Reportage

Au cœur du lycée Lucie-Aubrac : la vigne et le vin

Les vignes encerclent le lycée Lucie-Aubrac.
Le lycée Lucie-Aubrac est situé au milieu des vignes dans la campagne mâconnaise. © Pablo Chignard/HansLucas pour l’Etudiant
Par Camille Jourdan, publié le 25 mai 2018
10 min

En Bourgogne, dans la petite commune de Davayé (71), sur les collines du Mâconnais, le lycée Lucie-Aubrac forme des futurs spécialistes du vin. Les étudiants en BTSA apprennent à le fabriquer, à le déguster, à le connaître… mais aussi à le vendre. 

Les tonneaux s’alignent sur trois rangées dans le chai. Les allées sont étroites, mais par groupes de six ou sept élèves, on arrive à circuler. "Stop !" Clément ordonne à ses camarades d’arrêter la pompe qui est en train d’aspirer le contenu du fût. "Nous sommes en train de soutirer le vin pour le transférer dans une cuve, explique le jeune étudiant en BTSA (brevet de technicien supérieur agricole). Puis on nettoiera le fût : certaines bactéries ont pu donner un mauvais goût au vin", justifie le jeune homme. Deux étudiants s’emparent du tonneau et l’emportent dehors. Écrit à la craie blanche sur le bois, l’inscription "Mâcon Davayé " ressort : c’est le nom du vin, mais c’est aussi celui de la commune où est installé le lycée agricole Lucie-Aubrac.

De la troisième au BTSA, les 240 élèves de cet établissement participent à la vie du domaine des Poncétys, qui produit pas moins de 80.000 bouteilles par an de saint-véran, de mâcon-davayé et de pouilly-fuissé. Le tout dans une démarche biologique. Entourés de 17,5 hectares de vignes, les étudiants sont plongés au cœur de leurs futurs métiers : ceux qui ont choisi la filière viticulture et œnologie (VO) se rêvent sommeliers ou chefs d’exploitation. En technico-commercial (TC), ils espèrent animer des ventes, devenir caviste ou être responsable commercial d’un domaine.

Le domaine viticole comme cadre naturel de l'enseignement

"Notre établissement est un support pédagogique", explique Jean-Philippe Lachaize, le proviseur. À commencer par les vignes : "Nos étudiants font essentiellement de la taille, décrit le professeur de viticulture, Patrick Le Nadan. Mais nous venons également pour enlever les rameaux inutiles, observer les insectes auxiliaires, faire de la reconnaissance de maladies… " Des maladies qu’ils ont souvent étudiées en cours. Aujourd’hui, c’est le mildiou. Remontés de la cave, les étudiants ont enlevé leurs bottes en caoutchouc et remis leur jean et écoutent leur professeur énumérer les "mesures prophylactiques" pour éviter la propagation de cette maladie qui attaque les vignes.

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Au coeur2_BTSA Davayé_étudiants © Pablo Chignard/Hans Lucas pour l’Etudiant_PAYANT © Pablo Chignard/Hans Lucas pour l’Etudiant

Si les professeurs de Davayé privilégient les solutions naturelles, ils ne font pas l’impasse sur les méthodes plus conventionnelles : "Ça ne sert à rien de faire du prosélytisme pour le bio, assure Frédéric Servais, le chef de cave. Nous souhaitons simplement leur montrer que l’on peut faire autrement. On leur présente des itinéraires techniques différents, qui leur donneront des idées pour, plus tard, signer leurs vins."

Tout au long de l’année, les étudiants suivent donc attentivement la vie du domaine, des vendanges à la mise en bouteille, en passant par la vinification. "Ici, ils optent pour des fermentations longues, à une température basse, pour faire ressortir plus d’arômes, décrit Thomas, élève de première année de BTS VO. En cours d’œnologie, nous étudions les différentes méthodes utilisées en fonction du vin que l’on veut obtenir."

Reconnaître les qualités et les défauts des vins

Comment fabrique-t-on un vin rouge ? un blanc ou un rosé ? une bière ? du cognac ou de l’armagnac ? Daniel Médioni, professeur d’œnologie, leur donne toutes les cartes pour confectionner leurs breuvages. Mais il leur apprend aussi à reconnaître les défauts du vin.

Premier test pratique aujourd’hui pour les étudiants TC en première année. Huit flacons circulent dans la salle ; leur mission ? Sentir leur contenu, identifier l’odeur dominante, et l’associer à un défaut du vin. Tour à tour, les élèves dévissent le bouchon du flacon, posent le nez dessus, reniflent, le regard concentré, le referment puis le passent à leur voisin, avant d’écrire leurs conclusions. "Prenez le temps entre deux fioles", leur conseille Daniel Médioni. Pomme, dissolvant, champignon, chou cuit… Chaque odeur correspond à un défaut : un vin trop acide aura tendance à sentir le vinaigre, un vin qui sent la noix a un problème d’oxydation.

Dans la cave, des cuves thermorégulées permettent de conserver le vin pour qu’il arrive  à maturation.
Dans la cave, des cuves thermorégulées permettent de conserver le vin pour qu’il arrive à maturation. © Pablo Chignard/HansLucas pour l’Etudiant

Bien entendu, tous les élèves n’ont pas les mêmes perceptions : sur un même flacon, alors que Milène a repéré une odeur de terre humide, Marie a senti de la betterave, et Tristan du vinaigre. En revanche, tous ont perçu ce relent de dissolvant et de vernis, symptôme de l’acescence (acidification du vin, vinaigre), dans l’un des flacons.

