Philippe Tournier : “Le lycée n'est pas organisé pour garantir la réussite des élèves dans le supérieur"

Isabelle Dautresme Publié le
Philippe Tournier : “Le lycée n'est pas organisé pour garantir la réussite des élèves dans le supérieur"
Pour Philippe Tournier, la nature même du baccalauréat reste à redéfinir. // ©  Fred MARVAUX/REA
Limiter l’échec dans le premier cycle de l’enseignement suppose de repenser complètement l’articulation lycées-universités, selon Philippe Tournier, secrétaire général du SNPDEN-Unsa, syndicat majoritaire des chefs d’établissement. Il s'oppose fermement à la création d'une filière réservée aux bacs pro.

Philippe Tournier- secrétaire général du SNPDENDans un baromètre publié par l'Étudiant en septembre 2015, il apparaît qu'en matière d'éducation, les lycéens font davantage confiance à leurs parents et amis qu'à leurs professeurs. N'est-ce pas le rôle du lycée d'aider les jeunes à s'orienter ?

Il est probable que si vous aviez posé cette question il y a trente ans, la réponse aurait été encore plus tranchée. Dans les lycées, les esprits ont longtemps été focalisés sur le seul bac. Avec le portail Admission postbac (APB), la question de l'orientation s'est progressivement imposée dans le secondaire.

Aujourd'hui, le problème n'est pas tant celui de l'accès à l'information — il se fait de plus en plus tôt, souvent dès la seconde – que du traitement de celle-ci. En la matière, les enseignants, ne sont pas les mieux placés pour aider leurs élèves. Leur connaissance de l'enseignement supérieur remonte le plus souvent à leurs propres études, ou encore à celles de leurs enfants. Difficile de le leur reprocher, puisqu'ils n'ont pas été formés à ces questions.

Certains reprochent à APB son manque de transparence. Êtes-vous de cet avis ?

Les ennemis d'APB sont nombreux car il oblige les établissements à respecter des règles communes et à jouer la carte de la transparence. Si certains jeunes se retrouvent sans affectation, c'est parce qu'ils n'ont pas écouté les conseils et émis des vœux non sélectifs ou à capacité non limitée.

APB est un bon outil, certes complexe et améliorable, mais qui fonctionne bien. Qui voudrait revenir à l'époque ou il fallait passer la nuit devant les universités pour avoir quelque chance de s'y inscrire ?

Selon un rapport de la Cour des comptes sur le coût du lycée, de septembre 2015, "le bac reflète imparfaitement le niveau des élèves et ne joue plus de rôle essentiel dans [leur] orientation"...

Il faut savoir ce que l'on attend vraiment du bac. Quelle est sa nature ? À quoi sert-il ? S'il est une certification de fin d'études secondaires, alors il est normal que son taux de réussite approche les 100%.

S'il est également le premier grade de l'enseignement supérieur, se pose alors la question de la régulation à l'entrée de ce dernier. Aujourd'hui, force est de constater que cette régulation est assurée par les filières sélectives ou par l'échec au cours des premières années de cursus. Ce qui n'est satisfaisant pour personne.

À aucun moment, les programmes et les enseignements du lycée n'ont été pensés dans la perspective d'une poursuite d'études.

La Stranes préconise la mise en place de "conseils d'orientation" pour les bacheliers pro et techno. Que pensez-vous de cette proposition ?

Ce n'est pas une bonne idée. Tant que le bac est le premier grade de l'enseignement supérieur, limiter l'accès à l'université aux bacheliers professionnels et technologiques c'est leur signifier que leur bac n'en est pas vraiment un.

Si c'est ce que pense le pouvoir public, dans ce cas il faut qu'il assume et qu'il cesse de faire miroiter aux élèves qu'ils peuvent poursuivre des études supérieures comme tous les autres bacheliers. Il doit prendre ses responsabilités et trancher. Ce qu'il ne fait pas !

Êtes-vous favorable à la création d'une nouvelle filière réservée aux bacheliers pro dans l'enseignement supérieur ?

Nous y sommes clairement opposés. Il faut revoir l'accueil des bacheliers pro dans l'enseignement supérieur. Mais créer une nouvelle filière ne fera que déplacer le problème.
On créerait dans le supérieur ce qui existe déjà dans le secondaire, en y déplaçant les mécanismes de ségrégation dont ils sont victimes. En fait, le pouvoir politique doit avoir le courage d'autoriser les universités à classer les dossiers des candidats.

La Cour des comptes reproche au lycée de mal préparer les élèves à la poursuite d'études. Que lui répondez-vous ?

Le lycée n'est pas organisé pour garantir la réussite des élèves dans le supérieur. On ne peut pas le lui reprocher, puisque cet objectif ne lui a jamais été assigné. À aucun moment, les programmes et les enseignements n'ont été pensés dans la perspective d'une poursuite d'études.

Préparer les élèves à l'enseignement supérieur supposerait par exemple de consacrer davantage de temps au travail individuel et de recherche. Or, aujourd'hui, le temps de présence au lycée est presque exclusivement du temps de cours. Quant aux contenus des enseignements, il faudrait aussi les revoir.

Le seul moment où les lycéens approchent ce qui se fait dans l'enseignement supérieur, c'est avec les travaux personnels encadrés (TPE). Le problème, c'est que ces derniers ne sont abordés qu'en classe de première, sans que les élèves, voire certains enseignants, n'en saisissent toujours bien la finalité.

Le lycée ne doit pas être un super-collège, mais être pensé en cohérence avec le premier cycle universitaire.
Limiter l'échec suppose de revoir complètement la structuration de l'ensemble de l'édifice. Il est temps que le ministère prenne des décisions en ce sens.

Isabelle Dautresme | Publié le