Loi Travail : une mobilisation étudiante aux formes multiples

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Loi Travail : une mobilisation étudiante aux formes multiples
Quasi inexistante en 2006, la mobilisation numérique contre le projet de loi El Khomri est particulièrement massive. // ©  Etienne Gless
Sur le site de "The Conversation France", Claire Thoury, doctorante en sciences de l'information et de la communication à l'université Sorbonne-Nouvelle-Paris 3, analyse les formes de la mobilisation étudiante contre le projet de loi El Khomri, qui croisent des pratiques très modernes et d'autres plus traditionnelles, au regard du mouvement de 2006 contre le CPE.

Critiquée pour sa dépolitisation, son égoïsme et son désintérêt pour la chose publique, la jeunesse vaut mieux que ça ! La mobilisation étudiante et lycéenne contre la loi Travail témoigne d'une hybridation des formes d'engagement.

Début 2016, la ministre Myriam El Khomri est chargée de porter la loi Travail qui propose une refonte du Code du travail avec pour objectifs, selon le gouvernement, d'adapter le Code du travail aux réalités professionnelles du monde contemporain, mais aussi de lutter contre le chômage.

Si la couleur politique du gouvernement n'est plus la même et que le public ciblé par cette loi ne sont pas que les jeunes, les arguments en faveur de la loi sont assez proches de ceux de 2006 lors de la polémique autour du CPE, le Contrat Première Embauche, puisque l'enjeu, encore une fois, est de relancer l'emploi.

Très vite, la proposition de loi suscite de nombreuses critiques aussi bien des partis les plus à gauche, que d'un grand nombre de syndicats – dont les positions oscillent entre l'exigence de retrait pur et simple de la loi d'un côté, et la modification du projet de loi de l'autre.

Parmi eux se trouvent les organisations étudiantes et lycéennes à vocation syndicale. La contestation dépasse les cadres d'engagement traditionnel puisque la mobilisation connaît de l'ampleur, sur Internet notamment.

Le parallèle avec le CPE

Si le parallèle avec 2006 ne fait pas l'unanimité puisque la loi El Khomri ne s'adresse pas uniquement aux plus jeunes, il est intéressant, en se concentrant sur la mobilisation lycéenne et étudiante, de comparer les deux mouvements, dans la forme notamment.

Il y a dix ans presque jour pour jour, le Premier ministre Dominique de Villepin annonce donc la création du CPE, un contrat d'un type spécifique destiné aux moins de 26 ans afin de lutter contre le chômage.

Un mouvement d'envergure contre le CPE, essentiellement structuré par les lycéens et les étudiants, voit le jour. Au-delà du caractère particulièrement précaire du contrat dénoncé, se pose la question de la stigmatisation de la jeunesse, considérée comme une catégorie bien spécifique.

La jeunesse a tendance à effrayer les plus âgées, notamment lorsqu'elle décide de se regrouper pour défendre une cause.

La question de la jeunesse est importante car cette catégorie a tendance à effrayer les plus âgées, notamment lorsqu'elle décide de se regrouper pour défendre une cause ou lutter contre des mesures. […]

En 2006, le rapport de force prend une forme assez traditionnelle : les lycéens et les étudiants votent la grève, défilent dans les rues, bloquent les lycées et les universités, dans le but de faire émerger une parole publique et médiatique contestataire.

Ce rapport de force prend fin le 10 avril 2006 lorsque le gouvernement de Dominique de Villepin annonce le retrait du CPE de la loi sur l'Égalité des Chances dans laquelle il était inscrit.

Une mobilisation étudiante à la forme novatrice

La mobilisation étudiante aujourd'hui semble prendre une tournure différente. Il est encore trop tôt pour mesurer l'ampleur de sa forme la plus traditionnelle, à savoir la manifestation ou la grève.

En revanche, la mobilisation numérique, quasi inexistante en 2006, est déjà particulièrement massive. La pétition "Loi Travail Non Merci" a déjà récolté 1,2 million de signatures tandis que le hashtag #OnVautMieuxQueCa lancé par plusieurs vidéastes est l'un des plus utilisés sur Twitter ces derniers jours.

Cela témoigne du caractère innovant de la mobilisation car elle croise des pratiques très modernes à des pratiques plus traditionnelles.

Cette mobilisation permet aussi de rappeler que les jeunes ne sont pas plus dépolitisés, indifférents ou désengagés que leurs aînés, mais que ce sont les formes et les espaces de politisation, d'engagement, qui évoluent.

