L'enseignement supérieur fait-il son travail ?

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L'enseignement supérieur fait-il son travail ?
Parmi les modèles pédagogiques innovants cités par Sébastien Turbot, l'école 42, fondée en 2013 par Xavier Niel. // ©  HAMILTON/REA
Comment mieux former les jeunes générations aux besoins du marché du travail ? Par une meilleure communication entre enseignants, étudiants et employeurs, plaide Sébastien Turbot, directeur du WISE (World Innovation Summit for Education).

Dans le monde, plus de 73 millions de jeunes sont à la recherche d'un emploi. Pourtant, des millions d'annonces attendent toujours leurs candidats. En mai 2015, 5 millions d'emplois n'étaient pas pourvus aux États-Unis, alors que plus de 8 millions de personnes en cherchaient un.

un manque criant de travailleurs compétents

Dans les pays récemment étudiés par l'OCDE, 39 millions de jeunes ne sont ni étudiant, ni employé, ni stagiaire. Ces chiffres offrent une bien sinistre image du monde du travail. Si, partout dans le monde, les universités produisent à tour de bras des diplômés qualifiés, les employeurs déplorent, eux, un manque criant de travailleurs compétents.

Pour les employeurs, le diplôme n'est plus le seul critère qui compte. Qu'est-ce que cela signifie pour les employés ?

Dans les économies actuelles, tournées vers les technologies, la demande de main-d'œuvre qualifiée en sciences, technologie, ingénierie et mathématiques est en forte hausse. De plus, on est en train de passer d'une demande de compétences en savoir-faire vers une demande de compétences en "savoir-être", en particulier sur les "compétences non techniques" ou non cognitives. De nombreuses études montrent que, dans le monde entier, les entreprises veulent embaucher des personnes présentant quatre caractéristiques clés : la communication, la collaboration, la créativité et l'esprit critique.

une main-d'œuvre d'"entrepreneurs créatifs"

On estime par ailleurs que les jeunes nés au début du XXIe siècle représenteront 75 % de la main-d'œuvre d'ici 2025, bien qu'un nombre significatif ne sera jamais employé dans le sens où on l'entend actuellement. Ainsi, alors que nous entrons dans une ère où les tâches banales seront réalisées par les machines, nous devons former une main-d'œuvre d'"entrepreneurs créatifs" qui devront être suffisamment innovants et ouverts pour relever des défis encore inconnus.

On peut alors se demander si l'enseignement supérieur fait son travail et arme actuellement suffisamment les jeunes pour le marché du travail d'aujourd'hui et de demain. Une étude du cabinet de conseil McKinsey, "De l'enseignement à l'emploi", a montré que si 70 % des enseignants pensent que, en effet, les jeunes diplômés sont correctement armés pour le marché du travail, moins de 50 % des employeurs et des jeunes diplômés pensent de même. Incroyable fossé de perception dont les conséquences sont désastreuses...

Les enseignants pensent que les diplômés sont préparés pour le monde du travail, mais moins de 50 % des jeunes et des employeurs partagent cet avis.

La question du "fossé de perception"

Alors qui, des enseignants, des employeurs ou des étudiants, est responsable du fameux "skills gap" (fossé des compétences) ? Sans chercher ici à résoudre ce vaste problème, accordons-nous sur l'importance de régler la question préalable du "fossé de perception". En effet, l'étude McKinsey, comme d'autres, montre bien que les enseignants, les entrepreneurs et les jeunes diplômés ne sont pas sur la même longueur d'onde et ne se connaissent pas aussi bien que l'on pourrait le penser.

La première étape pour répondre à cette question consiste à encourager une collaboration plus étroite entre les employeurs et les enseignants afin de mieux mettre en adéquation l'éducation que l'on dispense avec celle dont on a besoin. La deuxième étape est d'intégrer pleinement les étudiants à cette conversation et de les immerger dans le monde réel afin qu'ils soient mieux informés des formations qu'ils pourraient choisir et puissent mieux appréhender les besoins du marché du travail.

Ce processus n'est pas impossible à mettre en place. De nombreuses initiatives de par le monde travaillent déjà sur ce "fossé de perception" et valent la peine d'être soulignées. 

Des initiatives hors des voies traditionnelles d'enseignement

D'abord en France, des projets tendent à contourner les voies traditionnelles de l'enseignement pour doter les étudiants des compétences qui sont aujourd'hui parmi les plus valorisées pour leur contribution à la croissance du pays. Par exemple, les élèves de l'École 42, fondée par Xavier Niel en 2013, n'apprennent pas seulement à coder mais surtout à résoudre des problèmes de manière créative.

Aux États-Unis, le Corporate Work Study Program du réseau d'écoles Cristo Rey offre aux élèves issus de milieux défavorisés un accès à une éducation de qualité, les aide à financer une partie de leurs études et les accompagne pour se forger une expérience sur le terrain.

En Finlande, Tomi Alakoski et ses collègues ont fondé Me & My City, un concept d'apprentissage qui recrée une ville miniature pour les élèves de sixième. Dans ce jeu de rôles, les élèves sont tour à tour employés, entrepreneurs, répondent à des offres d'emploi, discutent fiscalité ; ceci afin de développer des compétences concrètes en économie et reconnues comme clés dans le monde du travail.

Au Moyen-Orient, Injaz Al-Arab met en relation les jeunes avec des dirigeants d'entreprise et des professionnels qui jouent le rôle de professeurs et de mentors. En immergeant les étudiants dans le monde réel, ces projets les aident à prendre des risques, à se responsabiliser, mais aussi à mieux appréhender leurs futures options de carrière.

Avant de se lancer dans une redéfinition de nouveaux cursus ou de désigner l'université ou les employeurs comme coupables, il est urgent qu'enseignants, étudiants et employeurs apprennent à mieux se connaître.

Pour résoudre le problème du fossé de compétences, nous devons d'abord réduire ce fossé de communication.

Éducation et réfugiés : rencontre EducPros - WISE le 26 septembre 2016
EducPros en partenariat avec WISE, et sous le patronage de la Commission nationale française pour l'Unesco, organise le 26 septembre prochain à Paris une rencontre-débat sur la question de l'accès à l'éducation des réfugiés, en présence de la lauréate du prix WISE pour l'éducation, le Dr Sakena Yacoobi, fondatrice de l'Afghan Institute of Learning.

Le thème de cette rencontre sera "Éducation et réfugiés : pourquoi est-il important d'ouvrir nos écoles et nos universités ?".

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