Najat Vallaud-Belkacem et le piège des 60.000 postes, la chronique d'Emmanuel Davidenkoff

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En soi, le parcours de Najat Vallaud-Belkacem, nouvelle ministre de l'Education nationale, porte un formidable message d'espoir. Mais cela ne suffira pas à sortir le système éducatif du bourbier politique dans lequel il s'enfonce depuis 2012. La chronique d'Emmanuel Davidenkoff, directeur de la rédaction de L'Etudiant.

Il est courant, en cas de remaniement printanier, que le ministre de l'Education nationale en poste effectue une première rentrée qui, pour l'essentiel, a été préparée par son prédécesseur - le gros des opérations se déroule au premier trimestre de l'année civile. C'est ce que s'apprêtait à faire Benoît Hamon avant d'être remplacé par Najat Vallaud-Belkacem. Autant dire que le remaniement surprise de cette fin d'été n'a aucun effet technique sur le déroulement de la rentrée.

À l'instar des grands orchestres, l'Education nationale sait jouer sa partition même si le chef s'absente quelques instants - le Philharmonique de Vienne le prouve à peu près chaque année lors du traditionnel concert du Nouvel An quand le maestro, pour signifier la perfection de son travail, lâche sa baguette et rejoint le public pendant quelques instants, avant de rejoindre l'estrade sous les vivats. Évidemment, comme à Vienne, il ne faut guère attendre de nouveauté, de rupture voire de supplément d'âme dans ces moments suspendus. C'est la partition et rien que la partition ce qui, pendant trois minutes sous les ors viennois, n'a guère de conséquence, d'autant que la conformité à la tradition fait partie des règles du jeu.

Najat Vallaud-Belkacem devra rapidement prouver que son message ne se résume pas au symbole, au demeurant formidable, qu'elle incarne.

Cela peut se révéler plus périlleux quand l'opération se prolonge, du moins si l'on prétend, comme persiste à le faire le gouvernement, vouloir rompre avec les habitudes et "refonder" le système éducatif. Car la "machine École" n'aime rien tant que ces moments de latence où rien ne vient déranger un ordonnancement administratif déjà éminemment complexe sans qu'il faille, en sus, gérer quelque nouvelle priorité ministérielle - raison majeure pour laquelle les "ABCD de l'égalité" avaient été retirés (non parce que les évaluations étaient mauvaises - elles ne l'étaient pas -, non parce que le gouvernement souhaitait renoncer à lutter contre les stéréotypes de genre - il ne le souhaite pas -, mais parce que ce dossier risquait de polluer tous les autres).

Techniquement donc, un changement de ministre voire une absence de ministre n'affecte pas le déroulement d'une rentrée. Il en va bien sûr autrement sur le plan politique et Najat Vallaud-Belkacem devra rapidement prouver que son message ne se résume pas au symbole, au demeurant formidable, qu'elle incarne - celui de la jeune femme arrivée en France à l'âge de 5 ans et qui, grâce aux vertus de notre bonne vieille école républicaine, de notre vaillante université et, pour boucler le tout, de notre prestigieuse et malthusienne Sciences Po, a su se hisser à la tête d'un ministère régalien, premier budget de l'Etat, premier employeur de France, à un âge auquel tant d'apprentis politiques se damneraient pour un strapontin de sous-secrétaire d'Etat.

Elle a commencé à le faire en assumant crânement ses positions en matière de lutte contre les stéréotypes, dans un climat d'hostilité parfois indécent. Reste à savoir si elle saura et pourra aller au-delà alors que le piège tendu pendant la campagne présidentielle se referme un peu plus chaque mois - ces 60.000 postes offerts sans aucune forme de contrepartie, sur la base d'un programme composé d'intentions souvent louables mais dont les modalités de mises en œuvre n'ont jamais été nettement définies. Le tout couronné par une loi qui s'en remet à commissions et décrets pour révéler - ou pas - son suc et dans une atmosphère parasitée par la réforme des rythmes. Il faudra un immense talent et pas mal de chance pour sortir de ce bourbier.

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