"Evaluations des acquis des élèves : la décennie perdue des réformes", la chronique de Nathalie Mons

Maëlle Flot Publié le
Dans le cadre de notre partenariat avec l'émission Rue des écoles sur France Culture, EducPros vous propose chaque semaine le texte de la chronique de Benoît Falaize ou de Nathalie Mons. Cette semaine, Nathalie Mons, maître de conférences à l'université de Paris-Est-Marne-la-Vallée, plaide pour davantage de contrôle externe des évaluations nationales, un modèle qui prévaut dans la majorité des pays européens.

Dans votre chronique d’aujourd’hui, vous souhaitez nous parler aussi d’évaluation, mais d’un type particulier.

Oui, je souhaite évoquer des évaluations dont les professionnels de l’éducation mais aussi les citoyens entendent de plus en plus parler dans les médias. Elles répondent au nom un peu technique d’« évaluations standardisées ». Ce sont des tests qui sont administrés de façon identique à tous les élèves pour connaître les connaissances et compétences qu’ils ont acquis à l’école. Ces tests se développent de plus en plus en France, en particulier au primaire, ainsi que dans tous les pays européens. Ils peuvent certes servir aux enseignants, mais doivent également permettre d’évaluer l’action du personnel politique. Si, au vu de ces évaluations, les résultats des élèves s’améliorent, c’est que les réformes mises en place sont positives ; s’ils stagnent, voire s’ils se dégradent, c’est que les politiques menées n’ont pas atteint leurs objectifs.

Vous pensez que ces évaluations standardisées sont de plus en plus présentes dans le débat public en France ?

Oui, et c’est normal. À l’approche d’une élection importante – la présidentielle –, le gouvernement actuel se doit de présenter un bilan chiffré des résultats de son action. Est-ce que les réformes conduites depuis cinq ans dans le système éducatif ont des conséquences positives, notamment sur les acquis des élèves ? Dès juin dernier, Luc Chatel, ministre de l’Éducation, a commencé à pratiquer cet usage politique des évaluations standardisées. Il a ainsi mis en évidence que les tests administrés aux élèves du primaire en CE1 depuis 2009 attestaient de nets progrès et commençaient donc à valider les réformes entreprises dans le primaire. Je cite l’une de ses communications au Conseil des ministres, le 29 juin 2011 : « Les élèves de CE1 constituent la première cohorte à avoir bénéficié de la réforme [du primaire] depuis la grande section de maternelle. Les résultats obtenus sont encourageants, puisque près de 80% des élèves arrivent en fin de CE1 en ayant de bons acquis en français et en mathématiques. Plus précisément : 78,4% en français, en progression de 3,8 points par rapport à l’année 2010 et de 5,6 points par rapport à l’année 2009 ; 78,7% en mathématiques, contre 77,4% en 2010 et 74,8% en 2009. » (1).

Donc la réforme de l’école entamée par Xavier Darcos et poursuivie par Luc Chatel va dans le bon sens ?

On le souhaiterait évidemment tant les enjeux sont importants en la matière. Mais, malheureusement, pour la scientifique que je suis, les choses ne sont pas aussi simples et claires que les résultats décrits par Luc Chatel. Les évaluations standardisées du primaire – dont il faut rappeler qu’elles n’ont pas été conçues initialement par la direction du ministère compétente dans ce domaine – sont entachées de multiples biais, qui handicapent en particulier leur comparabilité dans le temps. Par exemple, il faut savoir que, pour l’évaluation de CE1, une partie significative des questions de 2011 était identique à celles de 2010. C’est comme si vous aviez deux années de suite le même sujet au bac.

Par ailleurs, il faut aussi savoir qu’en juin 2011, alors que le ministre faisait cette déclaration, il avait sous le coude les résultats d’une autre évaluation des acquis des élèves à l’école, l’enquête CEDRE – réalisée selon des règles scientifiques –, qui montrait que les résultats des écoliers n’avaient pas progressé significativement de 2003 à 2009 et que les élèves rencontrant des difficultés scolaires en compréhension de l’écrit étaient nombreux (2).

Il faut aussi savoir que la publication de cette enquête a été bloquée par le ministère pendant une petite année et n’a été rendue publique que la semaine dernière.

Ne peut-on rien dire à partir des évaluations qui sont rendues publiques ?

Si, nous pouvons tirer de nombreux enseignements de ces évaluations. Mais, pour ce faire, il faut à la fois être circonspect et prudent dans les analyses.

Être circonspect signifie qu’il faut prendre de la distance face à la communication ministérielle fondée sur les résultats des évaluations nationales conduites aujourd’hui, notamment au primaire. Tant qu’en France, les évaluations seront menées par des directions du ministère de l’Éducation, tant que ces enquêtes qui, pour certaines, sont certes de qualité mais peuvent ne pas être rendues publiques, nous ne sommes pas dans le cadre d’une évaluation transparente de politique publique. Le ministère de l’Éducation est juge et partie. Il faut aller demain vers davantage de contrôle externe des évaluations nationales. C’est ce modèle qui prévaut dans la majorité des pays européens.

Il faut en outre être prudent dans l’analyse des chiffres de ces évaluations nationales. On ne peut tirer d’enseignements à partir d’une seule enquête. On ne peut pas non plus tirer d’enseignements à partir d’enquêtes qui sont très rapprochées dans le temps, comme celles évoquées par Luc Chatel. Les acquis des élèves évoluent progressivement, sur une durée longue. Donc, il faut faire la synthèse de plusieurs enquêtes avec un horizon temporel de moyen terme. Nous avons en France la chance de disposer de nombreuses études, dont certaines sont de qualité et effectuées dans une perspective longitudinale qui permet la comparaison dans le temps (3).

Alors quels enseignements peut-on donc en tirer ?

Sur les dix dernières années, malgré les réformes engagées, nous n’assistons pas à une progression moyenne des acquis des élèves. Le niveau n’est pas non plus en chute libre. Si l’on considère l’ensemble des élèves, nous pouvons dire que nous sommes face à une décennie perdue : certaines réformes – marginales – ont été introduites et ont finalement produit peu d’effets positifs. Si l’on considère, non plus l’ensemble des élèves, mais certaines catégories d’élèves, les résultats sont un peu différents. La majorité des évaluations soulignent que la proportion des élèves en difficulté progresse, aussi bien à l’école qu’au collège.

Enfin, les enquêtes convergent pour établir que les résultats des élèves inscrits dans le réseau d’éducation prioritaire décroissent. Donc, plus d’élèves en difficulté et des écoles défavorisées aux résultats de plus en plus faibles. Assez étrangement, seule l’enquête CEDRE sur l’école, rendue publique par le ministère cette semaine, présente des résultats un peu différents. Nous avons donc besoin à la fois de réformes qui, enfin, produisent des effets sur les acquis des élèves, et d’un suivi statistique transparent qui informe réellement les citoyens de l’efficacité ou de la non-efficacité des choix politiques faits.

(1) Cette déclaration est consultable sur le site du ministère de l'Éducation nationale.
(2) Ces élèves qui, dans l’enquête, sont rattachés aux groupes 0, 1, 2 représentent 39% des élèves. L’enquête est disponible sur le site du ministère de l'Éducation nationale.
(3) Pour une présentation détaillée de ces enquêtes, nous renvoyons le lecteur à un document synthétique paru dans l’édition 2011 de France, portrait social de l’INSEE.

Maëlle Flot | Publié le