Comment déterminer la valeur d’un établissement d’enseignement supérieur

Publié le
Comment déterminer la valeur d’un établissement d’enseignement supérieur
Les écoles françaises du groupe Laureate, dont l'Inseec, ont été rachetées par Apax Partners en avril 2016. // ©  Inseec
Sur "The Conversation France", Safwan Mchawrab, professeur associé à Grenoble École de management, se penche sur les derniers rachats et sur le renforcement de la présence de fonds d'investissement dans le secteur. L'entrée en vigueur du nouveau statut d'école d'enseignement supérieur consulaire pourrait amplifier cette tendance.

Le 27 septembre dernier, la chambre de commerce et de l'industrie de Brest (CCI Brest) annonce un "partenariat" avec le groupe chinois Weidong Cloud Education. Ce dernier devient majoritaire avec 70 % des parts de l'association ESC Force Ouest (l'entité juridique gestionnaire de l'école de commerce de Brest – Brest Business School), le reste sous contrôle de la CCI.

La présentation financière de cette transaction évoque un projet de "déploiement" sur la période 2016-2020 d'un montant de 10,7 millions d'euros, financé par Weidong à hauteur de 7 millions d'euros, le reste (3,7 millions d'euros) représentant l'apport de la CCI Brest. Doit-on en déduire à travers ce montage financier que la valeur estimée de BBS est de 11 millions d'euros (en divisant l'apport de Weidong par la part de contrôle) ?

La question de la valeur s'impose

La question de la valeur d'un établissement de l'enseignement supérieur (EES) s'impose depuis quelques années pour plusieurs raisons.

D'une part, l'entrée en vigueur de la loi du 20 décembre 2014, créant un nouveau statut EESC (établissement d'enseignement supérieur consulaire). La nouvelle loi permet aux établissements consulaires (détenus par les chambres) d'ouvrir leur capital à d'autres actionnaires. Cette décision stratégique implique entre autres une valorisation des établissements en question pour attribuer des parts en fonction des montants des apports à chaque nouvel actionnaire.

D'autre part, une série de transactions ont eu lieu dans le secteur de l'enseignement supérieur (achats et ventes de plusieurs groupes et établissements). Plusieurs groupes et EES privés ont été le sujet d'une opération d'achat/vente.

La loi du 20 décembre 2014 permet aux établissements consulaires d'ouvrir leur capital à d'autres actionnaires.

Le dynamisme du secteur de l'enseignement supérieur

Le 19 avril dernier, le fonds d'investissement français Apax Partners a annoncé la signature d'un accord avec le leader mondial de l'enseignement supérieur, "le groupe Laureate", pour l'achat de sa filiale française, LIUF (Laureate international universities France SAS). Ainsi, Apax Partners, avec la bénédiction du Bpifrance (qui a investi à hauteur de 10 % dans cette transaction), a acheté la filiale française de Laureate pour un montant non communiqué. La presse évoque plus de 200 millions d'euros.

Suite à cette transaction, Apax Partners, qui est présent dans quatre autres secteurs (technologie, santé, distribution et services), ne fait que consolider sa présence dans le secteur de l'enseignement supérieur, en devenant un des grands acteurs avec ses 17 écoles et plus de 20.000 étudiants. […]

En 2015, Providence Equity partners a acheté le groupe Studialis (réseau d'écoles d'enseignement supérieur, dont Paris School of Business, PSB ou également ESG) pour 275 millions d'euros. Le groupe Studialis faisait partie du portfolio d'actifs détenus par Bregal Capital (un fonds d'investissement britannique).

Acquérir des parts ou parfois l'intégralité d'un établissement d'enseignement supérieur est à la fois stratégique et surtout rentable.

Par ailleurs, Laureate, le leader mondial de l'enseignement qui se définit comme un réseau de plus de 80 universités et institutions et compte environ un million d'étudiants inscrits, est détenu par le fonds d'investissement KKR. D'autres fonds d'investissement sont également présents dans l'enseignement supérieur en France (Providence Equity Partners, Duke Street, Bregal Investment, etc.).

Plusieurs raisons justifient cet engouement. D'une part, le secteur de l'enseignement supérieur connaît une forte croissance ces dernières années, et surtout affiche une stabilité grâce à des barrières à l'entrée (visa des diplômes, législation, accréditations, etc.). Pour d'autres, cet engouement se justifie par l'intérêt stratégique et financier que représente ce secteur auprès des fonds d'investissement.

Acquérir des parts (Laureate) ou parfois l'intégralité (Inseec) d'un EES est à la fois stratégique (diversification) et surtout rentable.

Pour Anne Vinokur, économiste et chercheuse spécialisée dans l'enseignement supérieur, les fonds d'investissement sont surtout attirés par la rentabilité de ce secteur. Elle évoque une rentabilité moyenne à deux chiffres lors de ces dernières années. La valorisation de ces EES est donc une étape cruciale.

