Robert A. Lue : “HarvardX n'a pas été conçu pour remplacer notre pédagogie mais pour la transformer”

Morgane Taquet Publié le
Robert A. Lue : “HarvardX n'a pas été conçu pour remplacer notre pédagogie mais pour la transformer”
Séance de tournage test pour un prochain MOOC à HarvardX // ©  HarvardX/Harvard University
Lancé parallèlement à edX en 2012, HarvardX fabrique les outils 2.0 de l'université américaine : Mooc mais pas seulement. Au-delà de la conception, HarvardX se veut un laboratoire de recherches et d'expérimentations sur la pédagogie numérique. Rencontre avec Robert A. Lue, doyen de la faculté, à l'occasion de son passage en France.

Robert A.Lue, doyen de HarvardXQuel lien entre HarvardX et edX, la plate-forme de Mooc lancée conjointement avec le MIT en 2012 ?

HarvardX , comme MITX en tant que membre fondateur, a été lancé en même temps qu'edX en mai 2012. L'idée de départ était qu'edX soit la plate-forme qui délivre les Mooc, alors que nous les fabriquons. Mais dans les faits, HarvardX est bien plus que cela, c'est une stratégie d'ensemble à l'échelle de toute l'université qui se concentre sur l'utilisation des technologies et d'Internet pour un meilleur enseignement. Pour résumer, edX diffuse, HarvardX conçoit et développe.

À quoi ressemble votre offre ?

Nous avons déjà conçu près de 80 cours "ouverts" dont une soixantaine de Mooc, quelques Spoc et une vingtaine de cours en blended learning d'une durée de 4 à 15 semaines. Les trois quarts ont été créés à partir de cours préexistants à Harvard, et un quart est totalement nouveau. Ceux qui touchent aux sciences informatiques sont très suivis, mais nous ne nous limitons pas à une discipline, afin d'être à l'image de la diversité disciplinaire d'Harvard.

En fait, la conception d'un Mooc est parfois à l'origine d'un cours dispensé en présentiel sur notre campus. Nos Mooc sont à la hauteur des cours d'Harvard. Ils sont relativement difficiles, et ne peuvent pas être suivis par tout le monde. Comme sur le campus, des efforts considérables sont nécessaires.

Quel est le profil de vos utilisateurs ?

HarvardX compte 2,4 millions d'utilisateurs pour environ 6 à 7 millions sur edX. Nos données très récentes montrent que 70% des utilisateurs sont titulaires d'un bachelor. Il y a aussi un pourcentage assez élevé d'enseignants, environ 30-40% – variable d'une discipline à l'autre. Ce qui veut dire que nous avons un fort impact sur le corps enseignant, et que ce dernier cherche à améliorer son enseignement. C'est plutôt une surprise, nous ne l'avions pas vraiment prévu.

Nous avons un fort impact sur les enseignant, ils cherchent à améliorer leur enseignement.

Comment un enseignant peut-il utiliser HarvardX ?

Mettons que vous enseignez la poésie américaine. Vous pouvez utiliser les Mooc sur ce sujet, et vous pouvez conseiller à vos élèves de regarder une série de vidéos qui montre par exemple où les premiers poètes américains ont vécu. À partir de cela, vous pouvez construire votre propre manière de faire cours, en l'annotant, en n'en sélectionnant qu'un extrait, en le commentant. À l'enseignant de choisir ce qui l'intéresse.


Dans un studio d'enregistrement d'HarvardX

Quels sont vos taux de réussite ?

Sur l'ensemble, nous avons un taux de réussite qui se situe entre 5 et 12%. Nous avons posé la question aux participants pour savoir si leur but était de terminer le Mooc, et plus de la moitié d'entre eux ont répondu que ce n'était pas leur objectif. Parmi ceux qui ont l'intention de terminer, environ 25 à 30% y parviennent, ce qui est un taux plutôt élevé. Le succès se mesure à l'intention de départ des étudiants.

Quelle est votre plus-value vis-à-vis d'une plate-forme de diffusion ?

Notre particularité est de nous appuyer sur la recherche et l'expérimentation. Nous menons des études sur les expériences qui fonctionnent le mieux en ligne ou sur la manière dont on peut utiliser des outils numériques pour mieux enseigner sur nos campus. Nous travaillons avec plus d'une centaine d'enseignants issus des 12 écoles d'Harvard. Parmi notre staff de 50 personnes, 6 à 8 sont des chercheurs à plein-temps.
L'objectif d'Harvard n'est pas seulement de créer, de transmettre des outils et d'infuser dans le monde. Nous sommes aussi très attentifs à appliquer ce que nous apprenons dans notre manière d'enseigner dans nos classes. D'ailleurs, nous n'avons pas d'objectifs chiffrés par exemple en termes d'utilisateurs : ce sont les résultats de la recherche qui nous intéressent. Avons-nous appris quelque chose ?

