La (trop) fragile réussite en licence des étudiants des classes populaires

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La (trop) fragile réussite en licence des étudiants des classes populaires
Des étudiants de l'université Paris 3 // © Sorbonne-Nouvelle / E.Prieto // ©  Sorbonne-Nouvelle / E.Prieto
Dans cette tribune qui paraîtra en version intégrale dans "Regards croisés sur l'économie", Cédric Hugrée, chargé de recherche CNRS, Cresppa-CSU (CNRS/Paris 8), analyse le déplacement de la sélection scolaire vers le premier cycle universitaire.

"En matière d'inégalités scolaires, l'université française des années 2010 n'est déjà plus exactement la même qu'au début des années 1990, au moment de la seconde explosion scolaire, lors de la croissance des effectifs de bacheliers et d'étudiants des premiers cycles universitaires.

Les nouveaux pourfendeurs de la sélection à l'entrée de l'université dramatisent en effet à l'envie la "baisse du niveau" et la "fuite" des premiers cycles par les nouveaux bacheliers.

La fin des héritiers en tant que figure idéal-typique de l'étudiant semble concomitante de la première explosion scolaire à l'université dans les années 1960, qui avait vu notamment les effectifs de l'enseignement secondaire augmenter fortement : déjà à cette époque plusieurs enquêtes témoignent de la petite ouverture sociale et scolaire à l'œuvre dans les universités qui bénéficient d'un quasi-monopole de formation sur les nouveaux bacheliers.

L'arrivée à l'université des étudiants issus des classes populaires

Mais, c'est véritablement dans les années 1990, à l'occasion de la seconde explosion scolaire et de la massification des premiers cycles universitaires que la figure idéal-typique de l'étudiant-héritier est définitivement remplacée par celle des "nouveaux étudiants" issus des classes populaires, et souvent titulaires de baccalauréat technologiques et professionnels.

On assisterait ainsi à un déplacement de la sélection scolaire vers le premier cycle universitaire. Cet argument fait pourtant oublier que la grande nouveauté de l'université des années 2000 est désormais de faire cohabiter des bacheliers généraux aux niveaux scolaires différents dans des filières identiques et au niveau de la troisième année de licence. [...]

La grande nouveauté de l'université des années 2000 est désormais de faire cohabiter des bacheliers généraux aux niveaux scolaires différents dans des filières identiques.

Les trois voies d'accès à l'université

Pour les étudiants des classes populaires, il y a ainsi trois manières d'entrer à l'université. La principale (45% des parcours) est d'avoir été un "bon" élève tout au long du secondaire, c'est-à-dire d'être entré en sixième en maîtrisant les savoirs élémentaires en français et mathématiques et d'avoir obtenu un bac dans les temps.

Il existe ensuite deux autres parcours typiques, moins importants quantitativement : d'une part, ceux des bacheliers redoublants (21%) qui ont connu un accroc scolaire, le plus souvent au lycée, malgré une bonne maîtrise des savoirs élémentaires à l'entrée en sixième ; et d'autre part, ceux des bacheliers les plus fragiles scolairement, entrés en sixième avec des difficultés scolaires et ayant obtenu leur bac avec un retard ou plus. 

Deux parcours pour décrocher une licence

Pour les étudiants des classes supérieures, l'entrée à l'université se fait essentiellement (61%) en ayant été un "bon" élève au cours de la scolarité secondaire et de façon marginale après un redoublement (22%).

Ensuite, quelle que soit l'origine sociale (populaire ou supérieure), il n'y a finalement que deux manières de décrocher une licence en trois ou quatre ans : soit en ayant eu un parcours de "bon" élève (environ 60%), soit après avoir connu un redoublement (environ 20%).

Pour les étudiants des classes populaires donc, il y a bien trois manières d'entrer à l'université et deux d'y décrocher une licence. La question reste cependant entière pour juger ce résultat comme une réussite.

l'enjeu de la réussite en licence

Dans les commentaires récents sur la crise de l'université, on sait combien l'appréciation de la réussite à l'université n'était pas étrangère à certaines formes d'ethnocentrisme scolaire.

Les scolarités des enseignants en général et des enseignants-chercheurs en particulier, tout comme celle de leurs enfants, étant marquées par des ambitions scolaires peu enclines à se satisfaire de "scolarités honorables", c'est-à-dire globalement bonnes mais aussi loin d'être excellentes, que connaissent en fait la grande majorité des étudiants des milieux populaires (Hugrée, 2010). 

L'enjeu est de faire en sorte que les bacheliers n'aient plus à faire le pari de l'usure de l'institution ou celui de la sous-sélection.

Pour autant, on sait combien est insatisfaisante la posture qui se satisfait de l'actuelle situation en relativisant les ratés de la massification des premiers cycles universitaires et les transformations récentes du jeu universitaire.

L'enjeu est donc bien désormais de démocratiser l'université et de faire en sorte que les bacheliers dont les acquis du secondaire sont parfois fragiles n'aient plus seulement à faire le pari de l'usure de l'institution ou celui de la sous-sélection. Mais bien qu'ils viennent à l'université et qu'ils en sortent en ayant largement rattrapé et compensé les lacunes intellectuelles que certains parcours d'accès à licence laissent entrevoir.

À coup sûr, une telle ambition n'est possible qu'en exigeant beaucoup de ces étudiants et en leur donnant beaucoup. Il est temps désormais que la mobilisation exceptionnelle de l'institution scolaire dont bénéficient quelques excellents élèves à peine leur bac en poche soit aussi celle que connaissent la majorité des bacheliers."

Cédric Hugrée, chargé de recherche CNRS, Cresppa-CSU (CNRS/Paris 8)

L'intégralité de l'article sera prochainement consultable dans le dernier numéro de "Regards croisés sur l'économie", "L'université désorientée", en ligne sur Cairn.info.

Soirée-débat "Comment améliorer les conditions de vie des étudiants ?"
À l'occasion de la sortie de son numéro sur "L'université désorientée", la revue "Regards croisés sur l'économie" organise mardi 13 octobre une soirée-débat à l'ENS (École normale supérieure) dont EducPros est partenaire.
Guillaume Houzel, directeur du CNOUS, l'économiste Yannick L'Horty et Isabelle This-Saint-Jean, vice-présidente du conseil régional d'Île-de-France, échangeront sur le thème "Comment améliorer les conditions de vie des étudiants".

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