Pour une revalorisation urgente des diplômes universitaires

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Pour une revalorisation urgente des diplômes universitaires
Université Paris Descartes - Paris 5 - étudiants en salle de cours © Photothèque Paris Descartes Jean-Sébastien Leblond-Duniach // © 
Sur le site de "The Conversation France", Claudio Galderisi, professeur de langues et littératures de la France médiévale à l'université de Poitiers et vice-président de l’association Qualité de la science française, s'interroge sur le rôle dévolu à l'université dans la Stranes et défend l'idée d'un enseignement supérieur qui associe indissolublement enseignement et recherche.

Non habemus hic manentem civitatem. Ces mots célèbres que l'on trouve dans la Lettre aux Hébreux ont sans doute inspiré les politiques universitaires des dernières années. Les ministres qui se sont succédé ont dû considérer que le sort de l'université était scellé, qu'aucun gouvernement n'oserait plus défier le pouvoir de veto des syndicats des étudiants. Non habemus hic manentem universitatem, « notre université définitive ne se trouve pas sur cette terre » est ainsi devenue leur credo, aussi inavouable que reconnaissable dans tous les décrets, arrêtés et lois qui ont pierre après pierre démonté l'édifice de l'université française.

Le dernier rapport de la stratégie nationale de l'enseignement supérieur propose de poursuivre avec une persévérance diabolique l'œuvre de « secondarisation » de l'université française. L'université aurait désormais pour principale mission de diplômer 60% d'une classe d'âge. La ministre de l'Éducation nationale, de l'Énseignement supérieur et de la Recherche le recommande au président de la République, qui, venu inaugurer l'année universitaire à l'université de Paris-Saclay en a fait aussitôt l'objectif stratégique. Ite, missa est.

Reproduction des élites

Il y a malheureusement une logique perverse dans cette vision utilitariste de l'enseignement universitaire. Dès lors que le système sélectif des classes préparatoires et des grandes écoles garantit la reproduction des élites et que les organismes de recherche assurent la qualité et le rayonnement de la recherche française, les universités, contraintes par la loi à accueillir tous les bacheliers, et tenues en otage par des associations d'étudiants très peu représentatives, ne peuvent avoir qu'un rôle subsidiaire de formation et de diplomation de masse.

Le premier cycle universitaire devient dans le novlangue ministériel la partie d'un ensemble qui englobe le lycée et qui est appelé "bac moins 3 – bac plus 3". L'objectif de 60% d'une classe d'âge diplômé est alors la déclinaison logique du but fixé en 1985 par Jean-Pierre Chevènement : amener 80% d'une classe d'âge au niveau du baccalauréat.

L'étudiant qui s'inscrit au lycée est alors à peu près certain d'avoir la licence universitaire, car, compte tenu de ceux qui ne poursuivent pas leurs études et des abandons au premier semestre, parler de 60% de diplômés d'une classe d'âge revient à souhaiter en réalité le diplôme pour tous.

Trois facteurs viennent renforcer une telle visée comptable de l'enseignement universitaire. D'une part, les universités françaises ne peuvent se réclamer qu'en partie de leurs racines médiévales et ne peuvent pas toutes revendiquer une tradition d'ancienneté opposable, par exemple, à des institutions comme l'École normale supérieure ou l'École polytechnique.

D'autre part, le ratio des prix qui sanctionnent la qualité de la recherche dans les disciplines scientifiques (prix Nobel, médailles Fields, etc.) est particulièrement brillant pour la France, capable de rivaliser avec les États-Unis, qui bénéficient pourtant de leur tradition d'accueil universitaire. Enfin, la classe dirigeante ayant été formée pour l'essentiel dans les grandes écoles, l'enseignement universitaire, avec sa conception d'une transmission du savoir fondée sur une éthique du doute et du sens critique, paraît à beaucoup d'hommes politiques comme étranger, sinon dangereux.

Brassage républicain

Changer un tel modèle pour remettre au cœur de l'enseignement supérieur et de la recherche des universités en perdition ne paraît alors ni possible ni souhaitable. La science française se porte bien et les élites qui garantissent la tenue globale du système se reproduisent de manière satisfaisante aussi bien sur le plan quantitatif que qualitatif. Pourquoi donc se demander si cette reproduction garantit aussi une production d'homines novi, et par là même ce brassage républicain des savoirs sans lequel la conscience démocratique s'affaiblit et les tentations démagogiques se développent ?

La vision dite "stratégique" d'une université française, qui se transforme réforme après réforme en branche formation de Pôle emploi, naît d'abord de ces spécificités hexagonales. Ceux qui veulent restaurer une université française comparable aux grandes universités allemandes, italiennes, anglo-saxonnes ou asiatiques ; ceux qui ne veulent pas d'une université lieu de la relégation et qui continuent à penser les salles de cours comme l'espace, selon les mots d'Alain de Libéra, de "l'ouverture à l'universel, [de] la discussion argumentée, [de] la critique des faux prestiges et des vrais pouvoirs" ; ceux-là sont considérés soit comme des intellectuels idéalistes, soit comme des conservateurs privilégiés.

Il est temps de dénoncer cette posture cynique. Il faut prôner une autre vision de l'enseignement supérieur, qui associe indissolublement enseignement et recherche. Car la véritable vue de l'esprit est celle de ces apprentis sorciers qui croient, à gauche comme à droite, que la fabrique des diplômes est la seule solution à offrir aux étudiants qui n'ont pas intégré les parcours sélectifs. Le diplôme pour tous ne peut pas être la perspective d'avenir d'une génération que l'on aura ainsi privée de l'idéal de l'ascension sociale par l'étude.

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