Emploi des jeunes : la tribune de l’Institut Montaigne pour un contrat de travail unique

Maëlle Flot Publié le
L'Institut Montaigne publiait il y a un an son rapport « 15 propositions pour l'emploi des jeunes et des seniors » (septembre 2010). Dans la continuité de ce rapport, le laboratoire d'idées créé en 2000 par Claude Bébéar publie l'étude "Un CDI pour tous". Il apporte des précisions sur sa proposition phare : un contrat de travail unique. Un moyen selon l’Institut de contrer le sous-emploi des jeunes et le recours systématique aux contrats précaires pour cette catégorie de population.

etrouvez, en avant-première sur EducPros, le deuxième mardi de chaque mois, une tribune de l’Institut Montaigne sur des problématiques liées à la jeunesse, à l’emploi et/ou à l’éducation.

« En droit du travail privé, on rencontre deux grands types de contrat : le CDI et le CDD. Le CDI est censé être la norme ; le CDD, l’exception. En pratique, 80% des embauches sont faites par CDD. C’est notamment la forme préférentielle d’emploi des jeunes de moins de 25 ans. Sous-employés, les jeunes le sont surtout via des contrats précaires, et particulièrement via des CDD ou contrats d’intérim. Ils mettent en outre, en moyenne, cinq ans à sortir de ces contrats précaires.
Or, les conséquences du recours aux CDD se font sentir bien au-delà du simple cadre professionnel. Pour les jeunes, cela se traduit par un retard croissant dans l’entrée dans la vie adulte, sur un plan matériel et familial, et une impression, commune aux salariés en CDD, d’être des salariés « de seconde zone ».

Les jeunes et les peu diplômés, premières victimes des contrats courts

Ce sont les jeunes et les personnes peu diplômées et peu qualifiées qui sont principalement visés par ces contrats courts.

En effet, la part des « formes particulières de l’emploi » (à savoir CDD et contrats saisonniers, intérim, stages et contrats aidés, apprentissage) s'établissait, en 2009, à près de 50% parmi les 15-24 ans, contre 12,6% des actifs sur l’ensemble de la population. Ainsi, la moitié des salariés embauchés en CDD, stage ou apprentissage ont moins de 29 ans, alors que la moitié des salariés en contrat à durée indéterminée (CDI) ont plus de 43 ans.

Seuls 30% des jeunes signent un CDI pour leur première embauche. Les 70% restants sont contraints de jongler entre contrats précaires (CDD, stages, contrats aidés, intérim, etc.) et chômage. Tous diplômes confondus, cinq ans en moyenne sont nécessaires pour s’insérer durablement dans l’emploi. Le niveau de diplôme est également déterminant puisque la proportion de jeunes détenteurs du brevet ou sans diplôme occupant un emploi précaire est deux fois plus élevée que celle des jeunes diplômés de l’enseignement supérieur.

Comme l’a souligné le Conseil d’orientation pour l’emploi, « du fait de l’accès majoritaire à des emplois à durée déterminée, les phases d’insertion des jeunes sur le marché de l’emploi sont caractérisées par une forte “mobilité”, avec des entrées et des sorties de l’emploi plus nombreuses que pour les autres actifs». Impossible dans le cas d’une telle instabilité d’avoir une visibilité sur le long terme, de concrétiser des projets, de contracter un emprunt ou encore d’être crédible au moment de louer un appartement.

Aujourd’hui, notre marché du travail tend à réserver les emplois stables aux personnes les plus expérimentées et les plus qualifiées. Les rigidités de notre droit du travail alimentent la précarité des plus fragiles puisqu’elles incitent à une multiplication démesurée des embauches en CDD par rapport aux besoins réels au regard des règles légales justifiant le recours au CDD.

«Unifier les formes de contrat de travail dans le cadre d’un CDI pour tous, tout en assouplissant le contrat, de manière encadrée et sécurisée»

La souplesse illusoire du CDD

La distinction entre CDD et CDI crée en effet un droit du travail à deux vitesses, avec d’un côté les salariés en CDD dont les horaires, le salaire, les fonctions changent à chaque nouveau contrat, et qui ne peuvent prétendre ni au droit du licenciement économique, ni à diverses protections (comme celle des salariées enceintes contre le licenciement) ; et les salariés en CDI protégés tant contre la rupture de leur contrat (par le droit du licenciement) que contre la modification de leur contrat (par une jurisprudence très complexe).
C’est la source du succès du CDD : la souplesse qu’il est censé permettre, panacée que les incertitudes et la complexité des règles relatives à l’évolution du contrat de travail paraissent interdire dans le cadre d’un CDI. L’objet réel de bien des CDD consiste à éviter le droit du licenciement et à remettre en cause librement toutes les conditions de travail.

Mais cette souplesse est illusoire, le recours aux CDD étant strictement encadré par des règles généralement non respectées. En outre, en recourant au CDD faute de pouvoir modifier le CDI, l’employeur renonce aux avantages de l’expérience et de la formation acquises au fil de l’ancienneté d’un salarié.

Dans ce contexte, pour les jeunes mais aussi les autres, il apparaît nécessaire d’unifier les formes de contrat de travail en rééquilibrant les rapports employeurs – salariés dans le cadre d’un CDI pour tous, impliquant de supprimer le CDD et l’intérim, les deux principales formes de contrat précaires actuels, tout en assouplissant le contrat, de manière encadrée et sécurisée. Subsisteraient les contrats aidés.

Cela ne peut se faire sans aménagement, au vu du droit existant. Dans les cas de recours au CDD prévus par la loi (ou presque tous ces cas), permettre à l’employeur de recourir à un contrat court est normal : si un salarié malade doit être remplacé pendant son arrêt maladie, il est logique que l’employeur puisse rompre le contrat du remplaçant au retour du malade.

Il faut donc, dans le cadre du CDI généralisé, admettre que certains CDI comportent un objet initial défini (exclusivement dans les cas précis correspondant actuellement aux cas de recours au CDD) ; et que la réalisation de cet objet initial défini constitue un motif de licenciement réel et sérieux, assorti des garanties procédurales et de préavis propre au droit du licenciement, ainsi que d’une obligation préalable de reclassement.

Puisque l’abus dans le recours aux CDD, qui nuit tellement aux jeunes et à tous les employés concernés, répond à une soif de souplesse, pérenniser l’emploi du salarié en CDI à objet initial défini qui auparavant était un salarié en CDD suppose que l’on puisse permettre de sécuriser les évolutions du CDI.

Il ne s’agit pas de donner à l’employeur la possibilité de modifier ce qu’il veut, mais simplement de lui permettre de demander l’exécution des clauses contractuelles auxquelles le salarié a consenti, dans le respect du principe d’exécution de bonne foi du contrat.

C'est l’objet de l’étude «Un CDI pour tous» : créer un statut protecteur minimal pour tous, mais aussi une faculté d’évolution équilibrée dans toute relation de travail. »

Céline Gleize, avocat associé, Vinci Société d’avocats, auteur de l’étude « Un CDI pour tous» de l'Institut Montaigne.

Maëlle Flot | Publié le