Université Sorbonne-Paris-Cité : une fusion sans complémentarité

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Université Sorbonne-Paris-Cité : une fusion sans complémentarité
Pour Paolo Tortonese, la complémentarité disciplinaire n'existe pas entre Paris 3 et Paris 7, les deux partenaires de la fusion avec Paris 5. // ©  Photothèque Paris-Descartes Dominique Cartelier
Professeur de littérature française à l'université Sorbonne-Nouvelle, Paolo Tortonese répond à Frédéric Dardel, président de l'université Paris-Descartes, sur le projet de fusion entre Paris 3, Paris 5 et Paris 7. Selon lui, il faut éviter "des fusions qui aboutiraient à une restructuration économique pure et simple".

Le président de l'université Paris-Descartes a expliqué, dans une interview à EducPros, le 7 octobre 2016, les raisons de son opposition à une fusion entre les quatre universités qui font partie de la Comue USPC [Université Sorbonne-Paris-Cité]. Il préfère, comme on le sait, limiter l'opération à trois universités et en exclure Paris 13. Son principal argument est simple et clair, et mérite d'être pris en considération par tous ceux qui s'interrogent sur les avantages et les désavantages d'une fusion.

des chevauchements disciplinaires

M. Dardel affirme à juste titre que "ce regroupement de Paris 3, Paris 5, Paris 7 et Paris 13 impliquerait beaucoup de recouvrements disciplinaires en chimie, en biologie, en psychologie, etc". En effet, dans ces disciplines (dont l'une, la biologie, est celle que M. Dardel enseigne), les universités Paris 5 Descartes et Paris 7 Diderot seront confrontées à une situation de chevauchement disciplinaire, qui risque de se résoudre en une restructuration classique : les taux d'encadrement augmentant, pendant des années les postes seront supprimés. D'où un grave affaiblissement de la recherche dans ces disciplines, et de leur enseignement.

Les universités Paris 5 Descartes et Paris 7 Diderot seront confrontées à une situation de chevauchement disciplinaire, qui risque de se résoudre en une restructuration classique.

M. Dardel remarque que "dans les précédentes fusions universitaires, jamais le problème ne s'est posé en ces termes : à Bordeaux ou à Grenoble, les fusions ont réuni ce qui existait auparavant en termes de champ disciplinaire". Il est tout à fait vrai que la situation est très différente entre Paris et les autres villes universitaires. Les villes où les deux ou trois universités présentes correspondent à des groupes de disciplines séparés par une scission, intervenue vers 1970, n'ont pas de mal à revenir à une université unique, sachant que les chevauchements disciplinaires y sont exclus d'emblée.

En revanche dans la capitale, où le démembrement de l'ancienne université de Paris, coupée en six morceaux en 1969, a donné lieu à des doublons (Paris 1 [Panthéon-Sorbonne] et Paris 2 [Panthéon-Assas] pour le droit et les sciences sociales, Paris 3  [Sorbonne-Nouvelle] et Paris 4 [Paris-Sorbonne] pour les humanités, Paris 5 [Descartes] et Paris 6 [Pierre-et-Marie-Curie] pour les sciences et la santé), on ne peut reconstituer des ensembles cohérents sans se donner un critère disciplinaire strict, pour éviter les recouvrements. Et sans prendre en compte la singularité de l'université Paris 7 Diderot, qui, fondée en 1971, est la seule omnidisciplinaire dans le centre de Paris : cas peu propice aux fusions.

Une fusion entre les seules Paris 3 et Paris 5 aurait été raisonnable, mais, hélas, personne ne l'a réclamée.

pas de complémentarité entre Paris 3 et Paris 7

Or, le critère de la complémentarité disciplinaire est sans aucun doute prioritaire, si l'on veut remembrer ce qui a été démembré en 1969. Les autres critères envisageables, bien sûr, étant la taille et la localisation. Il est souhaitable de réunir des universités qui puissent constituer des unités le plus possible omnidisciplinaires, ce dont M. Dardel est conscient quand il affirme : "Et, pour aboutir à une université omnidisciplinaire, nous avons besoin des lettres de Paris 3, pour rétablir l'équilibre." Il insiste sur ce point : "Avec Paris 3, nous sommes dans la complémentarité." Il a parfaitement raison, mais il ne semble pas prendre en considération un fait : que cette complémentarité n'existe pas entre Paris 3 et Paris 7, les deux partenaires de la fusion avec Paris 5.

En effet, presque toutes les disciplines de Paris 3, qui ne sont pas nombreuses, sont aussi présentes à Paris Diderot : arts du spectacle, sciences du langage, langues (notamment études anglophones), littérature française, didactique du FLE, médiation culturelle, communication.

La complémentarité que M. Dardel constate entre Paris 3 et Paris 5 n'est donc pas présente entre Paris 3 et Paris 7. Une fusion entre les seules Paris 3 et Paris 5 aurait été raisonnable, mais, hélas, personne ne l'a réclamée. Elle aurait été parallèle à celle entre Paris 4 et Paris 6, qui sont en effet des universités complémentaires.

Il serait peu judicieux de croire qu'un recoupement entre les études anglophones de Paris 3 et de Paris 7 serait moins nocif que celui que M. Dardel veut éviter entre la biologie de Paris 5 et celle de Paris 13. Un peu d'empirisme et un peu de cohérence imposent donc d'éviter des fusions qui aboutiraient non pas à la collaboration scientifique, telle que tous les universitaires la souhaitent, mais à la restructuration économique pure et simple, en mettant sérieusement en péril un grand nombre de disciplines, et en menaçant gravement l'avenir des jeunes qui se consacrent à la recherche dans ces domaines."

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