Saclay : "Quel mépris vis-à-vis du système universitaire français !"

Camille Stromboni Publié le
Saclay : "Quel mépris vis-à-vis du système universitaire français !"
"Nous souhaitons attirer votre attention sur la nécessité de revenir au projet ambitieux qui a déjà coûté beaucoup d’efforts à la communauté scientifique du plateau de Saclay", demandent les signataires. // ©  Denis Allard/REA
Prix Nobel, Médaille Fields, membres de l'Académie des Sciences... Un groupe de scientifiques a adressé une lettre ouverte à Manuel Valls et Thierry Mandon le 20 décembre 2015. Ils y défendent une union plus forte entre grandes écoles et universités au sein de l'université Paris-Saclay. Et dénoncent le mépris exprimé envers le système universitaire.

"La communauté scientifique et universitaire du plateau de Saclay ne ménage pas ses efforts depuis de nombreuses années pour promouvoir la création d’une grande université de recherche et d’innovation qui, en associant universités, grandes écoles et organismes de recherche, donnera à la France une visibilité internationale de tout premier plan.

Rapprocher sur un même site universités et grandes écoles nous semble être un projet ambitieux. Cela favorisera de nouvelles synergies scientifiques et technologiques, sera susceptible de promouvoir l’interdisciplinarité et sera capable de rapprocher recherche publique et recherche privée pour favoriser les transferts technologiques et les créations d’entreprises et d’emplois dont notre pays a tant besoin.

L'intégration des établissements dans Saclay : une nécessité

Formations supérieures et laboratoires de recherche fondamentale ou appliquée vivent aujourd’hui dans un environnement mondial de grande compétition. Dans ce contexte, il est certain que la création d‘une Université Paris-Saclay intégrant toutes les richesses des formations et laboratoires du site peut contribuer fortement à améliorer l’attractivité scientifique et pédagogique de notre pays pour les étudiants et chercheurs étrangers.

Nous pensons que la construction de cette université nécessite une intégration de ses différents membres pour aboutir notamment à la signature des publications scientifiques sous la marque de l’Université Paris-Saclay, de sorte que les diplômes portant cette marque disposent du prestige à même de promouvoir nos étudiants dans la société, au plan national comme à l’international.

Le chemin de la création d’une grande université intégrée avait été pris avec notamment la mutualisation des formations de masters et de doctorats et l’intégration des chercheurs issus des universités et grandes écoles au sein d'une douzaine de laboratoires d’Excellence (Labex) soutenus récemment par le Programme "Investissement d'avenir".

Le rapport Attali au cœur de la discorde

Aujourd’hui, cet élan enthousiaste est remis en question suite au rapport Attali et à la proposition faite par deux ministres de créer un pôle d’excellence à partir de grandes écoles seulement, en limitant ainsi l’objectif initial d’intégrer pleinement ces écoles à l’ensemble des universités, organismes et laboratoires prestigieux du site.

Ce rapport nous semble avoir été écrit sans prendre en compte cette ambition, la réalité du terrain et les efforts déjà réalisés par les chercheurs et enseignants-chercheurs du plateau de Saclay. Il aboutit à faire de l’Université Paris-Saclay un assemblage hétéroclite d’institutions au sein duquel chacun gardera son autonomie sans gouvernance forte et sans visibilité internationale.

Les universités n'ont pas à rougir en matière d'excellence

Des interviews récentes dans la presse (Les Échos) nous ont d’ailleurs particulièrement choqués, quand il y est dit que l’intégration de l’École polytechnique dans l’Université Paris-Saclay aboutirait à "un système phagocyté par les syndicats avec une lenteur de décision rendant toute évolution très difficile" et que la question du devenir de l’École polytechnique est posée en ces termes : "Que deviendrait l’École polytechnique et ses 3.500 étudiants noyés dans un ensemble de 70.000 étudiants qui plus est avec une gouvernance de l’ensemble qui est complètement loufoque ?" Quel mépris vis-à-vis du système universitaire français !

De plus, à un moment où les moyens alloués à la recherche, via l’ANR (Agence nationale de la recherche) notamment, sont en diminution constante, les crédits supplémentaires qui ont été promis à l’École polytechnique apparaissent aux yeux de la communauté comme un souhait de créer deux blocs distincts au sein de l’enseignement supérieur et de la recherche, l’un implicitement d’excellence représenté par les grandes écoles et l’autre de formation de masse dévolu aux universités avec des moyens dérisoires.

C’est oublier un peu vite que dans le classement international le plus visible, ce sont deux universités parisiennes, dont Paris-Sud, qui apparaissent en meilleure place, en dépit des moyens très insuffisants qui leur sont attribués au regard du nombre de leurs étudiants.

Prix Nobel, Médaille Fields, membres de l’Académie des Sciences et directeurs de Labex attachés à la création d’une grande université sur le plateau de Saclay, nous souhaitons attirer votre attention sur la nécessité de revenir au projet ambitieux qui a déjà coûté beaucoup d’efforts à la communauté scientifique du plateau de Saclay : conjuguer l’excellence, au bénéfice de la recherche et de la formation, au sein d’une grande université ouverte sur le monde. L’université Paris-Saclay est une chance, sachons la saisir !"

La liste des personnalités signataires de la lettre
- Serge Abiteboul, membre de l’Académie des Sciences
- Jean-Michel Bismut, membre de l’Académie des Sciences
- Hélène Bouchiat, membre de l’Académie des Sciences
- Jean-Pierre Bribring, professeur de l'université Paris-Sud, responsable de la mission Philae
- Patrick Couvreur, membre de l’Académie des Sciences et professeur de l'université Paris-Sud
- Catherine Cesarsky, membre de l’Académie des Sciences, représentant la France au conseil du CERN
- Michel Davier, membre de l’Académie des Sciences
- Daniel Estève, membre de l’Académie des Sciences
- Albert Fert, Prix Nobel de Physique et membre de l’Académie des Sciences
- Robert Guillaumont, membre de l’Académie des Sciences
- Marc Humbert, professeur à l'université Paris-Sud, directeur du département Hospitalo-Universitaire Thorax Innovation
- Denis Jérôme, membre de l’Académie des Sciences
- Henri Kagan, membre de l’Académie des Sciences
- Jean-François Le Gall, membre de l’Académie des Sciences
- Dominique Meyer, membre de l’Académie des Sciences
- Jean-Loup Puget, membre de l’Académie des Sciences
- Georges Slodzian, membre de l’Académie des Sciences
- Wendelin Werner, Médaille Fields, membre de l'Académie des Sciences
- Rodolphe Fischmeister, directeur du LabEX LERMIT
- Paul Leadley, directeur du LabEX BASC
- Jean-Pierre Mahy, directeur du LabEX CHARMMMATT
- Philippe Mendels, directeur du LabEX PALM
- Serge Palacin, directeur du labEX nanoSaclay
- Christine Paulin, directeur du labEX DIGICOSME
- Pierre Pansu, directeur de la Fondation Mathématiques Jacques Hadamard

La lettre ouverte (pdf)

Camille Stromboni | Publié le