Reportage

Au cœur de l'ENS Lyon : l'école des cadors

la bibliothèque Diderot de l'ENS Lyon
Riche de plus de 1 million de documents, la bibliothèque de l'établissement dispose d'une salle ouverte aux étudiants toute la nuit... © Olivier GUERRIN pour L'Étudiant
Par Maria Poblete, publié le 20 mai 2016
1 min

L’ENS Lyon abrite 2.500 étudiants en sciences, lettres et sciences humaines, encadrés par près d’un millier d’enseignants. Recrutés à l’issue d’un concours très sélectif, ils passeront quatre ans à l’école avant de devenir enseignants ou chercheurs. Immersion dans un des temples de l'excellence française.

Ce lundi matin, le long des allées du jardin conçu par le paysagiste Gilles Clément, peu d'étudiants se promènent. Le grand campus de l'ENS Lyon (125.000 mètres carrés sur deux sites, Monod pour les sciences et Descartes pour les lettres et sciences humaines) abrite pourtant 2.500 étudiants. Mais ils n'ont pas le temps de lézarder. C'est à la bibliothèque Diderot qu'on peut les rencontrer. Ce vaste bâtiment, qui renferme plus de 1,2 million de documents, ne désemplit ni de jour... ni de nuit. Bernadette, 24 ans, en troisième année au département de langues section italien, a une petite mine. "Je prépare l'agrégation d'italien et j'ai travaillé jusque tôt ce matin, chuchote-t-elle. Une salle, ouverte toute la nuit, nous est réservée. C'est extra !" Bienvenue dans le temple de la connaissance...

Un concours d'entrée difficile

Chaque année le concours de l'ENS Lyon sélectionne 226 jeunes gens, majoritairement issus de classes préparatoires. Les heureux élus, nommés "normaliens", ont un statut d'élève fonctionnaire et sont rémunérés pendant quatre ans. Ils devront, en échange, dix ans de travail à l'État. Mais il est aussi possible de suivre les cours en tant qu'auditeur libre après une admission sur dossier, et sans rémunération.
Après une classe prépa littéraire au lycée Fénelon à Paris, Bernadette reconnaît avoir mis les bouchées doubles pour préparer le concours. "Il faut s'appliquer et être prêt à mettre sa vie entre parenthèses, dit-elle. À l'écrit, il n'y a pas de piège ni de réelle surprise, avec un programme détaillé à suivre ; mais c'est à l'oral qu'il faut convaincre." Et l'admission est loin d'être un jeu d'enfant : moins de 3 % des candidats ont été admis comme normaliens en 2015 ! "Nous avons une exigence et un besoin de recruter des personnes curieuses et passionnées, reconnaît Jean-François Pinton, président de l'école. Étudier ici demande un investissement personnel, c'est le choix de consacrer sa vie à la connais­sance." Une soif de savoir qui mène soit à l'enseignement soit à la recherche, mais qui peut déboucher sur des destins plus originaux. On se souvient ici d'Héloïse Letissier, plus connue sous le nom de Christine and the Queens, comme d'une élève brillante.

Pour préparer le concours, il faut être prêt à mettre sa vie entre parenthèses pendant quelque temps.

Un enseignement d'excellence, héritier d'une longue tradition

L'établissement est l'héritier d'une longue tradition, qui remonte à la fin du XIXe siècle. C'est Jules Ferry, à l'origine de la loi sur l'instruction gratuite, laïque et obligatoire, qui institue par décrets les ENS de Fontenay-aux-Roses en 1880 et de Saint-Cloud en 1882 afin de former les enseignants du primaire. Au fil du temps, les écoles se spécialisent dans la préparation à l'agrégation – Fontenay, dans les lettres et sciences humaines, Saint-Cloud dans les disciplines scientifiques –, puis sont transférées à Lyon. En 2010, les deux écoles deviennent une entité unique. Les deux sites, Monod et Descartes, sont réunis.
Lilian, 22 ans, étudie la chimie. Entré en master 1 après une licence de physique-chimie poursuivie à Dijon, il réalise simplement son rêve : enseigner la chimie, sa "passion". Le statut de normalien ? Il n'est pas accessoire. "Nous sommes fonctionnaires stagiaires, c'est une identité et ça marque une étape. Nous avons un pied dans l'enseignement et un autre dans le monde de la recherche", dit-il, impatient de filer... étudier.

