Paul Robert : "La Finlande est le pays où l’équité en matière d'éducation est la plus forte"

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Pas un colloque sur les systèmes éducatifs en Europe sans que la Finlande ne soit citée en modèle. Peut-on importer le modèle finlandais et ses méthodes d’enseignement pour réformer le lycée en France ? A l'occasion de la réédition de son ouvrage sur le système éducatif finlandais, Paul Robert (1) analyse les avantages du modèle finlandais qu’il a pu observer lors de deux voyages d’étude.

Pourquoi présenter le système finlandais comme un modèle ?
Paul Robert (PR). La déstructuration de la société commence à affecter la Finlande comme les autres pays occidentaux et il y a donc, sans aucun doute, quelques ombres au tableau. Malgré tout, c’est vrai, le système éducatif finlandais a quelque chose d’idéal. Il suffit, pour s’en convaincre, de consulter les résultats du PISA (Programme international pour le suivi des acquis des élèves), conçu par des experts de l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques), et qui sert à mesurer, tous les trois ans, les performances des systèmes éducatifs des pays membres. Pour les trois domaines évalués (la compréhension de l’écrit, les mathématiques et les sciences), la Finlande arrive en première position, tant en 2003 qu’en 2006, et cela, alors même que le nombre de pays participants est de plus en plus élevé. Dans le même temps, les résultats de la France ne cessent de baisser. Alors que notre pays se classait, en 2000, tout juste au-dessus de la moyenne des pays de l’OCDE, notamment en lecture, il était, en 2006, légèrement en dessous dans les trois domaines évalués.

Cette position de leader ne cache-t-elle pas de grandes disparités entre élèves ?
PR. C’est tout l’inverse ! La Finlande est le pays où l’équité en matière éducative est la plus forte. D’abord, il y a davantage de bons élèves qu’ailleurs, puisque plus de 50 % des jeunes Finlandais atteignent le niveau 4, dans tous les domaines, contre à peine un tiers dans la moyenne des pays de l’OCDE. Quant à ceux qui sont en très grande difficulté, situés en dessous du niveau 1, ils sont à peine 1 %, contre presque 10 % dans les autres pays de l’OCDE. Enfin, c’est l’autre particularité, en Finlande, la différence de score entre les deux extrêmes, les meilleurs et les moins bons, est beaucoup plus réduite que partout ailleurs. Je pourrais ajouter que la disparité de résultats entre établissements est la plus faible de tous les pays de l’OCDE, mais aussi que l’impact de l’origine socio-économique des parents sur la réussite scolaire des enfants est beaucoup moins prédominant qu’ailleurs.

Quelles sont les clefs du succès de l’éducation finlandaise ?
PR. En premier lieu, les élèves, en Finlande, apprennent sans stress. Tout est fait pour qu’ils se sentent, à l’école, comme chez eux. L’ambiance est détendue, chaleureuse. L’autorité est souple. Il est normal, par exemple, de tutoyer le professeur, voire de lui faire la bise en partant ! On observe, d’une manière générale, une grande souplesse par rapport aux règles de vie, et personne n’est choqué de la grande décontraction des élèves, y compris vestimentaire. Du coup, ils peuvent être eux-mêmes et chacun se montre très respectueux de l’autre. Quant aux rythmes scolaires, ils ne sont pas étrangers à cette sérénité. Le cours ne dure que quarante-cinq minutes, à chaque fois suivi d’une pause de quinze minutes, et cela jusqu’à la fin des études secondaires. Enfin, les élèves ne sont pas évalués du tout de la même manière qu’en France. Jusqu’à l’âge de 12 ans, ils ne reçoivent aucune note, seulement des appréciations envoyées deux fois par an aux parents. Car ce qui compte, avant tout, c’est de mesurer les progrès des élèves, ce que la note ne fait pas comme on l’a très souvent démontré. De surcroît, pas de risque de redoublement puisqu’il est quasiment inexistant !