La valeur d'un EES : une démarche plus complexe que prévue

Rappelons d'abord que dans les transactions opérées par les fonds d'investissement, le prix payé pour un EES n'a jamais été communiqué officiellement (il est souvent dévoilé plusieurs années plus tard). En revanche, la presse spécialisée et professionnelle n'hésite pas à dévoiler des montants (basés sur des rumeurs et/ou des sources) et qui sont souvent très proches du montant officiel.

Selon cette même presse, les montants avancés varient entre 10 et 14 fois l'EBITDA [Earnings before interest, taxes, depreciation and appreciation] (l'équivalent de l'EBE ou l'excédent brut d'exploitation). En d'autres termes, le prix payé représente 10 à 14 fois l'EBITDA généré par ces établissements. Il s'agit donc d'une fourchette de prix et pas d'une fourchette de valeur.

Les praticiens sur le marché se réfèrent majoritairement aux méthodes comparables (dites aussi multiples). Il suffit de constituer un échantillon d'entreprises similaires ou comparables (ou parfois des transactions d'acquisition d'entreprises similaires), pour ensuite appliquer un multiple de chiffre d'affaires, de l'EBE (EBITDA) ou du résultat net et enfin calculer une moyenne qui sera considérée comme une sorte de benchmark. Il s'agit tout simplement d'une estimation du "prix" (pricing) de l'entreprise et non pas de sa valeur puisqu'ils se basent sur le prix du marché. […]

Que faut-il faire pour estimer la valeur d'un EES ?

D'abord, il ne faut pas rejeter la méthode des comparables. Le "prix" estimé par cette méthode permet d'avoir une idée de ce qu'en pense le marché (l'industrie). Il faut donc procéder à une analyse de ce "prix" en estimant une valeur qui sera basée sur les fondamentaux intrinsèques de l'actif. De ce fait, la fourchette 10-14 fois l'EBITDA est un indicateur, mais pas une référence !

Ensuite, et s'agissant des EES consulaires ou associatifs, il faut d'abord signaler des différences par rapport à un EES privé et globalement une entreprise classique. D'une part Le reporting financier est différent. On ne raisonne pas en chiffre d'affaires (comme c'est le cas dans les EES privées ou n'importe quelle entreprise), mais plutôt en budget ou recettes. On ne verse pas de dividendes (comme c'est le cas dans les EES privés), mais on réinvestit les excédents pour financer des investissements. Des différences non négligeables qui donc requièrent des ajustements dans la démarche.

D'autre part, en plus de cette distinction qui peut avoir un impact considérable sur la démarche de valorisation, s'ajoute une série de questions.

Comment aborder les subventions et les financements en provenance des collectivités et/ou des entreprises partenaires, mais également les fonds en provenance des fondations qui ont un impact sur le budget et les fondamentaux ? Faut-il les inclure ou les exclure du chiffre d'affaires ?

Imaginez la valeur de HEC avec et sans le campus de 138 hectares de Jouy-en-Josas (Yvelines) !

Comment traiter la question de l'actif immobilier et son impact sur la valeur de l'école ? Notons que les écoles ayant le statut consulaire ou associatif ne sont pas propriétaires de leurs actifs immobiliers (et en particulier les bâtiments et les terrains). Ces actifs sont mis à disposition par les chambres de commerce (les écoles les louent souvent pour un montant dérisoire). Tandis que les écoles de l'enseignement privées ont la possibilité de posséder ces actifs. Cette distinction peut avoir un impact considérable sur la valeur de l'école. Imaginez la valeur de HEC avec et sans le campus de 138 hectares de Jouy-en-Josas (Yvelines) !

De plus, comment traiter la recherche, et les articles publiés (et leurs étoiles) par les enseignants-chercheurs et qui demeure un des critères les plus importants dans le classement des écoles ? S'agit-il d'un actif intangible ? La réponse est plus évidente dans une logique purement comptable (plutôt non). Or en Finance, la question de la valeur de cet actif et surtout son impact peut se poser.

Quelle valeur attribuer aux innovations pédagogiques, aux Mooc, aux plates-formes d'e-learning, à l'executive education, etc. ?

Comment intégrer les classements, les accréditations, l'internationalisation, les partenariats, les doubles diplômes entre autres dans la démarche de valorisation ?

Et enfin, quelle valeur doit-on attribuer au corps professoral ? S'agit-il d'un actif intangible à l'instar des joueurs dans les clubs de football professionnels (même si pour le moment les écoles n'ont pas la possibilité de vendre/acheter ces enseignants-chercheurs "stars" dans le "mercato" de l'enseignement supérieur comme c'est le cas pour les joueurs de football et surtout les reporter dans leur actif) ? […]

Lire l'intégralité de l'article

| Publié le