Philippe Jeammet (créateur d’un DU sur les adolescents difficiles) : « Nous avons créé ce diplôme avec des représentants de la Justice, de la Santé, de l’Éducation nationale, des services sociaux, de la police et de la gendarmerie »

Propos recueillis par Isabelle Maradan Publié le
Philippe Jeammet (créateur d’un DU sur les adolescents difficiles) : « Nous avons créé ce diplôme avec des représentants de la Justice, de la Santé, de l’Éducation nationale, des services sociaux, de la police et de la gendarmerie »
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Aujourd’hui professeur à Paris-Descartes, le psychiatre et psychanalyste Philippe Jeammet est à l’origine de la création du DU (diplôme d’université) « Adolescents difficiles, approche psychopathologique et éducative » de l’UPMC. Ce spécialiste de l’enfant et de l’adolescent revient sur le montage de cette formation interprofessionnelle destinée à renforcer la cohérence éducative des adultes. Nouveau volet de notre série « Les entrepreneurs pédagogiques ».

Comment l’idée de créer un DU interprofessionnel est-elle née ?

Je constatais la disqualification réciproque des professionnels au contact des adolescents. Or, l’incohérence des adultes est un vrai problème, comme lorsqu’on disqualifie un partenaire dans un couple. Il faut que les adultes soient plus cohérents et arrêter de penser que c’est parce que l’autre n’est pas comme nous que tout va mal ! La collaboration est essentielle pour tenir notre rôle éducatif. Et l’être humain que nous sommes doit être en accord avec l’expert sur le sens de ce qu’il fait en revenant à des choses basiques, comme la qualité du lien, le fait de donner envie de s’ouvrir, d’apprendre, sans trop de stress, dans une confiance qui permet de voir le verre à moitié plein, parce que l’éducation est le meilleur moyen de prévention des troubles. Pour retourner un peu la formule, je dirai que les adultes sont l’avenir des enfants. J’étais dans cette réflexion lorsque j’ai participé à un colloque santé-justice pour parler de l’intrication des problèmes psychologiques, psychiatriques et de justice des jeunes. Nous avions déjà l’idée de travailler ensemble autour de ces questions. Nous avons très rapidement mis en place un comité de pilotage composé de représentants de la Justice, de la Santé, de l’Éducation nationale, des services sociaux, de la police et de la gendarmerie, afin de monter cette formation à Paris 6 où j’enseignais alors.

À qui s’adresse cette formation ?

Aux professionnels de tous les secteurs que je viens d’évoquer, à différents niveaux : juge, éducateur de rue, principal de collège, proviseur de lycée, infirmière scolaire, assistante sociale, etc. Nous avons formé entre 95 et 120 participants chaque année. Un tiers d’entre eux sont des professionnels de la justice, plutôt de la PJJ (Protection judiciaire de la jeunesse), rarement des magistrats, qui peuvent plus difficilement se libérer deux jours par mois. Un autre tiers est issu de l’Éducation nationale : directeur de SEGPA (sections d'enseignement général et professionnel adapté), principal ou proviseur, CPE (conseiller principal d’éducation), infirmière scolaire, assistante sociale ou enseignant. Le tiers restant travaille dans le secteur médico-social, la police et la gendarmerie. Depuis six ans, la formation s’inscrit dans les plans académiques de formation continue des chefs d’établissement, enseignants, infirmières scolaires, médecins scolaires, assistantes sociales, pour les académies de Paris, Créteil et Versailles. Et également dans les plans de formation continue des professionnels de la PJJ, des magistrats, des personnels de l’administration pénitentiaire, de la police, de la gendarmerie et des personnels des établissements médico-sociaux. Chacun a son identité professionnelle bien spécifiée, mais ces acteurs sont complémentaires. Pendant la formation, nous constituons des petits groupes de quinze participants composés de représentants de chacune des professions. Du coup, ils apprennent à se connaître durant les neuf sessions de deux jours.

Pourquoi avoir créé une formation et pas simplement un groupe de parole entre professionnels de divers horizons ?

Le groupe de pairs s’est avéré effectivement essentiel. Les personnes qui suivent la formation disent qu’elles ont appris à avoir moins peur des autres. C’est un leitmotiv. Ces acteurs ressentent souvent un sentiment de solitude, sous-estiment leur importance et peuvent se sentir assez impuissants. Pendant cette période de formation, les différents participants retrouvent, ensemble, le sens de leur action. Mais il était important de dépasser le groupe de parole. Cette formation poursuit des objectifs précis, propose un bagage théorique nécessaire à la compréhension des adolescents, avec le souci de valoriser la transmission et de renforcer le rôle de chacun. Nous voulions lui donner un caractère officiel et j’ai demandé l’ouverture d’un diplôme universitaire.

