"Les Mooc sont souvent présentés comme une révolution de l'enseignement supérieur vers un système plus égalitaire. Les cours de haut niveau délivrés par les universités, qui étaient jusqu'alors réservés à ceux qui ont eu les parcours scolaires les plus prestigieux ou les moyens d'intégrer les universités les plus sélectives et les plus chères, sont désormais ouverts à tous. L'éducation numérique peut-elle éradiquer les inégalités dans l'enseignement supérieur ?
Cette question - qui n'a commencé à attirer l'attention des chercheurs que très récemment - fait aujourd'hui débat. D'un côté, l'économiste Daron Acemoglu (MIT) y voit une démocratisation qui irait dans le sens d'une atténuation des inégalités, le bénéfice tiré de ces nouveaux cours étant plus important pour les moins éduqués que pour les autres. Les Mooc permettent en effet aux moins éduqués d'accéder à des cours de très haute qualité, délivrés par les universités les plus prestigieuses, comme Harvard ou le MIT. Ces cours sont habituellement réservés à un public restreint, sursélectionné en fonction de critères académiques mais aussi économiques, en raison des frais de scolarité, très élevés aux États-Unis par exemple.
Mais, d'un autre côté, Abhijit Banerjee et Esther Duflo (MIT) soulignent que la majorité des individus susceptibles de suivre un cours en ligne sont déjà très éduqués, voire passés par l'université. De fait, suivre un MOOC demande de la part de l'étudiant un bon niveau de départ, une forte disponibilité temporelle ainsi qu'une très bonne capacité d'organisation et d'autodiscipline.
Ce phénomène est renforcé par le comportement très élitiste des plateformes de Mooc qui ne signent des partenariats qu'avec les toutes meilleures universités et ne proposent que des cours de très haut niveau, comme l'a récemment souligné Matthieu Cisel sur son blog EducPros.
Suivre un MOOC demande un bon niveau de départ, une forte disponibilité temporelle ainsi qu'une très bonne capacité d'organisation et d'autodiscipline.
Les Mooc en sont encore à leurs débuts. L'effet de curiosité et l'absence de coûts d'inscription biaisent les taux de succès. Mais le constat reste que la démocratisation de l'enseignement supérieur par les Mooc n'est pas encore une réalité. Que faire ? Une première piste d'amélioration est d'élargir la gamme de formations afin de pouvoir guider les étudiants de ce qu'ils connaissent à ce qu'ils souhaitent apprendre : un cours ayant des prérequis de niveau élevé sera ainsi rendu plus accessible.
La diversité des méthodes pédagogiques mérite également d'être mieux exploitée : les enseignants ont différentes approches pédagogiques d'un même sujet, et chaque élève devrait pouvoir trouver l'explication qui lui convient le mieux pour chaque partie du cours – plutôt que de visionner à plusieurs reprises le même extrait d'une vidéo.
Quelques sociétés comme l'américain Knewton planchent sur des systèmes dits "d'apprentissage adaptatif" ou de "tutorat automatique", qui proposent aux élèves les contenus les plus appropriés à leur profil et à leurs objectifs en utilisant des données massives générées par l'utilisation des Mooc.
Ce travail d'individualisation est avant tout celui des enseignants. Dans leur forme actuelle, les Mooc essayent d'être une solution complète, susceptible de remplacer un cours présentiel, en multipliant simplement le nombre d'élèves qu'un enseignant peut toucher à chaque cours. Une approche alternative consisterait à utiliser les Mooc comme un nouvel outil pédagogique, à destination des étudiants comme des enseignants.
Cette approche demanderait de fournir aux enseignants des moyens de suivre la progression de leurs élèves, de leur formuler des recommandations en fonction de ce qu'ils savent d'eux ; l'ordinateur pourra les assister dans cette tâche, et non les remplacer.
Les moyens techniques pour qu'un professeur puisse construire simplement un parcours pédagogique personnalisé, à partir de ressources existantes et de ses propres ressources, sont absents sur le marché actuel.
Les plateformes de Mooc restent dans une posture élitiste, en ne travaillant qu'avec les meilleures universités et en définissant une méthode pédagogique uniforme.
Les contraintes personnelles, les capacités d'organisation et l'autodiscipline des étudiants sont également des obstacles qui peuvent être abaissés. L'ouverture des cours sur quelques semaines seulement semble être un héritage du modèle des cours universitaires – alors qu'il n'y a pas de réel obstacle technique à laisser cours et exercices en accès continu, sur le modèle de la Khan Academy. Les interfaces peuvent développer ou améliorer des outils d'aide à l'organisation, à la coopération entre étudiants, et à la motivation. La "gamification", méthode qui consiste à récompenser les efforts des élèves à l'aide de points et de badges, a le vent en poupe mais est encore peu mobilisée sur les plateformes de Mooc.
Le jeu peut d'ailleurs prendre une place encore plus importante et être lui-même un support pédagogique : cette approche, très présente pour les jeunes enfants, est mystérieusement abandonnée aux âges ultérieurs, alors même que l'intérêt pour le jeu reste intact. Récemment, la société WeWantToKnow a par exemple publié deux jeux pour mobiles et tablettes dont la mécanique de jeu elle-même permet l'apprentissage des règles élémentaires d'algèbre et de géométrie du plan.
Ces quelques pistes ne s'inscrivent que partiellement dans la stratégie des acteurs du marché des Mooc. L'agrandissement du public est un objectif qui ne peut qu'être partagé, et les nouveautés technologiques visant à s'adapter aux étudiants sont en train d'être créées. Mais les plateformes de Mooc restent dans une posture élitiste, en ne travaillant qu'avec les meilleures universités et en définissant une méthode pédagogique uniforme, calquée sur les standards académiques.
Pour réellement agir contre les inégalités, les Mooc devront impliquer des acteurs beaucoup plus divers, proposer une offre de formation plus complète, et réfléchir au rôle des enseignants dans l'accompagnement des élèves."
Arnaud Riegert, doctorant à l'École d'économie de Paris
L'intégralité de l'article sera prochainement consultable dans le dernier numéro de "Regards croisés sur l'économie", "L'université désorientée", en ligne sur Cairn.info.
À l'occasion de la sortie de son numéro sur "L'université désorientée", la revue "Regards croisés sur l'économie" organise mardi 13 octobre une soirée-débat à l'ENS (École normale supérieure) dont EducPros est partenaire.
Guillaume Houzel, directeur du CNOUS, l'économiste Yannick L'Horty et Isabelle This-Saint-Jean, vice-présidente du conseil régional d'Île-de-France, échangeront sur le thème "Comment améliorer les conditions de vie des étudiants".
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