APB : la vie après le bac

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APB : la vie après le bac
Si la procédure d'orientation postbac est émaillée de maladresses qui pourraient être évitées, l'utilisation d'un algorithme présente des avantages. // ©  Upec
Sur le site de "The Conversation France", Serge Abiteboul, directeur de recherche à Inria, membre de l'Académie des sciences, professeur affilié à l'ENS Paris-Saclay, et Clémence Réda, étudiante à l'ENS Paris-Saclay, analysent le recours à l'algorithme dans le cadre de l'orientation postbac. Ils soulignent les atouts de ce système, toujours perfectible, dans l'affectation des lycéens dans l'enseignement supérieur.

D'un côté, quelques mois avant l'examen du bac, les lycéens postent sur le site d'Admission postbac la liste de leurs choix d'enseignement supérieur, dans l'ordre de préférence, et limitée à une quarantaine de possibilités ; ce qui représente plusieurs centaines de milliers de listes. De l'autre, les différentes formations indiquent le nombre de places disponibles, ainsi que les conditions d'admission ; plus de dix mille d'entre elles transmettent ces informations au site.

Le jour J arrivé, la moulinette (un algorithme) tâchera d'affecter les élèves aux formations, en satisfaisant "au mieux" les attentes de chaque partie. Nous avons donc délégué cette tâche des plus importantes, qui ne décide de rien de moins que de l'avenir de nos propres enfants, à un simple algorithme. Mais pas de panique !

Avant tout, évitons le : "C'était mieux avant"

Avant, sans outil de centralisation, il était indispensable de fouiller les recoins des sites des diverses possibilités postbac, afin d'en extraire les modalités d'une candidature, qui étaient évidemment loin d'être similaires d'une formation à l'autre.

Avant, les élèves étaient encore plus mal informés. Avant, les "on-dit" précipitaient déjà des bataillons d'élèves vers quelques formations prestige ou à la mode.

Les dilemmes d'aujourd'hui, pour spécifier l'ordre de la liste des préférences, ne sont pas plus cornéliens que ceux d'hier.

L'appréhension que ressentait un élève d'hier, vis-à-vis des retours de ses multiples candidatures, vaut bien celle de celui qui, aujourd'hui, attend la réponse d'un algorithme. Les dilemmes d'aujourd'hui, pour spécifier l'ordre de la liste des préférences, ne sont pas plus cornéliens que ceux d'hier, qui précédaient un choix entre plusieurs offres.

Traité par des administrations débordées, ou par un programme informatique, le problème est délicat, et on peut évidemment comprendre l'énorme frustration de l'élève qui a candidaté pour la formation de ses rêves, et qui s'en trouve exclu par un simple tirage au sort. Mais la faute ne doit pas être imputée à l'algorithme lui-même.

Elle vient d'un choix sociétal de privilégier des filières pour le supérieur non sélectives, où le nombre de candidats dépasse parfois largement celui des places disponibles. À défaut de réelle sélection, on laisse le hasard décider, que ce soit via un algorithme, ou une personne qui joue à pile ou face.

Les avantages de l'algorithme

De plus, si la procédure est émaillée de maladresses qui pourraient être évitées, l'utilisation d'un algorithme présente des avantages. Avec l'aide de l'informatique, la méthode d'affectation est bien plus efficace, en temps, et en ressources techniques et humaines. Nous verrons d'ailleurs que, d'un point de vue purement algorithmique, le problème est relativement simple.

Il est même possible de garantir que l'affectation soit "optimale", c'est-à-dire qu'elle satisfasse un maximum de contraintes parmi celles données par à la fois les élèves et les formations, ce qu'une méthode "à la main" ne permettait pas au bon vieux temps.

Surtout, il est possible de garantir également l'équité des affectations, de ne pas favoriser ou défavoriser un élève en se basant sur son origine ethnique, son genre, etc. Nous n'avons plus besoin de devoir nous fier à la conscience morale des jurys : l'algorithme ne se réfère qu'au code qui l'implémente, au programme explicitement écrit, aux règles et non à des interprétations plus ou moins osées.

Toutes ces règles peuvent être incluses dans l'algorithme (mais pas en même temps). La difficulté est de choisir !

La difficulté n'est pas tant de trouver un algorithme efficace, que de définir les règles propres à la sélection de candidats. Leur choix est avant tout sociétal.

