In vino veritas : réinventer la stratégie dans les écoles de management

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In vino veritas : réinventer la stratégie dans les écoles de management
Le fordisme est-il rentré dans les écoles de management ? s'interroge Vincent Mangematin sur "The Conversation". // © 
Sur "The Conversation France", Vincent Mangematin, directeur de la recherche à Grenoble École de management (GEM), s'interroge sur les capacités des écoles de management à conserver leur identité dans un paysage éducatif globalisé. En s'inspirant de l'évolution de la viticulture depuis les années 1970, il propose une voie de sortie au "mimétisme stratégique".

Toutes les écoles de management sont soit internationales ou mondiales. Sites web, brochures, dépliants démontrent la nature globale de l'éducation, de la recherche, et de l'impact. La plupart des écoles ont formé des alliances internationales qui couvrent échange d'étudiants, visites de professeurs et des programmes communs.

La notion de "mimétisme stratégique" est un oxymore qui mérite qu'on s'y arrête. Si chaque école de management a la même stratégie, il n'y a pas de différenciation. Avec un nombre croissant d'écoles accréditées (AACSB, Equis, Amba, etc.), les accréditations et les classements ne sont plus suffisamment différenciateurs.

Quels sont les résultats attendus du mimétisme stratégique ? Homogénéisation de la qualité, la concurrence sur les prix, et un certain assèchement des idées et un manque d'originalité. Ce modèle est bien connu. Production de masse pour consommation de masse. C'est l'entrée du fordisme dans les écoles de management ou l'on peut dire, en parodiant Henry Ford, "Tout étudiant peut avoir l'éducation de son choix pourvu qu'elle soit internationale".

Avec un nombre croissant d'écoles accréditées (AACSB, Equis, Amba, etc.), les accréditations et les classements ne sont plus suffisamment différenciateurs.

Des managers "globaux"

Être global se révèle coûteux. C'est un investissement direct qui se double d'alliances et d'accords bi ou multilatéraux. Et cet investissement n'est plus distinctif.

Mais qu'est-ce qui se cache sous le mot "global" ? L'idée est de former des managers "globaux" qui ont les compétences requises pour prendre la tête d'entreprises globales ou multinationales. Et pourtant, le nombre d'entreprises globales est numériquement faible, même si elles sont visibles. Les entreprises ont des attentes variées, pour conduire des stratégies pertinentes, innovantes et agiles.

Certaines entreprises ont besoin de compétences pour être globales, d'autres s'internationalisent et certaines ne visent que quelques marchés domestiques. Les attentes sont variées et le plus important n'est peut-être pas d'afficher le caractère global de l'étudiant, mais de garantir que son parcours l'a exposé à des expériences suffisamment diverses pour lui permettre de naviguer dans différents univers.

La stratégie des viticulteurs

Et pourquoi ne pas s'inspirer de la stratégie des viticulteurs ? In vino veritas.

Ce qui se passe dans les vignobles et les caves peut s'avérer riche d'enseignement. Jusque dans les années 1970, le marché du vin était complètement polarisé ; à savoir, les grands crus connus de tous (Château d'Yquem, Château Lafite Rothschild, etc.) et les vins locaux connus par les autochtones, qui associent prix bas et le plus souvent de faible qualité.

Les frontières se sont ouvertes, les marchés se sont mondialisés. Et les consommateurs avaient besoin de repères, de label de qualité qui caractérisent le vin.

Le monde anglo-saxon a opté pour la caractérisation par le cépage, merlot, cabernet ou syrah. Cette dénomination est globale et déconnectée des régions d'origine. Un cépage générique est généralement synonyme de qualité de base, prix de base, pas de caractère, pas de personnalité, et interchangeabilité. Mon caviste les appelle généralement les "vins ennuyeux".

Entre les vins ennuyeux et les vins d'élite (au moins à cause du prix), il y a un espace qui peut être occupé quand les vignerons ont une stratégie de différenciation : plutôt que d'insister sur une appellation spécifique comme "quelque chose de Château", certains producteurs vignerons courageux se sont démarqués en valorisant le terroir. [...]

L'idée sous-jacente est que les vins d'une même région ont beaucoup en commun et qu'il est important de promouvoir cette commonalité, en mettant en avant les caractéristiques du terroir et non plus celles du vin.

[...] Le vin reflète ainsi le caractère unique du terroir, et n'est pas interchangeable. Sont inscrits dans chaque terroir, un goût, une couleur et une odeur. Cette stratégie s'est avérée prometteuse, car les clients sont en mesure d'identifier un terroir, des vins savoureux et typiques, ce qui permet aux producteurs de bénéficier d'une rente. Ils attirent en effet des clients exigeants qui achètent un produit unique en quantité limitée.

La mondialisation ne signifie pas que l’on est de nulle part. Elle signifie que votre expérience nourrit votre capacité d’adaptation, en mettant en avant le meilleur de ce que vous avez accumulé.

Étudier, une expérience à vivre

Les directeurs des écoles de management peuvent-ils s'inspirer des producteurs de vin ? Formulée ainsi, la question est provocatrice. Qu'est-ce qui pourrait être spécifique aux écoles de management et les programmes MBA ? La solution ne peut être trouvée dans la spécialisation. Les programmes de MBA sont généralistes par nature ; ils forment des directeurs généraux.

Les écoles de management doivent offrir un enseignement généraliste. En ce sens, le vin est le vin et il est différent de la bière et du whisky. Tout comme les vignes, les écoles de management sont ancrées dans un territoire et proposent des produits (les étudiants) qui reflètent les caractéristiques de ce territoire.

Plutôt que d'essayer de former des cadres ou MBA standardisés, les écoles de commerce peuvent former des élèves et anciens élèves qui possèdent toutes les compétences de base, auxquelles vient s'ajouter l'expérience unique qu'ils ont vécue à l'école de management, au sein de ce territoire. Plutôt que de tenter de minimiser les différences en mettant en avant le côté standardisé des diplômes, aussi interchangeables que possible, un directeur d'école pourrait mettre l'accent sur la typicité de la formation.

L’expérience vécue par l’étudiant est unique et suffisamment riche pour construire des compétences variées et agiles. La mondialisation ne signifie pas que l’on est de nulle part. Elle signifie que votre expérience nourrit votre capacité d’adaptation, en vous permettant de mettre en avant le meilleur de ce que vous avez accumulé.

La compétition fondée sur les classements nuit à la variété nécessaire de la formation et des expériences. Les stratégies doivent intégrer et valoriser les différences et les spécificités de chacune des expériences.


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