Et de six. En moins de deux ans, ce sont déjà six ministres qui se sont succédé, plus ou moins brièvement, rue de Grenelle. Comme un symbole, dans un étrange jeu de chaises musicales, un ex-ministre de l’Education nationale, François Bayrou, devient Premier ministre, tandis qu’une ex-Première ministre, Elisabeth Borne, prend à son tour ce portefeuille aussi stratégique que délicat. Cette nomination de poids fera-t-elle de l’Education un pilier du gouvernement Bayrou ou un colosse aux pieds d’argile ?
Une nomination symbolique et de poids
C’est une super ministre qu’a souhaité nommer François Bayrou rue de Grenelle, le 23 décembre 2024. Elisabeth Borne est ainsi ministre d’Etat et surtout numéro deux du nouveau gouvernement avec un ministère de l’Education nationale élargi à l’Enseignement supérieur et à la Recherche. Une configuration que nous n’avions plus vue depuis 10 ans et le ministère unique de Najat Vallaud-Belkacem. La priorité est ainsi clairement affichée : l’Education sera au cœur de l’action gouvernementale.
Le choix est fort et pourtant il n’a pas d’emblée rassuré une communauté éducative épuisée et inquiète, oscillant entre colère et désillusion. Il a même laissé sans voix l’un de ses syndicats qui publiait ce lapidaire CP en réaction à la nomination de l’ancienne présidente de la RATP, "Là le Snalc l’avoue, il ne sait plus quoi dire".
Pourtant si l’ex Première ministre avoue elle-même depuis sa prise de fonction qu’"elle n’est pas une spécialiste" de l’éducation, c’est un sujet qu’elle a souvent évoqué et soutenu du temps de Matignon. Elle a aussi été conseillère durant deux ans rue de Grenelle auprès de Lionel Jospin puis de Jack Lang.
Il faudra agir vite mais avec grande précaution pour refonder la confiance
Elle est aussi une experte des relations sociales en tant qu’ancienne présidente de la RATP, haut lieu du dialogue social s’il en est. Mais son action au ministère du Travail puis son passage en force de la réforme des retraites à coups de 49.3 en tant que Première ministre ne rassurent pas les enseignants qui se sont sentis plus bousculés qu’entendus ces dernières années.
Le cyclone Chido est passé à Mayotte et la reconstruction de l’appareil éducatif sera longue et difficile. Et Elisabeth Borne n’est pas à l’abri qu’une autre tempête gronde au-dessus de la rue de Grenelle cette-fois. La capacité de résilience des enseignants semble s’être transformée en résignation, mais la décision ou la non-décision de trop pourraient mettre le feu aux poudres.
Consciente des défis majeurs qui l’attendent, elle a déjà annoncé qu’elle se battrait pour conserver les 4.000 postes d’enseignant qu’avait annoncé supprimer Barnier dans son budget avorté. Elle est entrée en négociation avec Bercy sur ce point dès son arrivée rue de Grenelle.
Charge à elle de trouver la recette entre stabilité, réassurance, confiance, moyens et valorisation dont a besoin la communauté éducative.
Une instabilité structurelle à l'éducation qui pénalise l'action efficace
A ce sujet, n’oublions pas que la Ve République a tout de même vu 38 ministres de l’Education se succéder. Au final, la moitié a exercé moins de 520 jours à ce poste, dont quatre moins d'un an sous Macron. C’est dire si la mise en place dans la durée de réformes est difficile dans notre pays, avec les effets délétères que nous connaissons autant pour les élèves que les personnels.
A noter aussi que sous l’ère d'Emmanuel Macron, deux records ont été battus à ce jour : celui de la longévité au poste par Jean-Michel Blanquer (cinq ans), et l’instabilité la plus forte avec cinq ministres en un an. De son côté, François Bayrou fut le troisième ministre de l’Education le plus pérenne (quatre ans), bien qu’il exerçât pour moitié en cohabitation sous François Mitterrand et l’autre moitié dans son camp sous Jacques Chirac.
La fin d'un ministère de plein exercice au sup inquiète
L’arrivée de la numéro deux du gouvernement signe également la fin d’un ministère de plein exercice pour le Supérieur et la Recherche sous Macron. C’est un homme issu de la société civile qui prend ce ministère délégué, l’ancien président du CNES Philippe Baptiste, qui a néanmoins été durant deux ans directeur de cabinet de la ministre Vidal rue Descartes.
Certes, le rapprochement scolaire et supérieur va dans le sens du renforcement de l'articulation entre les deux écosystèmes au bénéfice de la bonne orientation des élèves. Mais cette situation inquiète du côté des institutions du supérieur et de la recherche. Elles aussi alertent depuis des mois sur la double précarité qui les touche : celles de leurs établissements, à commencer par les universités, et celle de leurs étudiants.
Le budget sera scruté à la loupe tandis que le supérieur attend de pied ferme la régulation du supérieur privé lucratif, la finalisation des réformes des bourses et de la formation des enseignants, de l’autonomie des établissements d'enseignement supérieur, pour ne citer que ces enjeux.
Une vision claire et lucide sera nécessaire
Si la durée de vie du gouvernement sera un élément de sa possible action, son budget et la capacité de sa numéro deux à renouer le dialogue et la confiance seront tout aussi cruciaux. Il lui faudra aussi une vision claire et solide pour avancer dans ce brouillard.
Élisabeth Borne s’est dite "lucide" sur les difficultés qui l’attendent, mais aussi "engagée" et disposée à placer tout son poids dans la balance budgétaire au service de l’Education, "socle de la République".
Les nominations dans les autres ministères liés à l'éducation et à l'enseignement supérieur
Dans le gouvernement de François Bayrou, plusieurs ministères sont également liés à l’éducation et aux établissements d'enseignement supérieur :
Catherine Vautrin, ministre du Travail, de la Santé, des Solidarités et des Familles ;
Yannick Neuder, ministre auprès de la ministre du Travail, de la Santé, des Solidarités et des Familles, chargé de la Santé et de l'Accès aux soins ;
Eric Lombard, ministre de l'Economie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique ;
Clara Chappaz, ministre déléguée chargée de l'Intelligence artificielle et du numérique (reconduite) ;
Sébastien Lecornu, ministre des Armées (reconduit) ;
Rachida Dati, ministre de la Culture (reconduite) ;
Agnès Pannier-Runacher, ministre de la Transition écologique, de la Biodiversité, de la Forêt, de la Mer et de la Pêche ;
Annie Genevard, ministre de l'Agriculture et de la Souveraineté alimentaire (reconduite) ;
Marie Barsacq, ministre des Sports, de la Jeunesse et de la Vie associative.