Dans la peau de commerciaux

" Identifier les défauts du vin, c’est le cœur de notre métier, affirme Rémi, après l’exercice. Lorsqu’un client se plaint, nous devons comprendre pourquoi." En parallèle, les étudiants ont aussi appris à déguster les vins : " On a commencé par goûter différentes eaux, pour apprendre à se servir de nos sens, raconte l’étudiant en première année TC, puis on est passé au vin. Au début, nous savions juste faire la différence entre un blanc, un rouge ou un rosé. Aujourd’hui, on peut dire si c’est un bordeaux, un bourgogne, un jura…"

Avant de les remplir  à nouveau, il faut laver les fûts, ces énormes tonneaux d’une cinquantaine de kilos.
Avant de les remplir à nouveau, il faut laver les fûts, ces énormes tonneaux d’une cinquantaine de kilos. © Pablo Chignard/HansLucas pour l’Etudiant

Une fois que l’on connaît son produit, l’étape suivante, du moins pour un commercial, est de savoir le vendre. Aujourd’hui, Julie et Émilie, également en première année TC, se glissent dans la peau de professionnelles, en cours de commerce."Je suis commerciale pour le domaine William", commence Émilie, qui a pris place devant la classe, en face de sa camarade. Pendant une dizaine de minutes, la jeune étudiante tente de convaincre son interlocutrice – qui joue le rôle d’une restauratrice – d’acheter son vin. "Ces jeux de rôles les mettent en situation professionnelle", explique leur professeure, Anne Collinet.

Plus question de jouer, néanmoins, lorsque les élèves se rendent sur de vrais salons pour vendre les vins du domaine, à Clermont-Ferrand, Lyon, Strasbourg ou Paris. "Nous tenons un stand, nous sommes en quasi-autonomie face aux clients", rapportent-ils. Ils n’ont alors pas d’autre choix que d’appliquer ce qu’ils ont appris en cours ; leur argumentaire de vente, sur la base du CAP (caractéristiques, avantages, preuves), doit être connu sur le bout des doigts ! "On doit par exemple pouvoir justifier un prix plus élevé pour un vin bio", expose Rémi. "Mais on ne met pas toujours le bio en avant, cela dépend du client", avertit l’une de ses camarades. "En tout cas, reprend le jeune homme, nous devons offrir une solution au client, ne pas le laisser repartir déçu."

De nombreuses visites chez des professionnels

Leurs arguments doivent être prêts, leur ton assuré… et la langue, si ce n’est pas le français, maîtrisée. En filière TC, une deuxième langue, allemand ou espagnol, est obligatoire, en plus de l’anglais : "L’Allemagne est l’un des plus gros importateurs de vins français", rappelle leur professeure Sabine Scheffer, avec qui ils viennent de passer quelques jours à la ProWein, un immense salon viticole à Düsseldorf.

"Dans l’enseignement agricole, les emplois du temps sont très flexibles", observe le conseiller principal d’éducation. Ce qui permet de rencontrer de nombreux professionnels, viticulteurs, chercheurs ou commerciaux, lors de colloques ou d’interventions.

Durant les deux ans du cursus, un stage de seize semaines est inclus. La vinification est un passage obligatoire pour les deux filières. Puis les étudiants en VO se tournent plutôt vers des immersions en viticulture, "avec un maître de stage en bio", précise Jean-Philippe Lachaize.

Les langues vivantes – anglais, espagnol ou allemand – sont importantes pour les étudiants qui se destinent au commerce du vin.
Les langues vivantes – anglais, espagnol ou allemand – sont importantes pour les étudiants qui se destinent au commerce du vin. © Pablo Chignard/HansLucas pour l’Etudiant

Quant aux élèves en TC, ils peuvent assister des commerciaux et effectuent trois à quatre semaines de stage à l’étranger… ainsi qu’organiser un événement dans le cadre de leur projet d’initiative et de communication, un module spécifique à l’enseignement agricole. "Pour notre soirée, nous avons fait déguster quatre vins naturels", racontent Valentin et Pauline, qui ont mené l’événement de A à Z : achat des vins, location de la salle, communication… Avec son équipe, Julie a, de son côté, coordonné un repas sur le thème du "sens caché" : un moment de dégustation… les yeux bandés.

Assis derrière leurs chaises, ou un sécateur en main dans les vignes, ou sur leur 31 dans des salons spécialisés… Les étudiants de Davayé changent régulièrement de terrain. Ce qui les lie ? Le vin.

Se former au lycée Lucie-Aubrac

Situé à Davayé, le lycée Lucie-Aubrac fait partie d’un établissement public local d’enseignement et de formation professionnelle agricole, qui comprend aussi un centre de formation professionnelle et de promotion agricole pour adultes.

Outre les formations générales et technologiques, le lycée propose des formations agricoles, de la troisième au BTSA, en passant par les bacs professionnels conduite et gestion de l’exploitation agricole, option vigne et vin, et technicien conseil vente en alimentation, option vins et spiritueux.

L’accès au BTSA n’est pas limité aux élèves issus de filières agricoles. Les candidatures se font via Parcoursup. Pour un candidat à la filière viticulture et œnologie, les prérequis sont plutôt scientifiques. Pour un autre qui se dirige vers la voie technico-commerciale, ce sont plutôt les notes de français qui comptent. Le projet professionnel et la motivation sont aussi des critères de sélection, sachant que chaque promotion compte une quinzaine d’élèves.

Après le BTSA, il est possible de poursuivre en licence professionnelle, voire passer un diplôme bac+5, tel le diplôme national d’œnologie. À la fin du cursus, un diplômé a en moyenne quatre offres d’emploi à sa disposition.

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