Quatre ans de travail intense et exigeant

"Nos élèves sont passionnés par la recherche. Un minimum de bagage technique est indispensable, mais pas seulement, insiste Yanick Ricard, du département Études et Recherche. Nous ne cherchons pas des premiers de la classe, mais des jeunes qui aiment travailler en équipe et qui osent se lancer dans des questions... qui ne trouveront peut-être pas de réponse."
Pendant les quatre années, les élèves suivent les cours dans leur discipline pour obtenir leur licence et leur master, mais ils ont en parallèle un complément de formation spécifique à l'école. Et ils préparent l'agrégation. Le taux de réussite frise les 40 % de reçus. "Bien sûr, ils sont très motivés, ils savent travailler, dit Emmanuelle Boulineau, maître de conférences en géographie. Et chaque élève construit son parcours." Pauline, 22 ans, en master 1 de physique, confirme : "Nous étudions énormément ; nous nous entraînons comme des sportifs. Mais nous avons aussi la chance de nous détendre dans des ateliers. On tire une force de la vie collective et culturelle. Il y a ici des dizaines d'associations : moi, je fais du théâtre et c'est un régal !"

L'après-midi touche à sa fin. La pause "goûter" entraîne quelques élèves autour des bancs dans le jardin paysagé. Normaliens ? Auditeurs ? La question les étonne et les agace. "Cela n'a pas d'importance et ce n'est pas un sujet de discussion ni de discorde entre nous, tient à préciser Fanny, 24 ans, en première année de thèse en géophysique. La seule question qui peut se poser est la solde, gage d'autonomie [1.500 € brut]. En dehors de ça, nous sommes tous dans le même bateau !" Celui de la stimulation et de l'excellence intellectuelles.

La CPES : une prépa pour les boursiers


L'ENS Lyon dispose de deux CPES (classes préparatoires à l'enseignement supérieur), en lettres et en sciences. Ces cursus d'un an sont destinés aux élèves boursiers et motivés.

Les jeunes résident sur le campus. À quatre élèves par module, les "grands" coachent les plus jeunes. "Ils participent à la vie de l'école et bénéficient d'un suivi spécialisé, d'une formation intensive ainsi que d'une initiation à l'histoire de l'art et de nombreuses sorties culturelles", précise Laetitia Bonnet, responsable pédagogique de la CPES lettres.

Ils peuvent ensuite intégrer une classe prépa classique ou un cursus universitaire, avec, comme Nicolas,18 ans, une petite idée en tête : "Revenir dans deux ans, quand j'aurai appris à travailler sérieusement !"
Parmi les autres CPES, citons celles, en un an, du lycée Henri-IV à Paris et du lycée Camille-Jullian à Bordeaux, ainsi que celles, scientifiques, en deux ans, du lycée Jean-Moulin à Torcy (77), Jacques-Feyder à Épinay-sur-Seine (93) et César-Baggio à Lille (59).

Entrer à l'ENS Lyon

Pour être normalien
- Sur concours : il se prépare en deux ans dans une CPGE (classe préparatoire aux grandes écoles). En section sciences exactes et expérimentales, avec quatre séries (biologie, chimie, physique et sciences de la Terre ; informatique ; mathématiques et physique ; physique et chimie). En section lettres, sciences humaines et sociales, avec quatre séries (lettres et arts ; langues vivantes – 12 langues possibles ; sciences humaines ; sciences économiques et sociales).
- Un second concours est ouvert aux étudiants des filières universitaires scientifiques, médicales, issus d'un IUT ou d'un INSA, ayant validé 120 crédits ECTS (une dizaine de places en 2015).

Pour être auditeur
- Sur dossier : être en troisième année de licence scientifique, en master première ou seconde année pour les autres, en doctorat dans un laboratoire de l'école. Critères : excellence académique et projet du candidat. www.ens-lyon.fr

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