Leur pédagogie est-elle à la pointe ?
PR. On trouve encore des classes avec une disposition traditionnelle, c’est-à-dire des élèves faisant face au professeur qui dispense un cours magistral. En Finlande, toutefois, les jeunes sont beaucoup plus souvent en activité qu’en France. Ils travaillent fréquemment seuls ou en groupe, avec, dans la salle de classe, généralement spacieuse, tout un matériel à disposition (livres, ordinateurs, vidéoprojecteur, téléviseur, lecteur de DVD). Résultat : les situations d’apprentissage deviennent plus stimulantes pour les élèves, qui se sentent davantage responsabilisés. L’autre gain, pour eux, c’est qu’il leur reste peu de travail à faire à la maison. Ainsi, parmi tous les adolescents de 15 ans des pays de l’OCDE, les jeunes Finlandais sont ceux dont la charge de travail en dehors de l’école est la plus légère.

Quid des élèves en difficulté ?
PR. En Finlande, la difficulté est traitée à la racine. On n’attend pas pour agir que l’enfant ait accumulé des échecs, comme on le fait trop souvent en France. Le repérage des troubles de l’apprentissage et des handicaps divers a lieu dès le jardin d’enfants et, pour ceux qui n’y vont pas, lors de visites médicales. Cela permet de mettre en place très tôt des dispositifs de remédiation. Par exemple, au niveau de l’école fondamentale – l’équivalent de notre primaire et de notre collège –, des assistants d’éducation peuvent être aux côtés du professeur, dans la classe, pour apporter aux enfants en difficulté l’aide dont ils ont besoin. Il y a également, dans chaque établissement, des professeurs spécialisés, à raison de un pour cent élèves. Eux aussi peuvent intervenir dans la classe ou, si nécessaire, en dehors, mais, dans ce dernier cas, sans jamais imposer à l’enfant des heures supplémentaires.

Qu’est-ce qui coince en France ?
PR. Sans chercher à « finlandiser » la France, on pourrait sûrement acclimater certains aspects d’un système qui ne cesse de faire ses preuves. Qu’on ne se leurre pas, toutefois. Ce n’est pas en saupoudrant, de-ci de-là, telle ou telle recette, ou en changeant les programmes du primaire, du collège ou du lycée qu’on pourra faire avancer les choses. Rien ne bougera, dans notre pays, tant qu’on n’aura pas modifié radicalement la formation des enseignants et tant que ces derniers continueront à transmettre des savoirs de façon abstraite, faute d’avoir acquis les outils suffisants leur permettant de s’adresser de manière efficace à tous les élèves, quel que soit leur profil. En Finlande, près de la moitié de la formation d’un enseignant est consacrée à la pédagogie, et les stages commencent dès la première année de leurs études. Nous sommes loin du compte en France, où l’on considère que la maîtrise d’un contenu disciplinaire est une qualification suffisante pour s’engager dans ce métier même si le nouveau schéma de la formation inclut des stages de sensibilisation en master 1 et 2. Enfin, en Finlande, le professeur n’est pas que professeur. Il est aussi surveillant, parfois « assistant social » ; il n’hésite pas à se rendre au domicile de ses élèves. Il n’y a pas, comme chez nous, ce cloisonnement étanche entre la sacro-sainte délivrance du savoir et le reste.

Dans votre collège, vous inspirez-vous des méthodes finlandaises ?
PR. Je viens de prendre la direction d’un nouveau collège où je suis pour l’instant en phase d’observation. Dans mon précédent collège, j’avais réussi à progresser dans le sens de l’individualisation de la prise en charge.  J’avais aussi mené, avec des professeurs volontaires, une expérience de prise en charge, par modules, d’élèves en difficulté afin de leur éviter le redoublement. Mais je me suis heurté sur ce point à une violente opposition de la part de toute une partie du corps enseignant qui m’a conduit à abandonner un dispositif qui était pourtant porteur pour les élèves. En fait, pour pouvoir vraiment agir, il faudrait qu’à l’instar de certains établissements expérimentaux, le chef d’établissement puisse constituer lui-même son équipe. Cela n’est pas possible, en France, dans l’enseignement public. Contrairement à la Finlande !

(1) Paul Robert, agrégé de lettres classiques et principal d’un collège public dans le Gard, a publié La Finlande : un modèle éducatif pour la France ? Les secrets de la réussite, 2de édition, ESF Éditeur, 2009, 22 €.

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