Richard Descoings (chargé de mission sur la réforme du lycée) : "Il faut avant tout agir contre le délit d’initiés"

Propos recueillis par Emmanuel Davidenkoff et Virginie Bertereau Publié le
Richard Descoings (chargé de mission sur la réforme du lycée) : "Il faut avant tout agir contre le délit d’initiés"
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Le directeur de Sciences po vient de se voir confier par Nicolas Sarkozy une mission "d’analyse, de compréhension, d’écoute et de proposition" sur la réforme du lycée. Nous avons interrogé Richard Descoings au lendemain de sa nomination.

Qu’aimeriez-vous dire aux lycéens pour les rassurer ?

Le président de la République et le gouvernement ont affirmé que si réforme il y a – et réforme il y aura – ce sera à effectifs constants. L’une des choses que craignaient beaucoup les professeurs et les élèves, c’était que l’on supprime des emplois. Par ailleurs, voici ce que je voudrais dire aux lycéens : vous ne me connaissez pas, vous vous demandez ce qu’un directeur d’établissement d’enseignement supérieur peut venir faire dans cette mission. Jugez-moi sur les résultats obtenus tout au long des dix dernières années dans soixante-dix lycées dits sensibles. Et voyez si cela vaut le coup de m’accorder du temps pour écouter ce que vous avez à dire : vos protestations, vos inquiétudes mais aussi vos propositions. C’est essentiel que les lycéens ne soient pas seulement consultés pour obtenir un "je suis pour" ou un "je suis contre". Leur participation doit être engageante.

Que pensez-vous du lycée aujourd’hui ?

Il faut être mesuré : tout le lycée ne va pas mal. Comme de nombreux parents d’élèves, de lycéens et de professeurs, je trouve que beaucoup de choses vont bien. Il ne faut pas faire porter à l’Education nationale toutes les difficultés de la société… Néanmoins, il existe sûrement des améliorations sensibles à apporter en termes de justice sociale, d’égalité des chances. En France, le lycée républicain a longtemps représenté la certitude de bénéficier d’un traitement égalitaire. Aujourd’hui, on sait bien que ce n’est plus le cas. Une partie des lycéens se retrouvent dans des filières qu’ils n’ont pas choisies. C’est le cas de certains élèves des filières technologiques à qui on a refusé l’accès à une filière générale. Et dans cette même filière générale, la série S se distingue des autres. Finalement, ce ne sont pas tant les séries du bac qui inquiètent, que les inégalités des opportunités offertes selon la série vers laquelle on a été orienté.

Quels sont les leviers qui permettraient d’agir sur l’orientation ?

Il faut avant tout agir contre le délit d’initiés et donc informer sur les débouchés professionnels et les opportunités possibles. Certains disent qu’il faut augmenter le nombre de spécialistes de l’orientation. Cela peut également passer par d’autres moyens, comme les forums métiers et les salons de l’orientation. Par ailleurs, il faut lutter contre les orientations de relégation. La difficulté : tout le monde est d’accord sur le diagnostic général, mais les points de vue divergent sur les solutions. Enfin, il faut déterminer quelle doit être la part du tronc commun et des enseignements modulaires. Les personnes qui ont porté la réforme du lycée - abandonnée le 15 décembre 2008 - pensaient – en toute sincérité – que le fait de pouvoir choisir plus librement des cours rassurerait les lycéens et leur donnerait envie. En réalité, on s’est aperçu que cela inquiétait un peu les parents, que les professeurs n’y tenaient pas vraiment et que les lycéens, qui réclament une vraie autonomie, émettaient des craintes au moment de choisir eux-mêmes et de porter la responsabilité de leurs choix.

Comptez-vous reprendre certains points de la réforme du lycée abandonnée ?

Je n’ai pas à porter de jugement sur la substance de cette réforme. Mon rôle est de renouer le contact avec les lycéens et d’abord de les écouter. Leur demande d'être associés à la réflexion est immense. Mais pour être associé à la réflexion, il faut déjà être informé.

Peut-on réformer le lycée sans toucher au bac ?

Oui. Les Français sont extrêmement attachés au baccalauréat. C’est un cadre national. Je changerai peut-être d’avis si les professeurs et les lycéens déclarent qu’il faut le revoir. Mais je ne suis pas sûr que ce soit la principale préoccupation…

Vous avez déjà touché au lycée à deux reprises, avec les conventions ZEP et les classes expérimentales. Dans les deux cas, vous avez commencé par des expériences que vous avez étendues peu à peu. Est-ce une méthode que vous allez de nouveau employer pour réformer le lycée ?

C’est déjà la méthode employée par les équipes pédagogiques, lycée par lycée. Dans certains établissements difficiles, on déploie des trésors d’imagination, les équipes sont très mobilisées. Dans l’intérêt de l’élève, les professeurs se sont déjà adaptés. Reste le problème de la continuité... Lorsque le professeur porteur d’une solution innovante quitte un établissement, l’initiative et l’inventivité sont souvent perdues. En outre, on ne sait pas partager d’un lycée à l’autre. Enfin, il faudrait être assuré que le système de l’éducation nationale favorise l’autonomie des équipes enseignantes et la liberté d‘expérimenter.


Posez vos questions à Richard Descoings ou réagissez à cette nouvelle mission sur le forum auditeurs de France Info . Il répondra en direct le jeudi 15 janvier à 9 h 15.


Propos recueillis par Emmanuel Davidenkoff et Virginie Bertereau | Publié le