L'enseignement supérieur privé, un marché à deux vitesses

Cécile Peltier - Mis à jour le
L'enseignement supérieur privé, un marché à deux vitesses
Le géant américain Laureate a cédé ses écoles françaises, parmi lesquelles l'ECE, au fonds d'investissement Apax Partners au printemps 2016. // ©  ECE Paris
Le marché de l’enseignement supérieur privé français a aiguisé l’appétit des fonds d’investissement. Mais le vent pourrait tourner, selon Serge Nicolas, senior advisor chez Odyssey Education Group, groupe d'investissement et de conseil. Entretien en amont de la conférence EducPros du 23 février 2017.

Serge Nicolas, Odyssey Education GroupÀ quand la constitution d'un marché de l'enseignement supérieur privé en France remonte-t-elle ?

Le premier grand rachat d'un groupe d'enseignement supérieur par un fonds remonte à une dizaine d'années, avec la vente, en 2006, de la marque ESG (ESG, ESGCI, ESGF) par son fondateur, Pierre Azoulay, à Englefield capital, fonds d'investissement hollandais devenu aujourd'hui Bregal. C'était la première opération de masse avec une réelle stratégie d'investissement. 

Cela a marqué un vrai changement de culture. Les écoles ont cessé d'être dirigées par des patrons de PME familiales, à l'image de Marc Sellam, PDG et fondateur du groupe Ionis, ou encore de Roger Serre pour le groupe IGS, afin d'être gérées par des contrôleurs de gestion.

Pour quelles raisons les fonds ont-ils commencé à s'intéresser à l'enseignement supérieur ?

D'abord parce qu'il y a énormément de liquidités sur le marché depuis quelques années. Les fonds disposent de beaucoup d'argent à investir, qu'il soit prêté par les clients ou par des banques. Ils se sont rendu compte que la marge réalisée une fois qu'une entreprise a tout payé (appelée Ebita pour "earnings before interest taxes and amortization") était plus importante dans l'éducation que dans d'autres secteurs.

Les écoles intéressent aussi les fonds : elles disposent de beaucoup de trésorerie, grâce aux frais de scolarité payés en début d'année. De plus, la période correspondait à un cycle pertinent pour les fonds, qui revendent tous les cinq ou six ans.

Enfin, les établissements d'enseignement supérieur français, malgré des classements qui ne leur sont pas toujours favorables, bénéficient d'une excellente réputation internationale et constituent donc un placement sûr.

Toutes ces raisons ont concouru à un grand dynamisme du marché, marqué par des opérations historiques, comme le rachat de l'Inseec par Apax, de Studialis par Galileo (Providence) ou, plus récemment, des écoles du groupe Laureate par Apax.

Vous parlez au passé. Le temps des grands investissements est-il révolu ?

La fenêtre de tir, encore large ces trois ou quatre dernières années, commence à se refermer. D'abord pour des raisons de cycles : les fonds ne sont pas encore prêts à vendre. Ensuite, parce que le marché est dans une période de relative structuration : il y a moins de groupes et ceux qui restent sont un peu compliqués. Il faut ajouter à cela un phénomène de surchauffe.

Les établissements d'enseignement supérieur français bénéficient d'une excellente réputation internationale et constituent donc un placement sûr.

Ces dernières années, les prix sont montés très vite, ce qui a quelque peu déréglé le marché. Les derniers gros "deals" (Inseec, Studialis et Laureate) ont représenté à eux trois un peu plus de 500 millions d'euros d'investissement. Galiléo (fonds Providence) aurait payé Studialis autour de 280 millions, soit 16 fois environ l'Ebita... C'est énorme, cela a créé un effet inflationniste.

Aujourd'hui, lorsqu'elles vendent, les écoles sont tentées de demander beaucoup plus que ce qu'elles ne valent en réalité, et les fonds ont tendance à tiquer. D'autant qu'en période électorale, le marché est toujours un peu attentiste.

Qui sont ces "groupes compliqués" qui restent sur le marché ? Des petits groupes indépendants ?

Oui. À côté des grands groupes qui gagnent de plus en plus de parts de marché, des acteurs plus modestes, de bas ou milieu de tableau, peinent à tirer leur épingle du jeu. Parmi, eux, une myriade de petits groupes dont le chiffre d'affaires est compris entre 5 et 20 millions, qui, à l'exception de quelques-uns, savent que, pour survivre, ils devront rejoindre les grands groupes. Ils sont donc à la recherche d'investisseurs.

Aujourd'hui, lorsqu'elles vendent, les écoles sont tentées de demander beaucoup plus que ce qu'elles ne valent en réalité, et les fonds ont tendance à tiquer. 

Mais ces derniers sont peu ou pas intéressés par ces structures, trop petites, en perte de vitesse, parfois mal gérées et demandant des prix trop élevés. Les fonds poursuivant une logique spéculative ne sont pas prêts à payer 10 ou 12 fois l'Ebita pour un établissement avec de faibles perspectives de croissance. Certaines formations en management, généralistes et victimes d'un marché ultra-concurrentiel, sont notamment concernées.

Je pense que les prochaines opportunités se trouvent davantage du côté des écoles d'ingénieurs ou du numérique. Elles pourraient également concerner des groupes industriels.

Marché de l'éducation et stratégies financières, prochaine #confEP
Dans un contexte budgétaire global difficile, de nouvelles manières d'investir dans la formation et de nouveaux acteurs privés apparaissent dans le secteur de l'enseignement supérieur. Qui sont ces nouveaux acteurs, quels sont leurs objectifs à court et à long termes, et, surtout, comment interagir avec eux pour le bénéfice de son établissement ?

Le 23 février, la conférence EducPros sera dédiée aux nouveaux business models du secteur éducatif, avec de nombreux retours d'expérience sur de nouvelles initiatives pour collecter des fonds et investir intelligemment.

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