Florent Verdier : "Le ministère est clairement du côté de la sélection en master"

Camille Stromboni Publié le
Florent Verdier : "Le ministère est clairement du côté de la sélection en master"
Les universités pourraient mettre en cause la responsabilité de l'administration, pour l'absence de prise de décision sur la sélection en master, estime Maître Florent Verdier. // ©  Photo fournie par l'auteur
Plusieurs universités ont été condamnées devant les tribunaux pour avoir sélectionné à l’entrée du master 2. Florent Verdier, l'avocat qui défend la majorité des étudiants dans ces affaires, souligne le double discours du ministère sur la sélection et appelle les universités à se retourner contre l'État.

Plusieurs affaires, concernant la sélection en master 2, opposant étudiants et universités, ont été jugées depuis la rentrée 2015. Dans quel sens vont les décisions ?

Précisons que nous sommes encore uniquement sur des référés. Il faut attendre une décision sur le fond pour que cela ait vraiment un sens. La seule aujourd’hui est celle de Bordeaux, datant de 2013, qui juge illégale la sélection en master.

La prochaine doit tomber d'ici fin novembre, une fois encore à Bordeaux. Je serais très étonné qu'en moins de deux ans, le même tribunal dise blanc puis noir.

L’audience a donné un premier signal : le rapporteur public a demandé d’annuler le refus d’un étudiant en master 2. Au motif de l’absence du décret permettant cette sélection.

Quant aux référés, ils ont, jusqu’ici, abouti à condamner les universités à inscrire les étudiants en master 2 dans la grande majorité des cas, estimant qu'il y avait un doute sur la légalité de la sélection en master. Environ 25 affaires ont été jugées en ce sens. Seuls trois tribunaux se sont prononcés dans le sens inverse, à Besançon, Montreuil et Marseille.

Le Conseil d’État a été saisi récemment. Sa décision mettra-t-elle fin au débat ?

Oui, il va statuer une fois pour toutes d’ici février 2016. Soit en estimant que les juges qui ont donné raison aux étudiants n’ont pas commis d’erreur de droit. Soit à l’inverse, en suivant la défense des universités, qui affirment que l’arrêté de 2002 leur donne le droit de sélectionner. Son avis servira de phare aux prochaines décisions.

Université de Bordeaux - Site de La Victoire - Janvier 2015

Le tribunal de Bordeaux est le seul à s'être prononcé sur le fond, en 2013, jugeant la sélection à l'université illégale. Il doit de nouveau rendre un jugement fin novembre 2015. // Université de Bordeaux © CS

Thierry Mandon pourra difficilement prendre des mesures dès la fin 2015, comme il s'y était engagé, sans connaître cet avis...

En effet. Mais cela ne l'a pas empêché de prendre position. Dans l’une de mes affaires, à Montreuil, le juge a demandé au ministère de faire valoir ses observations. Ce dernier a produit un mémoire en défense reprenant tous les arguments des universités. C’est-à-dire en jugeant que l’arrêté de 2002 justifiait le processus de sélection, et que l’absence de décret n’avait pas d’impact.

Le ministère se met donc clairement du côté de la sélection à l’université, contrairement à ses déclarations publiques.

Pourquoi ne pas agir contre l’État ?

Les étudiants n’ont pas intérêt à agir à ce niveau, ce sont les universités qui doivent le faire. En mettant en cause la responsabilité de l’administration pour absence de décision. Elles ont un moyen de le faire en droit, qu'elles le fassent ! Qu'elles engagent la responsabilité de l'État.

Il suffit qu’une université — ou bien la CPU (Conférence des présidents d’université) – demande officiellement au ministère de prendre ce décret. Si dans un délai de deux mois, il n’y a pas de réponse, cela vaut refus et les universités peuvent attaquer ce refus.

Les universités ne font rien, c’est leur faute. C’est leur problème. C’est politique et cela me dépasse.

Les universités ne font rien, c’est leur faute. C’est leur problème. C’est politique et cela me dépasse.

La mise en place d'un système de tirage au sort, comme en licence, fait-elle partie des options envisagées afin que les universités ne soient plus condamnées ?

Non. La répartition des bacheliers en licence répond à une procédure précise, avec des décisions arrêtées par le recteur. Pour le second cycle, la loi n’a jamais envisagé de tirage au sort. Les seuls critères prévus pour une potentielle sélection sont la capacité d’accueil, l’examen des dossiers, la réussite à un concours.

Des conditions qui doivent être précisées par un décret – ce fameux décret qui n’a jamais été pris, depuis 1984.

Ce phénomène de judiciarisation de l’enseignement supérieur ne vous paraît-il pas problématique ?

S’il y a judiciarisation, c’est parce que les universités ne respectent pas le droit. En l’état actuel, il ne permet pas un processus sélectif en master. Les universités font comme elles peuvent. Je l’entends bien. Mais nous sommes dans un État de droit et le principe de réalité n’est inscrit dans aucun code.

Un étudiant qui va en justice peut obtenir une place quand un autre se la voit refuser. N’y a-t-il pas une forme d’injustice

Qu’un étudiant qui fait valoir son droit ait une place en M2 quand celui qui n’agit pas devant un tribunal peut être recalé, c’est le principe de la justice. Les étudiants sont contraints de passer devant le juge pour faire respecter leurs droits. Il n’y a pas d’injustice, si ce n’est de la part du gouvernement, qui ne donne pas aux universités les moyens de respecter la loi.

Camille Stromboni | Publié le