Décryptage

Réforme du lycée : quand les filles désertent les maths, les prépas scientifiques en pâtissent

40% des lycéennes de terminales suivent la spécialité maths.
40% des lycéennes de terminales suivent la spécialité maths. © Adobe Stock/lightpoet
Par Sarah Nafti, publié le 13 janvier 2022
4 min

Une tendance se profile depuis la mise en place de la réforme du lycée. Les lycéennes choisissent de moins en moins les spécialités scientifiques et notamment les maths. Conséquence, le vivier de jeunes femmes dans les filières scientifiques et notamment en prépas scientifiques risque de se tarir…

"La réforme du lycée pénalise les filles et les classes sociales défavorisées", déplore Laurence Broze, professeure de mathématiques appliquées à l’université de Lille (59) et vice-présidente de l’association Femmes et Mathématiques.

Une désaffection pour les études scientifiques

Selon une note de la DEPP (direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance) de décembre 2021, seules 40% des filles de terminale suivent encore la spécialité mathématiques en 2021, un chiffre en baisse par rapport à 2020 (42%). Elles sont seulement 36% à opter pour la doublette mathématiques-physique-chimie alors qu’elles représentent 56% des élèves de terminale.
Or ce choix n’est pas sans conséquence sur la suite de leurs études. "Les filles, quand elles font des sciences, se tournent davantage vers la médecine, la biologie, les métiers de la santé et du soin, où on les attend", rappelle Laurence Broze.

Pour Clotilde Fermanian, professeure à l’université Paris-Est, membre de la SMF (société mathématique de France), les études scientifiques souffrent d’une image qui ne leur correspondent pas. "Les filles imaginent trop souvent un travail solitaire derrière un ordinateur alors que les débouchés sont nombreux, dans des secteurs porteurs avec de bons salaires et une bonne insertion professionnelle."

En arrêtant les mathématiques trop tôt, elles se privent de débouchés dans la finance, l’ingénierie mais aussi la santé, avec par exemple la question du traitement des données médicales.

Une érosion des effectifs féminins en prépa scientifique

Romain Soubeyran, directeur général de l'école d'ingénieurs CentraleSupélec, relève un paradoxe : "Il y a une volonté de réindustrialiser, de mettre en place un plan quantique, un plan sur l’intelligence artificielle, mais pour répondre à ces grandes ambitions, il faut des gens formés aux matières scientifiques".

Il regrette "une évolution négative" qui risque d’éroder un vivier déjà restreint de filles dans les classes préparatoires et de mettre à mal l’objectif de féminisation des étudiants de l’école. "Nous sommes passés de 17,5% à 21,5% des effectifs, mais il y a encore du travail."

Si CentraleSupélec ne subit pas encore l’effet d’attrition du vivier, comment y échapper dans les prochaines années ? Afin de diversifier son recrutement, l'école a ouvert il y a deux ans une voie d’entrée spécifique pour les prépas BCPST, plus féminisées.

Des leviers pour agir

Denis Choimet, président de l’UPS (Union des professeurs de classes préparatoires scientifique), n’a pas non plus constaté, cette année, de baisse du nombre de filles dans les prépas scientifiques, mais elles ne représentent toujours que 30% des effectifs. "L’idée de la réforme, dire que tous les parcours se valent, est louable, estime-t-il. Sauf qu’en sciences, la remédiation au niveau de l’enseignement supérieur est illusoire. On ne peut pas récupérer deux années de maths manquées au lycée."

D’où l’importance de l’information sur l’orientation dès la seconde pour faire ses choix de manière éclairée. "On assiste au cours des trois années de lycée à une disparition progressive des filles dans les matières scientifiques", constate Marion Monnet, chercheuse à l’Ined, qui a étudié le poids des normes et des stéréotypes de genre.

Les filles sous-estiment leurs compétences, et les enseignants perpétuent, même sans le vouloir, des stéréotypes. "On voit qu’ils ont plus d’interactions avec les garçons en cours de maths. Ou encore que les appréciations diffèrent selon le genre."

Outre la formation des enseignants, il existe des leviers d’action pour lutter contre ces biais. L’un des moins coûteux est de permettre aux filles de rencontrer des femmes scientifiques, qui servent de modèles d’identification. "Les filles qui ont bénéficié d’intervention de ce type au lycée ont 30% de chance en plus d’intégrer une prépa scientifique."

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