"Sciences po renouera-t-elle avec la bonne gouvernance qu’elle enseigne ?", la chronique d'Emmanuel Davidenkoff

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Où va Sciences po ? Le point de vue d'Emmanuel Davidenkoff, directeur de la rédaction de l'Etudiant, publié sur le Huffington Post .

"Sciences Po = Sciences Pipo ? " Cette question faisait la Une de L’Etudiant voici deux ans. Richard Descoings était vivant et bien vivant, et nul ne songeait alors à remettre en cause l’aura qu’il avait contribué à donner à l’institution de la rue Saint-Guillaume. Seule comptait la belle histoire qu’il racontait, celle d’une "université sélective" mais socialement accueillante, capable de rayonner à l’étranger, diversifiant son recrutement, soucieuse d’excellence scientifique comme d’insertion professionnelle. La France de la démocratisation par l’université et celle de la sélection par les grandes écoles enfin réconciliées. Un rêve.

"Le choc, légèrement antérieur au décès de Richard Descoings, produit depuis une onde qui ne cesse de grandir"

Pourquoi douter à l’époque ? D’abord pour faire écho aux réserves émises en ces termes provocateurs par les étudiants, parfois déçus par une formation certes de bon aloi mais qui ne leur semblait pas toujours à la hauteur des obstacles qu’ils avaient dû franchir pour intégrer le Saint des Saints. Ensuite parce que le coût d’une scolarité complète à Sciences Po Paris peut atteindre 50.000 euros, contre 36.000 à HEC. En avait-on pour son argent ? Là encore, la réponse était mitigée : sans décevoir franchement, l’école parisienne restait encore en retrait des meilleures écoles de commerce ou d’ingénieurs en termes de taux d’insertion, d’aide à l’entrée dans la vie active, d’animation de son réseau d’anciens ou de salaire d’embauche. Enfin parce que la prétention de faire jouer Sciences Po dans la cour des plus grandes universités étrangères, à commencer par la London School of Economics – souvent citée en exemple – se heurtait à une implacable réalité : si la qualité de la recherche est remarquable, la quantité demeure insuffisante pour que Sciences Po apparaisse dans les radars des classements internationaux. En somme un bilan globalement positif assorti d’une mise en garde : il y avait peut-être un écart entre l’image de l’école et sa réalité.


Depuis, cet écart s’est cruellement confirmé mais sur un nouveau terrain, celui de la bonne gouvernance. Pour bâtir la success story de Sciences Po, il avait fallu tordre des procédures, prendre des risques financiers, rémunérer certains dirigeants hors des usages courants dans ce milieu, gouverner en solitaire… Le choc, légèrement antérieur au décès de Richard Descoings, produit depuis une onde qui ne cesse de grandir, à mesure que certaines questions demeurent sans réponse.

"N’est-il pas temps que Sciences Po apprenne à respecter un peu plus sa tutelle - l’Etat ?"


Comment les instances de contrôle, qui ont confirmé Richard Descoings et ses équipes dans leurs fonctions quinze années durant n’ont-elles rien vu ? Le banquier Michel Pébereau, président du conseil de direction de Sciences Po, a-t-il été aussi aveugle sur ces dérives que son homologue Daniel Bouton quand Jérôme Kerviel siphonnait les caisses de la Société Générale ? Si oui, est-il le plus légitime pour choisir le successeur d’un directeur qu’il fut incapable de contrôler ? N’est-il pas temps que Sciences Po apprenne à respecter un peu plus sa tutelle - l’Etat -, toujours bonne à jouer les bailleurs de fonds, mais ravalée au rang de "sleeping partner" à l’heure d’un choix aussi stratégique que celui du directeur de l’école ? Qu’y a-t-il à cacher pour que Sciences Po tienne à ce point à laver son linge sale en famille – il est de notoriété publique que le favori des instances dirigeantes n’est autre que l’ex numéro 2 de Richard Descoings, actuel directeur par intérim ? Au fond, le meilleur hommage qui pourrait être rendu à la belle histoire écrite par Richard Descoings, idole aujourd’hui si facile à brûler, serait d’en écrire un nouveau chapitre qui ne laisse planer aucun doute sur la volonté de l’école de remettre Sciences Po sur les rails de cette "bonne gouvernance" qu’elle est censée enseigner.

 

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