L'alternance en licence générale à l'université, une formule rare et exigeante

Les cursus de licences générales proposant de l'alternance peinent encore à se développer à l'université, en raison, de l'aspect théorique des enseignements. Mais depuis une dizaine d'années, quelques départements tentent quand même l'aventure. Focus.
Trois jours à l'université, et deux jours en entreprise. Voici à quoi ressemblent les semaines de Yasmine, étudiante en L3 Lettres, création et numérique à l'université Gustave Eiffel, en apprentissage. "Avec les devoirs, le rapport d'alternance, et toutes les lectures que j'ai, il faut réussir à trouver la bonne organisation", admet l'apprentie, en poste dans une maison d'édition.
Le rythme qu'elle décrit est plutôt rare à trouver à l'université. Et pour cause, le nombre d'apprentis préparant un diplôme de licence générale demeure relativement bas, en comparaison avec d'autres types de formation. Selon les données de la DEPP , ils n'étaient que quelque 8.300 étudiants à y réaliser leur apprentissage en 2022, contre plus de 178.000 en BTS ou encore 35.400 en licence professionnelle.
Même si le nombre d'apprentis en licence générale semble en progression (+89% entre 2020 et 2022), la formule peine encore à émerger dans les facultés. D'après Virginie Tahar, responsable du parcours Lettres, création et numérique à l'université Gustave-Eiffel, il peut encore exister "des freins idéologiques pour certains collègues à l'idée que nous, universitaires, puissions former nos étudiants à s'intégrer dans le monde de l'entreprise".
Mettre en place un calendrier alterné
D'un point de vue logistique, ouvrir un parcours de licence générale à l'alternance suppose d'adapter en conséquence le calendrier universitaire ; un procédé plus ou moins difficile à mettre en place. "Dans le domaine des lettres et des arts, le lien avec le monde de l'entreprise n'est pas évident à identifier si le parcours n'a pas été adapté en amont", poursuit-elle.
Dans le parcours de Gustave-Eiffel, il a fallu regrouper les cours de tronc commun, que les alternants suivent avec le reste des étudiants d'autres parcours, sur les trois jours de début de semaine passés à l'université. "Cela peut générer des journées assez denses", commente Virginie Tahar.
L'organisation (3 jours/ 2 jours, ou 2 jours/ 3 jours) semble se retrouver dans de nombreux parcours en alternance. Comme au sein de la licence Management et gestion des organisations de Paris-Dauphine-PSL. "Des cours le lundi et mardi à l'université", où les apprentis sont regroupés dans une classe spécifique, et "mélangés avec le reste des étudiants dans certains cours magistraux et fondamentaux", précise Patrice Moisand, responsable pédagogique de la L3.
Des emplois du temps basés sur le rythme en alternance
In fine, "le calendrier est basé sur l'apprentissage", commente Simon Porcher, ancien responsable de la L3 gestion en apprentissage à Paris Panthéon-Assas. A savoir : "les autres étudiants se calent sur le même rythme que les apprentis : les cours du lundi au mercredi matin, et le reste de la semaine, temps libre pour travailler ou faire des stages", ajoute-t-il.
La mise en place de calendriers alternés n'est pas toujours évidente à réaliser : "d'autant qu'à l'université, on a des problèmes de salles", pointe Laurent Brandon, responsable du pôle alternance de l'université Paul Valéry de Montpellier. Selon lui, les enseignants-chercheurs sont souvent très occupés, "or l'alternance suppose un suivi plus pointu des étudiants qui partent en entreprise".
Des parcours qui commencent dès la L2
Dans de nombreux cas, le parcours en alternance commence dès la L2, pour anticiper la recherche de contrats.
"Au deuxième semestre, le CFA nous accompagne pour chercher notre employeur dans le cadre de séances de préparation de CV, ou de simulations d'entretien", raconte Serine, apprentie en L3 d'électronique à Sorbonne Université. "Cela permet aussi de former les étudiants aux savoir-faire attendus en entreprise", précise Sylvain Argentieri, responsable des six licences générales L2-L3 en apprentissage à Sorbonne université.
Cela implique souvent une sélection en amont, à la fin de la L1. "Des entretiens se font sur dossier, en compagnie des responsables de parcours et d'un membre du CFA pour vérifier les prérequis", détaille le responsable, où les parcours en apprentissage accueillent environ 75 alternants par an.
Une concurrence avec les étudiants en master ?
Avant d'ouvrir un parcours de licence générale à l'alternance, une étude de marché est de mise pour évaluer les opportunités de contrats dans le secteur. "On s'assure qu'il y ait des entreprises intéressées", explique Baptiste Venet, directeur du département LSO à Paris-Dauphine-PSL, où la licence MGO s'est ouverte à l'apprentissage en 2019.
D'autant qu'en L3, les étudiants "sont encore en cours de spécialisation", pointe Baptiste Venet, "ce qui peut rendre la recherche d'une entreprise moins évidente, par rapport aux années de M1 ou M2". "Pour les contrats d'alternance en maison d'édition, les étudiants se retrouvent en concurrence avec les étudiants en master d'édition", déplore Virginie Tahar.
Le constat est le même pour la L3 information territoriale de l'université Bordeaux-Montaigne, qui s'est ouverte à l'alternance en 2021 : "quand le choix est là, les entreprises pensent encore spontanément aux étudiants en master", admet le responsable pédagogique Etienne Damome.
"La même exigence" qu'en formation initiale
En pratique, l'année de licence en alternance peut s'avérer sportive. "Au début, il faut un temps d'adaptation : c'est intense, surtout en période d'examens", raconte Serine, qui a su trouver son rythme hebdomadaire pour anticiper les deadlines du côté de l'entreprise et de l'université. "Je concentre mes révisions le week-end, pour me concentrer sur l'entreprise en semaine", explique-t-elle.
Les responsables pédagogiques interrogés le confirment : le parcours en alternance reste rattaché à une licence générale et donc à tout l'aspect pluridisciplinaire qui lui est propre. "L'exigence est la même puisqu'à la fin de l'année, il donne accès au même diplôme de licence, qui rend possible la poursuite d'études en master", assure Sylvain Argentieri.
Si des aménagements sont possibles dans certains cas (exemption des examens au sein du parcours de L3 Lettres, création et numérique de Gustave-Eiffel), les attentes et le contenu du programme restent identiques. "Le niveau de culture littéraire enseigné reste le même que celui des autres parcours en formation initiale", affirme Virginie Tahar. Une année intense, donc, qu'il faut anticiper.
Certains domaines d'études semblent plus enclins que d'autres à s'ouvrir à l'alternance en licence générale. Parmi eux, la gestion, le management et des disciplines scientifiques bien précises, par exemple.
La licence de sciences pour l'ingénieur est souvent proposée en apprentissage en L3 : c'est le cas à l'université de Nanterre, de Nantes, à l'UPEC ou encore à Aix-Marseille université.