Soizic Guérin-Cauet, professeur d’anglais : «J’ai 22 heures de cours sur trois jours et sept niveaux différents»

Propos recueillis par Isabelle Maradan Publié le
Suppressions de postes et réforme du lycée ont modifié le quotidien des enseignants. Les heures supplémentaires notamment ont été redistribuées entre professeurs. Soizic Guérin-Cauet, professeure d’anglais dans un lycée de la banlieue nantaise, raconte comment elle enchaîne vingt-deux heures de cours en trois jours, enseigne pendant la pause repas tout en préparant chaque semaine sept niveaux de classe différents.

Votre emploi du temps est concentré sur trois jours. Le souhaitiez-vous ainsi ?

J’avais demandé que le mercredi matin et le samedi matin soient libérés, parce que j’ai trois enfants en bas âge et un mari qui travaille ces jours-là. Sur ce point, j’ai obtenu satisfaction ! Mais j’ai vingt-deux heures de cours, dont la quasi-totalité sont concentrées sur trois jours, des cours à l’heure du repas et sept niveaux différents. C’est un emploi du temps particulièrement lourd. Cette année, j’ai des secondes, des premières LV1 et LV2, une terminale ES et trois niveaux de section européenne.

Pourquoi avez-vous autant d’heures supplémentaires ?

Un poste a été supprimé en anglais à la rentrée dans mon lycée. Et, même avec une diminution des heures d’enseignement dans la discipline, il restait tout de même douze heures supplémentaires à se répartir entre les douze enseignants d’anglais du lycée.

Une heure supplémentaire chacun...

Avec les professeurs à temps partiel, ce n’était pas possible. Et, comme je n’ai pas refusé d’en prendre sur la fiche de vœu remise avant l’été au proviseur, j’ai récolté quatre heures supplémentaires ! Et la veille de la rentrée, j’ai appris que j’aurais une classe de première LV2, c’est-à-dire un niveau de plus à préparer, à la place d’un des niveaux que j’avais déjà. Tout ça parce qu’une enseignante à mi-temps partant en retraite à la fin de l’année ne voulait pas préparer un nouveau cours pour sa dernière année ! Moi, je considère qu’en tant que fonctionnaire je dois faire ce qu’on me demande.

Les relations sont-elles tendues avec vos collègues à cause de cela ?

Avec les syndicalistes, c’est compliqué. Ma logique n’est pas la leur. Ils aimeraient que le ministère se rende compte que cela ne fonctionne pas avec les suppressions de postes et les heures sup’, et ils estiment que si tout le monde refusaient les heures sup’, il faudrait recruter. Je me suis dis que je n’allais pas les refuser pour qu’elles ne retombent pas massivement sur le dos de quelques collègues...

Quelles sont les conséquences de vos heures supplémentaires et de vos six niveaux différents, à côté des heures de cours ?

Le nombre de niveaux à préparer est déterminant. Il me faut à peu près une heure de préparation pour une heure de cours. Je recherche des documents, exploitation pédagogique, traitement divers : couper, aménager, photocopier... Comme j’ai 267 élèves en tout, j’ai aussi plus de copies, en considérant que je mets en moyenne dix minutes à corriger une copie – vingt minutes en terminale et un peu moins en seconde. Forcément, j’évite de donner des évaluations à tout le monde la même semaine ! Et qui dit plus d’élèves, dit aussi plus de travail chez soi. Sans compter tout ce qui gravite autour de l’heure de cours : rendez-vous avec les parents, entretiens avec les conseillers principaux d’éducation, etc. Chaque heure est donc démultipliée, il n’y a pas que la présence devant les élèves ! Je viens de recevoir le planning des conseils de classe. Avec mes groupes d’élèves venant de plusieurs classes, si je faisais tous les conseils, j’en totaliserais vingt et un !

Pendant vos trois jours chargés, vous enseignez aussi lors de la pause repas. Pour quelles raisons ?


Outre l’ajout d’un niveau de classe à ma liste de préparations, je dispense effectivement des cours aux quinze élèves de première en anglais LV2 dans mon lycée sur le temps du repas. Avec la réforme du lycée, les classes de première ont un tronc commun énorme et proposent de nombreuses petites options. Du coup, le seul créneau disponible pour tous les réunir se situait entre 12 h 45 et 13 h 30. Je crois d’ailleurs que le proviseur envisage de fermer certaines options en fonction de la série. L’an prochain, il est possible qu’on annonce aux sections européennes qu’elles ne pourront pas suivre telle ou telle option, afin que les emplois du temps restent gérables.

À ce rythme-là, avez-vous le sentiment que le «burn-out»* vous guette ?

Les gens autour de moi se demandent parfois comment je tiens... Mais je suis toujours aussi enthousiaste et j’aime toujours autant mon métier et ce qui se passe avec les élèves. Chaque année, j’élabore de nouveaux cours pour les sections européennes en me calant sur l’actualité. Cette année, les émeutes de l’été sont au programme. Et avec les élèves de premières, j’ai déjà commencé à travailler autour d’un voyage à Londres prévu pour avril. Sur ce projet, je ne compte pas mes heures...

* Cf. l’enquête de Georges Fotinos, ancien inspecteur général, et de José-Mario Horenstein, médecin psychiatre de la Mutuelle générale de l’Éducation nationale (MGEN), révélée fin octobre 2011 par Le Monde. Leur rapport intitulé «La qualité de vie au travail dans les lycées et collèges. Le burn-out des enseignants. L’exclusion des élèves» devrait sortir sous peu.



Michèle Amiel, proviseure du lycée Paul-Langevin à Suresnes (92) : «Certains enseignants ont plus de dix heures sup’ !»

«C’est la première fois de ma carrière que je supprime des postes. J’en ai supprimé un ou deux l’an dernier et quatre-cinq cette année. Pour éviter que ces suppressions n’aient trop de conséquences, nous les avons faites d’abord dans les disciplines où il y avait des départs en retraite. Ensuite, nous avons regardé celles où les enseignants acceptaient de prendre plus d’heures supplémentaires.

Quand on ferme des postes, avec à peu près la même DHG [dotation horaire globale], comme c’est le cas cette année, le nombre d’heures de cours est réparti sur un moins grand nombre d’enseignants. Certains aiment les heures sup’, mais ceux qui en prennent accusent généralement la fatigue plus facilement que les autres.

Dans mon lycée, où il y a une centaine d’enseignants, je crains qu’on ne soit au maximum de ce qu’ils peuvent assurer comme heures de cours. Certains ont plus de dix heures sup’ !

Si vous ajoutez à cela les classes chargées à 35-36 élèves, les réformes, les parents de plus en plus sous pression et un nombre croissant d’élèves fragiles, je crains qu’on ne soit vraiment au maximum de ce que peuvent assurer les enseignants comme heures sup’.»

Propos recueillis par Isabelle Maradan | Publié le