Reportage

A Nantes, la Prépa Talents veut briser l’élitisme de la fonction publique

17 jeunes ont été sélectionnés sur 82 candidatures pour intégrer la prépa Talents de Nantes.
17 jeunes ont été sélectionnés sur 82 candidatures pour intégrer la prépa Talents de Nantes. © Amélie Petitdemange
Par Amélie Petitdemange, publié le 21 septembre 2021
8 min

Emmanuel Macron a annoncé la création de Prépas Talents, à la rentrée 2021, afin de promouvoir la diversité dans la fonction publique. Reportage dans la classe Talents de Nantes, qui prépare notamment aux concours des instituts régionaux d'administration.

Ce lundi 13 septembre, la promotion 2020-2021 de la prépa Talents de Nantes entame sa première journée de cours. Ils sont 17 étudiants, à majorité des femmes, à avoir cours à l’IRA (institut régional d'administration) et à l’IPAG (institut de préparation à l'administration générale).

Cette prépa fait partie des nouvelles formations annoncées par Emmanuel Macron pour la rentrée 2021. Destinées aux étudiants les plus méritants de l’enseignement supérieur, ces classes préparent aux concours de la fonction publique. Les étudiants bénéficient d'une allocation annuelle de 4.000 euros, cumulable avec la bourse du Crous. S’ils étaient demandeurs d’emploi, ils peuvent aussi conserver leur chômage.

Objectif : diversifier les profils des fonctionnaires français, encore très élitistes. "Il faut que la fonction publique représente la société. Nos recrutements sont très standardisés, nous voulons des parcours plus larges et représentatifs", explique Jean-Louis Donz, directeur de l’IRA de Nantes.

"Cohésion et solidarité"

L'ambiance est studieuse, avec des cours qui durent en moyenne trois heures. Mais pas d'esprit de compétition dans cette prépa, où règne une atmosphère bienveillante. "Le principe de cette prépa, c’est la cohésion et la solidarité. C’est quelque chose que nous décelons lors des entretiens de sélection", pointe Nadia Le Vély, responsable pédagogique de la classe Talents.

"A l’entretien, ils m’ont demandé ce que j’allais apporter au collectif. Et à la rentrée, ils nous ont prévenus que si on se mettait des bâtons dans les roues, nous allions tous échouer. Du coup on fait des fiches en commun, on essaie de tous s’alléger. C'est un concours qu'on ne peut pas faire en solo", raconte Nora.

"Je travaillais 40 heures par semaine"

La jeune femme de 32 ans a toujours travaillé en parallèle de ses études, de son bac professionnel à sa maîtrise de droit international, pour financer ses études. "Pendant ma licence, je ne pouvais assister qu’aux TD. Je travaillais 40 heures par semaine, c’était intenable", se souvient-elle.

L’année dernière, elle a préparé les concours de la fonction publique par ses propres moyens. Lorsqu’Emmanuel Macron annonce la création de ces prépas égalité des chances, en février dernier, Nora saute sur l’occasion. "Je me suis rendu compte que j’avais besoin d’aide et d'encadrement. J’ai attendu avec impatience l’ouverture des candidatures. Dès le premier jour, j'ai envoyé mon dossier".

Des prépas Talents pour s’ouvrir à d’autres profils

Les candidats sont sélectionnés sur critères sociaux, sur dossier, et à travers un entretien de motivation. Nantes participe aussi à la sélection afin de mettre en avant les quartiers classés politiques de la ville. "Notre souhait, c'est aussi de s’ouvrir à d’autres profils académiques, la fonction publique n’est pas réservée aux fins juristes", affirme Nadia Le Vély.

Les élèves qui ont des difficultés financières ou familiales sont particulièrement prioritaires mais l'entretien permet aussi de s’assurer de leur capacité de travail. La préparation, d’une durée d’un an, est en effet très dense.

"Réviser jusqu’à minuit"

Salomé, 25 ans, se porte volontaire pour raconter la vie de sa promotion. "Nous avons des cours de culture administrative, d’institutions administratives, de méthodologie, de droit constitutionnel, administratif et européen, mais aussi de l’économie pour notre culture générale. La charge de travail personnel varie selon les gens, car nous avons des profils très variés, mais on nous a prévenus qu’il y aurait beaucoup de travail. Je pense réviser jusqu’à minuit tous les soirs", témoigne cette diplômée d’un master en culture juridique.

Face à des profils éclectiques, les professeurs et intervenants doivent s’adapter. "Nous démarrons par une introduction au droit pour mettre tout le monde à niveau. Ensuite, ceux qui sont déjà aguerris peuvent tout de suite commencer la bibliographie et les QCM qui sont en ligne", explique Maïté Dehoux-Lillis, intervenante et directrice de l’IPAG.

"On se nourrit mutuellement avec nos parcours très différents. Mes parents n’ont pas fait d’études", témoigne Salomé. Boursière tout le long de ses études, elle travaillait en contrat étudiant pendant son master. "Mon boulot de vendeuse pendant un an me permet maintenant de toucher le chômage. Avec l'allocation en plus, j'atteins quasiment le Smic", compte l'étudiante.

Nora et Salomé se destinent à être fonctionnaires dans un ministère.
Nora et Salomé se destinent à être fonctionnaires dans un ministère. © Amélie Petitdemange

Suivi personnalisé

Avant la rentrée, Nadia Le Vély s'est entretenu pendant 45 minutes à une heure avec chacun des étudiants afin de déceler les problèmes qui pourraient les freiner dans leur préparation. Entre un étudiant qui a, par exemple, un bébé d’un mois ou une autre qui a besoin du soutien d’une assistante sociale, les situations diffèrent. "Ils ne se livrent pas complètement dès ce premier entretien, mais nous installons une relation de confiance pour qu’ils se livrent au fil de la formation", assure-t-elle.

Chaque élève est par ailleurs accompagné par deux tuteurs étudiants à l’IRA et un tuteur du monde professionnel. "C’est un avantage considérable pour le concours de connaître le contexte. Les étudiants auront aussi des immersions dans les services de l’Etat, dans une préfecture par exemple. Nous prenons en charge tous les frais, du transport au logement, pour qu’il n’y ait aucun frein à cette découverte", souligne Jean-Louis Donz.

Au mois de mars, les étudiants passeront les concours d’un IRA (institut régional d'administration), a priori celui de Nantes. Mais ils seront aussi prêts à passer d’autres concours de la fonction publique, comme celui de l’école des finances publiques. S’ils intègrent l’IRA, ils choisissent leur poste à la fin de la formation parmi une liste publiée par les ministères. Les étudiants les mieux classés sélectionnent leur poste en premier.

"Changer la politique"

Nora vise un poste au ministère de l’Intérieur, afin de travailler sur des questions de politique de la ville, d’intégration et d'égalité des chances. "Je suis une fille issue de l’immigration, mes parents viennent du Maroc. Ce sont donc des questions qui me touchent", explique la jeune femme. Selon elle, "il y a beaucoup de talents qu’on néglige en France. Dans les quartiers de la ville mais aussi dans nos campagnes".

Diversifier les profils de la fonction publique induit aussi des changements dans leur façon de travailler. "On va changer la politique. En tant que futurs fonctionnaires, notre ambition n'est pas le salaire, c'est une vraie vocation", affirme Nora.

Et pour les étudiants qui ne décrocheraient pas le concours, cette année de préparation sanctionne une licence d’administration publique. Il sera donc possible de rebondir en master ou de préparer à nouveau les concours.

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