Pierre Richard (CPU) : "Entre 15 et 20 universités seront prêtes pour l'autonomie financière dans un an quand certaines ne le seront pas dans cinq ans"

Propos recueillis par Fabienne Guimont Publié le
Pierre Richard (CPU) : "Entre 15 et 20 universités seront prêtes pour l'autonomie financière dans un an quand certaines ne le seront pas dans cinq ans"
Pierre Richard (CPU). // © 
Pierre Richard, chargé de mission pour les moyens et les personnels à la CPU (Conférence des présidents d’université) décrypte pour Educpros les transformations à venir dans les universités en vue de leur autonomie financière. Avant fin avril 2008, le conseil d’Etat devrait avoir examiné les deux décrets sur la gestion financière et budgétaire des établissements. L’un s’adresse aux universités passant tout de suite aux compétences élargies comme le propose la loi sur l’autonomie, l’autre concerne les changements à opérer aussi pour celles restant dans « l’ancien régime ».  

Actuellement, dans quelle situation se trouvent les universités pour leur gestion budgétaire et financière  ?

Aujourd’hui, les universités sont déjà très autonomes dans la gestion de leur budget, mais le budget qu’elles gèrent ne représente qu’une petite partie de l’enveloppe globale et elles n’ont pas de contrôle a priori, seulement un contrôle a posteriori. Le budget actuel ne recouvre que le fonctionnement pédagogique et la recherche, pas la paie des personnels de l’Etat. L’ordonnateur principal est le recteur. Le comptable est le trésorier payeur général. Manque aussi dans le budget des établissements le patrimoine immobilier. L’établissement n’est pas propriétaire des locaux mais assume les charges du propriétaire, à l’image d’un bail emphytéotique. L’Etat provisionne ces charges mais de manière insuffisante et les universités ne font pas d’investissements pour l’amortissement. Autre élément hors du budget : les bourses et l’action sociale pour les étudiants. 

Quel est le principal changement que vont apporter les décrets sur l’autonomie budgétaire et financière des universités ?

La loi LRU permet aux universités de se saisir de compétences élargies dans les cinq ans à venir. La principale de ces compétences est la paie complète des personnels de l’Etat. Sur les 11 milliards d’euros de budget de l’enseignement supérieur, 8 milliards reviennent au paiement des personnels. C’est énorme ! La masse budgétaire des universités va passer de 1 à 3 et même de 1 à 4,5 pour les grandes universités scientifiques et médicales. Le budget de l’université devient comparable à celui d’une ville moyenne. Et avec ce budget global, le président devient vraiment un chef d’établissement et pas seulement le président du conseil d’administration.    

Quelles nouvelles responsabilités cela donne aux universités et à leur président ?

Jusqu’ici, l’université était l’employeur sans être le patron. Avec ces nouvelles compétences, le chef d’établissement va assurer la paie complète de tous les personnels, ainsi que le régime indemnitaire, la paie des personnels contractuels et les heures complémentaires. L’agent comptable de l’université gèrera les fonds et sera garant de la bonne gestion des deniers publics. Des garanties seront définies dans les contrats quadriennaux en fixant un plafond de masse salariale et un plafond d’emplois qui doivent se combiner par établissement. Le président va pouvoir créer 3 postes d’ingénieur à la place de 3 postes de maîtres de conférences par exemple, en restant ainsi dans le plafond d’emplois. Il va pouvoir recruter des contractuels. En cas de pénurie de candidats, s’il a besoin d’un professeur d’automatique, il pourra recruter dans le privé et publier ensuite un poste trois ans après si le profil lui convient. La liberté de recrutement est la clé de voûte de l’autonomie.    

De quelles compétences les universités ont-elles besoin pour assumer cette autonomie ?

Les universités les plus à même de prendre en charge des compétences élargies sont celles qui ont la culture de la gestion et où les présidents ne méprisent pas les gestionnaires. Cette autonomie va consacrer les grandes universités scientifiques et médicales très bien gérées et qui ont su consacrer des budgets conséquents pour recruter de très bons personnels d’encadrement (directeur des systèmes d’information, secrétaire général). Les besoins de personnels qualifiés se font surtout sentir en gestion des ressources humaines. Jusqu’à présent, on faisait une gestion notariale des carrières alors qu’aujourd’hui les universités doivent gérer des crédits qui exigent des compétences beaucoup plus larges avec une vue d’ensemble sur les statuts et une gestion financière des personnels. Cela passe par une requalification des agents de catégorie C et le recrutement d’autres personnels. Les recrutements de contrôleurs de gestion, de directeurs généraux des services, directeurs financiers passeront peut-être par le privé. Pour les secrétaires généraux (SG), les établissements peuvent se tourner vers la fonction publique territoriale, hospitalière ou d’autres ministères. Le SG devra assumer le pilotage administratif du contrat de l’établissement. Sans se mettre à la place du président, il va devenir un directeur général des services à l’instar de ce qui existe dans les départements ou les grandes villes.    

Les universités sont-elles prêtes ?

Entre 15 et 20 universités seront prêtes dans un an alors que certaines ne seront pas prêtes dans cinq ans… Nicolas Sarkozy voulait que l’autonomie soit optionnelle. A l’inverse, la CPU a plaidé pour que toutes les universités puissent passer à l’autonomie en aidant les moins bien équipées. Valérie Pécresse nous a suivis sur ce point. Pour la formation des cadres (secrétaires généraux…), l’Amue et l’Esen (Ecole supérieure de l’Education nationale) construisent un plan de formation. La CPU s’occupe de la formation des élus (présidents et vice-présidents) sur la gestion financière, la gestion des ressources humaines et le pilotage.    

La DGES (direction générale de l’enseignement supérieure) est-elle toujours adaptée à cette nouvelle organisation des universités ?

La DGES devra se restructurer pour s’adapter au nouveau contexte, en faisant plus de pilotage et d’évaluation. Tous les moyens alloués aux universités vont passer dans les contrats des établissements, avec un gros volet sur la performance qu’il faudra analyser de manière beaucoup plus fine qu’aujourd’hui. En effet, 10 % du budget sera alloué sur la performance des universités. D’un contrat à l’autre, les universités obtenaient toujours un peu plus. Ce ne sera plus forcément le cas.    

Les universités souhaitent-elles obtenir la dévolution de leur patrimoine immobilier ?

Les inspections n’encouragent pas les universités à demander cette compétence élargie. Du côté des présidents d’université, beaucoup sont favorables à cette dévolution, mais ils restent réservés. Ils souhaitent que l’Etat remette en état ce patrimoine – 20% des locaux ne sont plus conformes aux normes de sécurité - avant d’en devenir propriétaire. Pour l’instant, dans la DGF (dotation globale de fonctionnement), l’Etat ne comptabilise pas l’amortissement des bâtiments et il n’est pas sûr qu’il soit prêt à le faire. Par ailleurs, il pose comme condition qu’il y ait dans les universités un service de gestion du patrimoine immobilier. Dans le cas particulier de Jussieu, la valeur des bâtiments est faible, mais avec l’emplacement au centre de Paris, l’Etat y regarde à deux fois avant de céder ce patrimoine immobilier à Paris 6. La dévolution commencera par les petites écoles d’ingénieurs dont les locaux sont neufs. Pour les universités, ce sera beaucoup plus long. L’opération campus permettra de résoudre des problèmes ici ou là pour que 10 campus émergent dans la compétition internationale.  

Propos recueillis par Fabienne Guimont | Publié le