"Redonnons à l'apprentissage sa dignité", la chronique d'Emmanuel Davidenkoff

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En choisissant de promouvoir l’apprentissage à Villiers-le-Bel, ville marquée par de violentes émeutes en 2007, François Hollande a surtout conforté l’idée selon laquelle cette voie de formation s’adresse d’abord aux jeunes en rupture. Cette chronique a été publiée par L'Echo républicain.

On aurait pu se réjouir que François Hollande marque le deuxième anniversaire de sa présidence par une visite dans un centre de formation d’apprentis. C’était une belle façon d’essayer de redonner confiance aux entreprises alors que le nombre de contrats signés l’an passé a diminué de 8%. Une belle façon aussi de conforter l’opinion dominante selon laquelle l’apprentissage conduit à l’emploi, opinion partagée par 89% des personnes récemment interrogées par CSA pour l’Institut Montaigne. Les candidats, eux, ne s’y trompent pas : avec deux tiers de CDI signés à l’issue de la formation, l’apprentissage est effectivement une voie d’insertion extrêmement performante.
Mais voilà, le président de la République a choisi de le faire à Villiers-le-Bel, imprimant dans l’inconscient collectif l’équation "jeunesse en difficulté + violence = apprentissage". Il n’est pas le premier. Dominique de Villepin, alors Premier ministre, avait également centré le pan éducatif de sa réponse aux émeutes de 2005 dans les banlieues sur l’apprentissage, avec son idée "d’apprentissage junior" accessible dès l’âge de 15 ans.

Evitons le politiquement correct : il est clair que l’apprentissage avant le bac concerne notamment des jeunes en situation de pré-rupture ou de rupture scolaire et sociale, a minima des jeunes qui ne se sentent pas à l’aise avec les études classiques. Il est également vrai que cette situation domine : les apprentis sont bien plus nombreux à suivre des formations du CAP au bac que des formations supérieures.

Mais focaliser sur ce constat, c’est oublier que la tendance, depuis dix ans, est à l’augmentation de l’apprentissage dans le supérieur, en BTS majoritairement, mais aussi dans les grandes écoles et à l’université. On pourrait profiter de cette appétence pour affirmer puissamment non seulement les vertus, mais aussi la dignité de l’apprentissage et des apprentis. Cela permettrait aussi de rappeler que dans des dizaines de filières, l’apprentissage est choisi de manière positive, par des jeunes et des familles qui font le constat que cette approche globale de l’éducation, qui englobe instruction et formation, savoirs et savoir-faire, esprit et main, constitue une voie d’insertion et d’épanouissement. 

Il serait peut-être temps, enfin, de répondre aux problématiques de détresse sociale et de violence urbaine non pas hors de l’institution scolaire mais en son sein, et pour commencer de réformer enfin le collège. Si l’on veut quantifier le nombre de jeunes que l’Education nationale est incapable de mener au terme de "son" parcours académique, il faut en effet ajouter aux 140.000 jeunes "décrocheurs" qui quittent le système sans diplôme ni qualification tous ceux qui quittent la voie classique pour des formations en alternance telles que celles que proposent les Maisons familiales rurales, les Compagnons du tour de France, les Apprentis d’Auteuil, l'enseignement agricole et un certain nombre de Centre de formation d’apprentis privés. Ajoutés aux 150.000 élèves de Segpa, chaque année, le soi-disant "collège" unique met en fait de côté 350.000 jeunes. Ils méritent mieux que d’être systématiquement renvoyés aux émeutiers de Villiers-le-Bel ou d’ailleurs.

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