Yves Bertrand (président du réseau Figure) : « Les masters d’ingénierie seront complémentaires des écoles d’ingénieurs »

Propos recueillis par Sophie Blitman Publié le
Yves Bertrand (président du réseau Figure) : « Les masters d’ingénierie seront complémentaires des écoles d’ingénieurs »
Yves Bertrand // © 
Retenus parmi les initiatives d’excellence labellisées « formations innovantes », les premiers masters d’ingénierie devraient voir le jour à la rentrée 2012. Président du réseau Figure* (Formation à l'Ingénierie par des Universités de Recherche) qui porte ce projet, et doyen de la faculté des sciences de l’université de Poitiers, Yves Bertrand précise le principe et le contenu de ces nouveaux cursus. Tout en se montrant soucieux de ne pas relancer la controverse qui a opposé le réseau aux écoles d’ingénieurs certifiées par la CTI .

Votre projet a été retenu dans le cadre de strong>l’appel à projets Idefi (Initiatives d’excellence en formations innovantes). Quel est maintenant le calendrier ?

Cette sélection est une belle reconnaissance du travail que nous avons effectué jusque là et désormais, nous sommes entrés dans la phase de validation des cursus. Nous avons en effet lancé le processus qui permettra l’ouverture de filières d’ingénierie à la rentrée 2012 : des dossiers ont été déposés par les universités et, jusqu’à la mi-avril, des comités de visite vont se déplacer dans chaque université pour faire une évaluation concrète sur place et rédiger un rapport.
Puis un comité de validation, composé d’une dizaine d’enseignants-chercheurs externes au réseau, donnera ou non son accord, éventuellement avec réserve, pour l’ouverture de la formation. Nous attendons les feux verts pour le mois de mai et nous espérons ouvrir 25 cursus à la rentrée, l’objectif – défini dans notre projet Idefi – étant d’en recenser 120 à 150 d’ici quelques années.

Quel type de formation ces masters d’ingénierie vont-ils dispenser ?

« Les masters d’ingénierie sont des parcours d’excellence en cinq ans, dotés d’un label spécifique »

Sous le nom de master, ce sont en fait des cursus complets en cinq ans que nous allons proposer : il s’agit de parcours de renforcement dans une discipline scientifique, dotés d’un label spécifique. Les étudiants suivront environ 20 % de cours supplémentaires et devront aussi fournir davantage de travail personnel, ce qui se traduira par la validation de 12 ECTS universitaires par an.
D’autre part, le contenu de ces parcours d’excellence doit répondre à certains critères structurels que nous avons définis : la spécialité scientifique choisie doit couvrir au moins 50 % du volume horaire total des cinq ans de formation. Par ailleurs, 20 % doivent être consacrés aux sciences humaines et sociales, 20 % aux sciences fondamentales (maths, physique et informatique) et 10 % aux sciences connexes (mécanique pour la physique, physique pour la chimie par exemple). En outre, un quart de l’enseignement doit être dispensé sous forme de projet et de stage.
Enfin, le dernier critère est celui de l’appui par la recherche : les masters d’ingénierie doivent être portés par un laboratoire évalué très positivement par l’AERES (Agence d’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur).

Comment les étudiants seront-ils sélectionnés ?

La sélection se fera sur dossier et entretien, mais les exigences dépendront de chaque université. Certaines pourront faire valoir une vision assez élitiste, tandis que d’autres suivront le principe d’une sélection par la réussite : tous les étudiants qui le souhaitent pourront entrer dans le cursus, mais ils en sortiront s’ils n’ont pas le niveau.

Pourquoi refuser que ces formations soient évaluées par la Commission des titres d’ingénieurs (CTI) ?

« Nous n’excluons pas, à moyen terme, une évaluation par la CTI et/ou l’AERES »

Pour l’instant, le principe est de partir d’un groupe d’universités autonomes, vis-à-vis de la CTI comme de l’AERES. Nous voulons d’abord mettre en place des cursus pérennes, qui ne soient pas pilotés par le ministère et ne risquent donc pas de dépendre de telle ou telle volonté politique. Cependant nous n’excluons pas, à moyen terme, une évaluation par l’un et/ou l’autre de ces organismes.

