Vincent Couronne : "Les Surligneurs veulent ramener les juristes dans le débat public !"

Catherine de Coppet Publié le
Vincent Couronne : "Les Surligneurs veulent ramener les juristes dans le débat public !"
Sur le site web des Surligneurs, les propos des personnalités publiques sont analysées pour pointer les erreurs juridiques. // ©  Capture d'écran
En janvier 2017, plusieurs chercheurs en droit ont lancé un site pour pointer les imprécisions juridiques des prises de parole publiques. Une manière de resserrer les liens entre recherche et société, et de mieux communiquer sur le travail des chercheurs en droit. Vincent Couronne, post-doctorant à l'université de Versailles-Saint-Quentin, est à l'initiative du projet.

Vincent Couronne, post-doctorant en droit public à l'Université de Versailles Saint-Quentin-en-YvelinesLes Surligneurs souhaitent répondre à la diffusion des fausses nouvelles, mais aussi remettre les chercheurs au cœur du débat public. Doit-on comprendre que médias et universitaires ne se parlent pas assez aujourd'hui ?

Les médias au sens large ne sont en effet pas assez proches des chercheurs, en particulier des universitaires juristes. Il y a trente ou quarante ans, ceux-ci se sont retirés du débat public, pour construire leur discipline scientifique. En quelque sorte, nous avons laissé la place aux communicants, qui ont peu de scrupules à dire des choses juridiquement fausses.

Nous pensons que faire revenir les juristes dans le débat public est un enjeu démocratique. Les médias doivent avoir le réflexe de les appeler. Il y a parfois des imprécisions juridiques dans les articles de "fact-checking" ! Nous, nous promouvons le "legal checking !"

Comment définiriez-vous le concept des Surligneurs ?

Les déclencheurs ont été le Brexit et la campagne présidentielle américaine : si un même déferlement de fausses nouvelles devait arriver en France, je ne me verrais pas ne pas réagir ! L'idée est de repérer les paroles erronées ou imprécises tenues en public par des hommes et femmes politiques, par des journalistes dans leurs articles, mais aussi par des personnalités bénéficiant d'une grande audience, comme les chroniqueurs radio ou les youtubeurs ! Nous partons du principe que pour se forger une opinion, politique par exemple, les gens ne se basent pas uniquement sur les programmes des candidats à une élection... Leurs canaux d'information sont très divers.

Ensuite, ces phrases sont "surlignées". L'un de nos contributeurs, un chercheur ou étudiant (en master 2 ou en doctorat) en droit, se saisit de la question et propose un texte de réponse, sous la forme d'un syllogisme, dans la tradition juridique, avec une majeure, une mineure et une solution.

Le but du "surlignage" n'est pas de corriger, mais de pointer des erreurs,
et de montrer que ce qui est dit publiquement n'est pas toujours aussi évident, juridiquement parlant. C'est une façon par exemple, de se demander si ce qui est promis par un candidat à la présidentielle est possible en droit, dans quelle mesure c'est faisable, etc.

Faire revenir les juristes dans le débat public est un enjeu démocratique.

Nous avons déjà une vingtaine de contributeurs. Je vais faire un nouvel appel, j'aimerais parvenir à une trentaine de participants, réguliers ou occasionnels ! Au lancement du site, en janvier, je pensais que nous arriverions à deux ou trois surlignages par semaine, le rythme est plutôt d'un à deux par jour !

Comment sélectionnez-vous les propos à "surligner" ?

Jusqu'à peu, nous ne fonctionnions que par la veille des contributeurs. Nous venons cependant de nous associer aux élèves de première et deuxième année de Sciences po Saint-Germain-en-Laye, IEP dépendant de l'université de Cergy-Pontoise et de l'UVSQ (université Versailles-Saint-Quentin), à laquelle appartient mon laboratoire de recherche, le VIP (Centre Versailles-Saint-Quentin institutions publiques). Ces deux promotions nous ferons désormais remonter ce qui pourrait être "surligné". Nous avons choisi des étudiants de Sciences po pour leur culture historique et politique, souvent plus importante que chez les étudiants en droit, ce qui est bien normal dans les premières années !

Peut-on dire que Les Surligneurs est une tentative de vulgarisation de la recherche, à l'image d'un site comme The Conversation ?

Oui, d'une certaine façon ! The Conversation est peu utilisé par les universitaires en droit, qui craignent en général, comme beaucoup de chercheurs, la simplification de leur pensée et les échanges à la mode "café du commerce".

Ceci dit, le site des Surligneurs s'adresse au grand public, avec des propos qui doivent être compréhensibles par le plus grand nombre : nous avons fixé une limite de 250 mots par contribution. Nous n'allons pas occulter une réalité juridique complexe si elle tient dans ce format. Mais si le point de droit est trop dense pour être expliqué en 250 mots, nous préférons nous abstenir de publier une contribution !

Le site des Surligneurs permet un formidable décloisonnement entre enseignants et étudiants.

Y a-t-il pour vous un enjeu de visibilité accrue de votre discipline, le droit, et plus largement de la recherche ?

Ce qui est mis en ligne sur Les Surligneurs ne sont pas des publications scientifiques, mais ce qui est sûr, c'est que le site donne une visibilité inespérée à l'USVQ et au VIP, dont on ne parlait pas autant avant ! C'est clairement un outil de communication et de valorisation universitaire ! Ce n'est pas un projet de recherche en tant que tel, mais plutôt une passerelle entre la vie publique et les citoyens.

Le VIP a participé financièrement à la création du site, mais tous les contributeurs sont bénévoles. Nous souhaitons que nos posts soient diffusés le plus possible. J'ai déjà entendu une radio grand public reprendre un argument que nous avions développé sur le site, je prends cela comme un succès !

Du point de vue des chercheurs, Les Surligneurs permet un formidable décloisonnement entre enseignants et étudiants, des articles rédigés par des étudiants en master 2 côtoient des articles rédigés par des professeurs agrégés. Le décloisonnement vaut aussi entre enseignants, car les contributeurs viennent de toutes les universités françaises. Pour les étudiants qui collaborent, c'est aussi une bonne école : cela leur donne une idée de la responsabilité du juriste qui prend la parole dans la société, cela participe en quelque sorte de leur insertion professionnelle.

Catherine de Coppet | Publié le