Quelles difficultés avez-vous rencontrées pour mettre cette formation sur pied ?

L’idée de pluridisciplinarité a très vite séduit et, du côté de l’université, j’avais une légitimité certaine, étant chef de clinique depuis 1969 et professeur depuis 1976. Et, au fond, tout a été assez vite parce que la PJJ a mis les moyens en déléguant notamment une cheville ouvrière, Dominique Brossier (cf. encadré), pour porter le projet et réunir les intervenants. Il n’y a pas eu de convention pédagogique, mais des conventions financières, avec les institutions puisque chacune d’entre elles est présente au comité de pilotage. Les policiers passent, par exemple, une convention avec l’université pour tant de policiers formés. Du coup, cela a pris un peu moins de deux ans de l’idée à la mise en place du DU. La difficulté principale tenait à la prise en compte de la diversité du public accueilli, à la fois issu de milieux professionnels différents et ayant des niveaux de formation très variés. Un adjudant ou un juge, par exemple, n’ont pas le même rapport à l’écriture et à l’expression. Il a fallu le prendre en compte pour le mémoire notamment et pour l’animation des temps d’échanges.

La formation s’apprête à faire sa neuvième rentrée. Comment a-t-elle évolué depuis la première session ?

L’équipe de formateurs tourne un peu, mais il y a une grande continuité avec un fonds constant entre l’épidémiologie, la sémiologie, la psychologie, la psychiatrie, des interventions de philosophes ou de sociologues. Nous renouvelons aussi les expériences présentées qui touchent tous les corps de métiers et tous les domaines représentés. Quant au comité de pilotage, il reste stable et se réunit une fois par mois, avec quelques changements en fonction des promotions, des mutations, des départs à la retraite… Ce DU dispose d’un temps plein pour la coordination du comité de pilotage et la responsabilité pédagogique, payé au tiers par la PJJ et aux deux tiers par l’université sur le budget du DU. Un budget plutôt important puisqu’il dépend du nombre de personnes accueillies en formation.

Votre idée a-t-elle fait des émules ?

Il y a maintenant six formations de ce type en province, qui ont entre trois et six ans d’existence. À Marseille, avec le professeur Rufo, à Lille (professeur Delion), à Lyon (professeurs Georgieff, Elchardus et maître de conférences Potier), en Bretagne-Pays de Loire où trois universités sont associées : Rennes (professeur Tordjman), Brest (professeur Lazartique) et Nantes (professeur Venisse). La formation de Toulouse a marqué une pause après cinq ans de fonctionnement et va repartir avec le professeur Raynaud. Et celle que Daniel Marcelli porte à Poitiers-Limoges devrait rouvrir à la rentrée avec Bordeaux en plus. Nous nous réunissons une fois par an pour assurer la continuité et la cohérence entre ces différentes formations.

Les ateliers d’analyse de situations innovent en associant plusieurs professions

Dominique Brossier, chargée de mission pour la PJJ et responsable de la formation imaginée par Philippe Jeammet, détaille la principale innovation de cette formation interministérielle : la mise en place des ateliers d’analyse de situations et de pratiques, coanimés par des psys et des spécialistes du volet éducatif.


« Professeur à Paris 6, Philippe Jeammet avait déjà monté des DU de psychiatrie, par exemple, où les cours sont dispensés par de brillants universitaires en amphi. La PJJ est plus habituée aux formations interministérielles. Nous devions donc trouver un cadre différent pour notre public, composé de professionnels à la rencontre des ados compliqués. Sur les deux jours par mois de formation, nous avons donc décidé de consacrer une demi-journée à un atelier d’analyse de situations et de pratiques, en plus des conférences ou tables rondes. Nous constituons chaque année des groupes fixes qui se réunissent dans ces ateliers pour l’année, en veillant à ce que les différentes professions soient représentées. Et ces ateliers sont coanimés par un duo regroupant un psychologue ou psychiatre et un professionnel de l’éducatif ou de la formation (directeurs PJJ, enseignants-formateurs...). Les psys n’étaient pas forcément très partants pour ce partage de l’animation, mais cela a bien fonctionné et, aujourd’hui, aucun d’entre eux ne le remet en cause. C’est une très belle innovation. »

Propos recueillis par Isabelle Maradan | Publié le