Nous observons ici que les formes traditionnelles d'engagement s'hybrident à des formes plus récentes et c'est finalement cette hybridation qui caractérise cette mobilisation. Un des tweets du collectif derrière le mouvement #OnVautMieuxQueCa illustre parfaitement le lien entre la mobilisation numérique et physique : "Le collectif ne sera pas présent en tant que tel dans le cortège, #OnVautMieuxQueCa sera partout".

Les jeunes ne sont pas plus dépolitisés que leurs aînés, mais les formes et les espaces de politisation, d'engagement, évoluent.

Partout, précisément, et c'est en cela que le rapport de force est inédit puisque les uns et les autres ne cessent de jouer avec les codes de l'ancien et du nouveau, du traditionnel et du moderne, pour donner davantage de puissance à ce fameux rapport de force.

En effet, tandis que les syndicats étudiants appellent à la manifestation, enchaînent les plateaux télé et radios pour exposer leur vision de cette loi et de ses risques, les vidéastes, celles et ceux derrière le hashtag #OnVautMieuxQueCa proposent à des individus de témoigner via des vidéos YouTube afin de dénoncer une situation aberrante dans laquelle ils se sont retrouvés dans le cadre du travail ou de leur recherche de travail. […]

La question de la légitimité de la forme de la mobilisation se pose alors, notamment suite à la diffusion de la vidéo du collectif #OnVautMieuxQueCa. Certains affirment que l'engagement, le vrai, doit se faire dans la rue et qu'une vidéo est loin d'être suffisante. […]

Ces remarques démontrent une vision très normative de l'engagement, ce qui peut expliquer l'idée récurrente selon laquelle les gens, et surtout les jeunes, ne s'engageraient plus.

La question qui se pose alors est de savoir si la mobilisation sur Internet renforcera ou atténuera la mobilisation dans la rue. Au regard des chiffres annoncés – 500.000 manifestants selon les syndicats et 250.000 selon la police - ainsi que les photos diffusées le 9 mars, il semble que les manifestations dans la rue se portent bien.

La mobilisation des étudiants est-elle illégitime ?

Certains journalistes, chercheurs, politiques ou syndicalistes ont affirmé que le mouvement étudiant n'était pas légitime, voire contestable, car ils jugent cette loi utile pour les jeunes les moins diplômés notamment.

Ainsi, en se positionnant contre cette loi, les organisations étudiantes renforceraient un clivage intragénérationnel et donc une forme de lutte des classes au sein de la jeunesse.

L'existence d'un clivage intragénérationnel n'est plus un secret pour personne, il suffit de s'intéresser aux enquêtes sur les valeurs des Français pour se rendre compte que toute la jeunesse ne partage pas les mêmes, c'est d'ailleurs tout aussi vrai pour l'ensemble des catégories d'âge.

Cela signifie-t-il pour autant que cette lutte ne concerne pas les étudiants ? Et que ces derniers, parce qu'ils seraient soi-disant protégés d'un monde du travail précaire devraient s'abstenir de prendre la parole ?

Ces arguments sont contestables à bien des égards. Tout d'abord, personne n'a à dire aux organisations étudiantes quel mouvement est légitime pour eux et quel mouvement ne l'est pas.

Ensuite, il semble compliqué d'affirmer que cette loi ne concerne en aucun cas les étudiants car, d'une part, 45% des étudiants exercent une activité rémunérée durant leurs études et, d'autre part, les étudiants d'aujourd'hui sont amenés à s'insérer sur le marché de l'emploi à court terme […].

Enfin, même si cette loi ne concernait pas directement les étudiants, en quoi cela signifie-t-il qu'ils ne sont pas légitimes à prendre position sur un sujet de société ?

Crise de confiance

In fine, cette mobilisation lycéenne et étudiante témoigne d'une crise de confiance ou plutôt d'une crise de confiance d'une crise de confiance. Depuis dix ans maintenant, les mouvements de jeunes sont plus discrets, celui contre la LRU (loi relative aux libertés et responsabilités des universités) était bien spécifique puisqu'il était porté par la communauté universitaire en général.

Face à ce constat, il y a deux écoles. Celle qui regrette la dépolitisation des jeunes et leur passivité et celle qui voit en ce silence une certaine abnégation. […]

La société française manque de confiance vis-à-vis de la jeunesse alors les pouvoirs publics demandent à cette même jeunesse d'avoir confiance.

En effet, les discours vis-à-vis des plus jeunes sont souvent critiques ou bien à visée éducative. Si certains sont d'accord pour laisser plus de responsabilités aux jeunes, cela ne peut se faire sans la présence d'adultes pour les encadrer […].

C'est ici que se trouve le paradoxe puisqu'il est clair que la société française manque, dans son ensemble, de confiance vis-à-vis de la jeunesse alors qu'au même moment, les pouvoirs publics demandent à cette même jeunesse d'avoir confiance.

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