Est-ce que nous voulons, par exemple, que les candidates soient exclues des filières scientifiques ? Est-ce que nous considérons que les sciences fondamentales ou expérimentales ne leur sont pas destinées ? Ou voulons-nous, au contraire, appuyer la candidature des jeunes filles, plutôt que celles de leurs camarades masculins avec des dossiers sensiblement proches, dans les formations scientifiques de prestige, pour essayer de rattraper le déséquilibre actuel ? Ou encore, souhaitons-nous que l'algorithme ne prenne pas en compte le genre ? Toutes ces règles peuvent être incluses dans l'algorithme (mais pas en même temps). La difficulté est de choisir !

Le principal problème d'APB est son opacité !

La confiance, dans les règles régissant ce processus d'affectation, est essentielle. Les règles adoptées doivent pouvoir être discutées, contestées, approuvées. Mais comment les approuver, comment les contester, comment les discuter, si elles restent confidentielles ?

On connaît les arguments : le code est trop complexe pour être montré ; s'il est connu, les élèves tenteront de contourner le système. Mais aucun n'est vraiment solide. D'ailleurs, le gouvernement a annoncé que les textes qui spécifient l'algorithme en question seraient publiés : "Nous allons donc dévoiler l'un des secrets défense les mieux gardés : l'algorithme d'APB !" a affirmé Thierry Mandon, avec un certain humour.

Pour nous, il ne suffit pas d'en dévoiler les grandes lignes, que les spécialistes connaissent déjà plus ou moins. Il faut mettre le programme informatique sur la place publique, pour qu'il puisse être débattu, peut-être corrigé, afin que la société l'accepte.

Le gouvernement ouvert

De manière générale, les gouvernements, les administrations, s'appuient de plus en plus sur des algorithmes, qui prennent ainsi une place de plus en plus grande dans notre vie quotidienne. Leur but est d'améliorer le fonctionnement des institutions. Néanmoins, les algorithmes ne décideront jamais à notre place : c'est bien nous qui choisirons les règles qui les déterminent. Il faut bien garder à l'esprit que les choix effectués par un algorithme sont, à l'origine, implémentés, programmés, écrits, par des humains.

Dans une approche "ouverte" du gouvernement (ou de la démocratie), le fonctionnement précis des logiciels qui nous gouvernent n'a pas à être secret. Et effectivement, le projet de loi sur la République numérique inclut un article créant "un droit d'accès aux règles définissant les traitements algorithmiques utilisés par les administrations publiques et aux principales caractéristiques de leur mise en œuvre, lorsque ces traitements débouchent sur des décisions individuelles."

Nous devrions aussi pouvoir consulter les entrailles des logiciels, au niveau de l'algorithme même, pour pouvoir vérifier les règles sur lesquelles ils prétendent se fonder.

Il faut encore aller plus loin ! Nous devrions aussi pouvoir consulter les entrailles des logiciels, au niveau de l'algorithme même, pour pouvoir vérifier les règles sur lesquelles ils prétendent se fonder, et aussi pour pouvoir discuter d'éventuelles modifications. Ceci est nécessaire si nous voulons qu'une réelle confiance règne entre toutes les parties concernées, entre les institutions et les individus.

Il y a toujours un aspect un peu magique dans l'utilisation d'un algorithme dont on n'a pas le début d'une idée quant à son fonctionnement. Pour conclure cet article, nous voudrions vous convaincre qu'un tel algorithme n'a pas besoin d'être super compliqué. Laissez-nous vous expliquer la démarche générale pour résoudre un "problème d'affectation". Ce problème est également connu sous le nom de "problème des mariages stables", c'est bien d'APB dont il s'agit.

L'algorithme de Gale-Shapley (1962)

Lloyd Shappley a obtenu le prix Nobel d'économie en 2012 pour ses recherches sur la théorie des jeux collaboratifs, et ses travaux sur... les mariages stables. La question des mariages stables en informatique, loin d'être une affaire de mœurs plus ou moins libres, intervient assez régulièrement dans des domaines divers de notre vie quotidienne, d'Admission postbac aux sites de rencontres amoureuses par exemple. Le point commun est de former de façon optimale, c'est-à-dire en essayant de satisfaire au mieux les participants, des couples d'éléments de deux groupes distincts d'individus ou d'entités.

En l'occurrence, pour Admission postbac, nous chercherons à apparier futurs bacheliers et établissements de l'enseignement supérieur. Pour l'optimalité dans un mariage, il s'agit, par tradition, d'éviter que l'un des partenaires n'aille chercher son bonheur ailleurs ; il faudra donc s'assurer notamment qu'il n'existe pas deux lycéens associés à deux formations distinctes qui auraient pu échanger leurs affectations pour aboutir à plus de satisfaction pour tous.

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