La Théorie du Lotissement appliquée à l’enseignement supérieur

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La Théorie du Lotissement appliquée à l’enseignement supérieur
Un lotissement sur le campus de l'Université Paris-Saclay, le cluster à la française. // ©  Laurent Grandguillot/REA
Au lieu de se regarder en concurrentes, grandes écoles et universités devraient apprendre à s'appuyer les unes sur les autres pour porter haut la compétitivité de la France à l'international. Tel est le point de vue de Loïck Roche, directeur de Grenoble école de management et président du Chapitre des écoles de management de la Conférence des grandes écoles.

"La Théorie du Lotissement1 repose sur une idée très simple : ma maison a d'autant plus de valeur que la maison du voisin a de la valeur. Plus la maison du voisin est belle, plus elle donne de valeur à ma propre maison.

Là où trop souvent on souhaite un voisin, une entreprise, une organisation concurrente, une opposition la plus faible possible, ce qui nous garantit d'être le meilleur, la Théorie du Lotissement propose une approche très différente. Au contraire, je dois apprendre à souhaiter le meilleur à l'autre.

Si la Théorie du Lotissement dessine une conception radicalement nouvelle de la façon dont nous devons envisager les relations des organisations entre elles, des entreprises entre elles, des partis politiques entre eux, et même des personnes entre elles — jusqu'aux relations à l'intérieur de chacune de ces structures, jusqu'à la famille — cette théorie, tout autant, s'applique à l'enseignement supérieur.

La performance d'ensemble rejaillit sur la performance de tous

Les guerres disciplinaires n'ont donc pas lieu d'être. Opposer les unes aux autres, disqualifier les unes pour rendre plus attractives les autres – ainsi de l'opposition entre sciences dures et sciences molles – est destructeur. Destructeur de la valeur des sciences qui sont attaquées, destructeur de la valeur des sciences qui les attaquent, puisque destructeur de la valeur d'ensemble.

Pas plus que les oppositions stériles (imbéciles !) entre universités et grandes écoles. Tout aussi tristes les oppositions entre IAE et grandes écoles de management.

On ne crée pas de valeur, on ne grandit pas sa propre maison en étêtant la valeur, le faîte des autres maisons. Comme les arbres au cœur de la forêt, au cœur d'un lotissement, il appartient à chacun de tirer l'autre vers le haut, vers le soleil.

Comme on ne verra jamais un organisme vivant tirer bénéfice de la suppression de ses organes les plus actifs, il en va exactement de même de l'enseignement supérieur.


Comprendre que la performance des uns et la performance des autres profitent à la performance d'ensemble, et donc au bien commun de notre lotissement. Comprendre que notre lotissement, c'est le lotissement France. Comprendre que ce qui se joue, c'est la compétitivité de la France dans le monde. Oui, seule doit importer la compétitivité de la France à l'échelle internationale.

Ainsi se définit un intérêt général, bien au-delà de nos intérêts particuliers – et de leur maximisation – d'ailleurs très mal compris dès lors qu'ils ne s'inscrivent pas dans cet intérêt plus grand qui nous dépasse tous.

Chaque fois que l'université attaque les grandes écoles, elle commet une faute. La satellisation des grandes écoles sur les strapontins des Comue, les attaques réitérées contre les classes prépa, etc. sont irresponsables. Comme on ne verra jamais un organisme vivant tirer bénéfice de la suppression de ses organes les plus actifs, il en va exactement de même de l'enseignement supérieur.

Vouloir détruire le pan le plus sain de l'enseignement supérieur en France, ne soulagera pas, et moins encore ne guérira, le pan malade de l'enseignement supérieur
— je pense notamment à l'échec dramatique des étudiants en licence. Pire, il le tuera.

Chaque fois que les grandes écoles se parent du monopole de l'excellence, moquent l'université, négligent l'ouverture sociale, l'ouverture sur la société, pour ne se concentrer que sur leur représentation quasi-communautaire de l'élite et de sa reproduction, elles commettent une faute, détruisent de la compétitivité de la France et donc de leur propre valeur.

La Théorie du Lotissement ne gomme pas la compétition. Elle ne s'exonère pas du principe de réalité. Elle remet la compétition à sa juste place, le plus souvent à l'échelle de la Nation.

La Théorie du Lotissement met la compétition à sa juste place

Dire que c'est bien le lotissement France qui, à l'intérieur de la ville Monde, doit briller, dire que la juste compétition doit se jouer au niveau de la Nation, dire que ce qui compte ce n'est pas tant de savoir qui, de la maison "grandes écoles" ou de la maison "université ", est la plus forte, mais que ce qui importe, c'est que l'ensemble, le lotissement "enseignement supérieur et recherche", soit le plus fort possible à l'échelle de la Nation – un enseignement supérieur, incarnation de la France, fier de ce qu'il est, qui ose, expérimente, entreprend – n'interdit nullement l'émulation.

Simplement, et c'est ce que dit la théorie du lotissement, comme tous les coups ne sont pas permis, cela ne doit pas se faire à n'importe quel coût. Cela doit se faire par la création de valeur pour sa propre maison, non par la destruction de valeur de la maison du voisin. Cela doit se faire par une volonté de niveler par le haut, non par une volonté de niveler par le bas.

La Théorie du Lotissement ne gomme pas la compétition. Elle ne s'exonère pas du principe de réalité. Elle remet la compétition à sa juste place, le plus souvent à l'échelle de la Nation.

La Théorie du Lotissement appliquée à l'enseignement supérieur doit devenir un levier, une pratique, une énergie, une joie. Clé de voûte du bien vivre-ensemble, la théorie du lotissement instruit un nouvel ordre : il existe entre l'université et les grandes écoles, une parenté commune, un bien commun inaliénable, un vouloir-vivre vertueux ancré dans le lien à l'autre maison."

Loïck Roche, "La Théorie du Lotissement, les clés pour réussir le monde de demain", éditions PUG, 100 p., 9,90 €.

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