Maintenir le terme « d’ingénierie » n’est-il pas ambigu vis-à-vis des formations d’ingénieurs ?

Pas du tout ! Parler d’ingénieur au sens de diplômé d’une école d’ingénieurs est réservé aux établissements certifiés par la CTI mais le mot ingénieur lui-même est libre de toute utilisation ! Sur le million d’ingénieurs en poste en France, 500 000 n’ont pas le titre en tant que tel.
L’enjeu, pour nous, est celui de la lisibilité des masters universitaires, beaucoup trop nombreux. Ces dernières années, nous avons eu de plus en plus de diplômes différents, et de moins en moins d’étudiants… Au-delà de l’aspect paradoxal, cela prouve que multiplier les masters pointus n’est pas un facteur d’attractivité, tandis que les écoles d’ingénieurs, précisément, sont très lisibles pour les étudiants.
Voilà la direction que nous souhaitons aller, tout en étant complémentaires des écoles d’ingénieurs : une université n’ouvrira pas de master sur une spécialité qui recouvre celle de l’école locale. Notre idée n’est pas de « piquer » des étudiants aux écoles d’ingénieurs ! Notre vivier, ce sont les cohortes de bons étudiants scientifiques qui s’inscrivent sans grande conviction en médecine, sport ou psycho, et y échouent.

Côté insertion, à quels métiers ces masters d’ingénierie destinent-ils les étudiants ?

« Notre objectif est de former des étudiants qui occuperont des postes d’ingénieurs spécialistes »

Notre objectif est de former des étudiants qui pourront occuper des postes non pas d’ingénieurs généralistes, mais d’ingénieurs spécialistes, l’accent étant vraiment mis sur l’expertise scientifique. Là encore, il ne s’agit pas de concurrence déloyale, dans la mesure où les entreprises ont besoin de ces deux types de profils. Le problème aujourd’hui, pour les facultés scientifiques comme pour les écoles d’ingénieurs, est celui de l’attractivité des filières scientifiques et nous avons tout intérêt à travailler ensemble pour y remédier.

* La liste des 13 universités membres du réseau Figure : Avignon, Besançon, Bordeaux 1 Sciences Technologies, Cergy-Pontoise, La Rochelle, Lille 1 Sciences et technologies, Lorraine, Lyon 1 Claude Bernard, Aix-Marseille, Montpellier 2 Sciences et Techniques, Pierre et Marie Curie, Poitiers et Toulouse 3 Paul Sabatier.
L’université grenobloise Joseph Fourier devrait être la 14e adhérente.

La Cdefi s’oppose à « un diplôme d’ingénieur dégradé »

Alors que les masters d’ingénierie devraient voir le jour à la rentrée 2012, la Conférence des directeurs d’écoles françaises d’ingénieurs (Cdefi) a estimé que « le référentiel sur lequel se fonde ces établissements ne se distingue pas de celui pratiqué par la CTI dans l’accréditation des écoles d’ingénieurs » et que « ce cursus est très proche de celui proposé par les universités scientifiques au travers de leurs écoles d’ingénieurs internes ». « Pourquoi créer un diplôme à côté des Polytech quand celles-ci existent, et non pas en leur sein ? », s’interroge Christian Lerminiaux, président de la Cdefi.
Pour les écoles d’ingénieurs, le projet du réseau Figure « contribue ainsi à la complexification du paysage de l’enseignement supérieur notamment du point-de-vue des étudiants en laissant croire que deux diplômes distincts pourraient conduire à l’acquisition d’un même corpus de compétences ».
« On trompe les étudiants ! », lance même Christian Lerminiaux, qui considère que « ces masters d’ingénierie tels qu’ils sont présentés aujourd’hui constituent un sous-diplôme d’ingénieur ».
Et de plaider pour un travail en partenariat avec la Conférence des présidents d’université « sur le développement de nouvelles formations de Master sous réserve qu’elles renforcent le dispositif existant et qu’elles interviennent en complémentarité avec les diplômes actuels et en particulier avec le diplôme d’ingénieurs ».

Propos recueillis par Sophie Blitman | Publié le