Estimez-vous que le modèle pédagogique traditionnel d'Harvard doit être réformé ?

HarvardX n'a pas été conçu pour remplacer le modèle classique, nous sommes là pour le transformer. Il y aura des contenus uniquement en ligne mais l'avenir est aux contenus hybrides, comme ce qui se fait dans les classes inversées.
Nous fonctionnons sur l'expérimentation, c'est dans l'ADN d'Harvard. C'est notre manière d'aller toujours de l'avant sur les questions de pédagogie. Avec edX, le projet était de créer une plate-forme d'enseignement en ligne dans le monde, alors qu'HarvardX relève davantage de la transformation de notre université. Si nous voulons continuer à être parmi les meilleurs, nous devons investir et travailler sur de nouvelles approches. C'est la même raison qui nous pousse à investir dans la recherche sur les neurosciences : nous voulons faire des découvertes pour vivre mieux, et Harvard a la capacité d'être à la pointe sur ces sujets.

L'avenir est aux contenus hybrides, comme ce qui se fait dans les classes inversées.

Comment s'intègre HarvardX dans la stratégie digitale globale d'Harvard ?

HarvardX est un des piliers de la stratégie d'Harvard, qui a fait évoluer notre stratégie digitale. Habituellement, dans les universités, la recherche sur la pédagogie se fait partout dans les facultés et de manière dispersée. Nous sommes une des seules à avoir lancé cette initiative qui centralise les questions de pédagogie par le numérique, ce qui est nouveau, à l'échelle de l'université.

Quels sont vos projets de développement ?

Aujourd'hui, nous produisons une trentaine de nouveaux cours par an. Bien sûr, nous souhaitons augmenter le volume proposé, mais nous voulons davantage travailler sur la forme, sur la manière d'utiliser nos cours. Aujourd'hui, nous n'utilisons pas tellement le terme Mooc, qui est un peu restrictif, nous voulons proposer davantage de contenus modulaires, qu'un enseignant peut extraire et utiliser à sa manière. Nous cherchons à être le plus flexible possible. Notre objectif est de pouvoir réutiliser, de rendre adaptable tout ce que nous créons, que ce soit les outils interactifs, les vidéos ou les outils de simulation. Nous ne voulons pas que les choses soient figées dans un cours, dans un Mooc.

HarvardX, un engagement financier de l'université
Tous les Mooc disponibles sur edX, pour lesquels un certificat d'honneur est délivré, sont gratuits. Pour que l'identité du participant soit vérifiée, il faut débourser entre 50 et 250 dollars pour ceux d'Harvard. Quid alors du financement d'HarvardX, qui compte 50 salariés à plein-temps ? "Nous sommes financés en partie par des dons, mais majoritairement par l'université. C'est un réel investissement financier et stratégique de l'université en faveur de HarvardX", assure Robert Lue. De son côté, son homologue HBX, développé par la Business School de l'université, propose des programmes payants. "Nous sommes très proches, mais HBX a été conçu comme une expérimentation de plus petite taille, pour de la formation continue ou pour les étudiants qui s'apprêtent à entrer en MBA", décrit Robert Lue.
Harvard Summer School au CRI
Pour la première fois cet été, Harvard a installé sa Summer School pour deux mois au Centre de recherches interdisciplinaires à Paris. Organisée autour des Smart Cities et de l'utilisation des sciences pour réinventer la ville de demain, elle a réuni une cinquantaine d'étudiants d'Harvard, d'étudiants français et colombiens.
Prochaine Learning Expedition EducPros dans la Silicon Valley
Harvard était programme de la Lex EducPros d'avril 2015 sur la côte Est des Etats-Unis. Notre prochaine Learning Expedition se déroulera du 1er au 6 novembre 2015 dans la Silicon Valley. La délégation s'arrêtera à Stanford, Berkeley, Udacity, Coursera...

Véritable plongée au cœur de l'innovation et de l'écosystème de la côte Ouest, ce voyage d'étude est l'occasion pour les participants de nouer de nouveaux partenariats et de faire émerger de nombreux projets.

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Morgane Taquet | Publié le