire qu’elle n’est financée ni par les jeunes, ni par les entreprises. Ces dernières nous reversent simplement la taxe d’apprentissage qui correspond à environ 85 %de notre budget. Et elles rémunèrent, bien sûr, les apprentis. Les 15 %restants proviennent de subventions régionales. Mais cette part va devoir grimper pour répondre à notre développement quantitatif car la masse salariale des entreprises n’est pas extensible.

Quelles sont vos préoccupations aujourd’hui ?

Nos résultats sont excellents, avec une insertion professionnelle de 92 % en moyenne, et de forts potentiels d’évolution à trois ou cinq ans : 30 % de nos anciens apprentis sont aujourd’hui managers. Nous avons donc atteint notre objectif de former un vivier de qualité pour enrichir la profession . Mais je déplore le déficit d’information et d’orientation des jeunes. Qui leur parle des titres homologués ? Personne. Dans les lycées, on les dissuade même d’aller en apprentissage. Il n’existe pas de lieu où l’on présente la réalité de la formation professionnelle et de ses débouchés, alors que l’on garantit l’emploi aux jeunes ! Ceux issus des bacs pro sont mieux alertés, mais ceux issus d’un bac général arrivent chez nous par hasard. Or, lors de notre dernière rentrée, sur 1250 candidats, 795 ont réussi les écrits, les tests psychotechniques et les entretiens, mais seuls 456 ont franchi l’étape finale : la sélection par l’entreprise. Autrement dit, 339 places en apprentissage sont restées non pourvues. C’est notre talon d’Achille, on ne trouve pas assez de bons candidats, car nos titres ne sont pas valorisés, ni connus. Ils ne s’appellent pas diplômes et nous n’avons pas le droit de dire que nous donnons un bac+1.

Depuis 2009, votre CFA est passé à la vitesse supérieure avec la préparation de nouveaux diplômes, dont un BTS. Pourquoi une telle montée en puissance ?

Nous avons décidé d’adhérer à l’objectif gouvernemental d’atteindre les 3 %de jeunes en alternance dans les entreprises de plus de 250 salariés. Décliné au sein du groupe Ducretet, cet objectif se concrétise par une augmentation du nombre d’apprentis pour atteindre les 800 en 2012. Nous sommes installés à Clichy et Lyon (depuis 2001), mais nous avons des accords avec de nombreux lycées et CFA dans toute la France pour proposer nos titres. Nous en avons d’ailleurs créé un nouveau, en 2009, le titre de conseiller services en électrodomestique et multimédia (CSEM). C’est un métier émergent dont les embauches vont s’accélérer pour atteindre les 200 par an en 2012. En outre, pour la première fois, nous allons former des jeunes pour les industriels (et non plus uniquement pour les distributeurs), avec l’ouverture, en septembre 2010, d’un BTS NRC et d’une licence professionnelle.

Le groupe Ducretet en quelques dates

Rentrée 1992 : naissance du CFA et création de deux titres homologués, le TSEGP (technicien services en électronique grand public, qui sera rebaptisé, à la rentrée 2010, technicien services multimédia) et le VEM (vendeur de l’électrodomestique et du multimédia).
Rentrée 2001 : création du  titre de TSED (technicien services en électrodomestique).
Rentrée 2009 : création du titre de CSEM (conseiller services en électrodomestique et multimédia), ouverture d’une classe de BTS MUC.
Rentrée 2010 : ouverture d’un BTS NRC et d’une licence professionnelle.

Propos recueillis par Céline Manceau | Publié le