Enquête

Coronavirus : comment continuer sa formation artistique loin des ateliers des écoles ?

Le travail à distance dans les écoles d'art a des inconvénients, notamment pour la présentation d'un objet fabriqué par un étudiant.
Le travail à distance dans les écoles d'art a des inconvénients, notamment pour la présentation d'un objet fabriqué par un étudiant. © Rawpixel.com / Adobe Stock
Par Mersiha Nezic, publié le 05 mai 2020
7 min

Comment se poursuivent les enseignements dans les écoles d'art alors que les ateliers sont fermés et que professeurs et étudiants sont contraints à une communication virtuelle ? Depuis le 17 mars, le confinement met ces établissements au défi d'assurer la "continuité pédagogique" à distance. Un exercice compliqué particulièrement s'agissant des cours pratiques.

"D'habitude, nous avons beaucoup d’interactions avec les professeurs. Ils ne sont jamais très loin pour regarder nos dessins. Par écrans interposés et avec le retour de travaux par photo, cela prend plus de temps", concède Lou-Anne Guillon, étudiante en deuxième année de design à l’antenne bordelaise de l’ECV, une école privée formant aussi aux secteurs de l'animation, du game et du digital.

Comment poursuivre les formations artistiques alors que les ateliers des écoles sont fermés, que des étudiants se retrouvent parfois sans matériel et qu'ils entretiennent des relations exclusivement virtuelles avec les professeurs ?
Depuis le 17 mars dernier, le confinement met ces établissements au défi d'assurer la "continuité pédagogique" via les enseignements à distance. Un excercice qui a ses limites même si la grève historique des transports publics qu'a connu le pays en hiver dernier a un peu rôdé les écoles de la région parisienne. Il y a quelques mois seulement, certaines avaient déjà dématérialisé une partie des enseignements, surtout théoriques. Poursuivre les apprentissages pratiques dans un pays sous cloche, voilà le véritable enjeu pour ces établissements.

Apprendre à réaliser un sac à distance

Cet après-midi d’avril se tient un cours de modélisme dans une classe de première année de stylisme design de mode, à LISAA Mode. Ils sont une vingtaine d’élèves à suivre Mélodie Boitard, l’enseignante d’une trentaine d’années, se lancer dans une démonstration de montage de cabas par écrans interposés.

"Je vous livre le mode opératoire en partage puis je vous l’envoie par e-mail, précise la jeune femme en début du cours. Et vous pourrez vous entraîner. Là, vous allez voir les gammes de montage. Ce sera plus facile ensuite de placer les broderies et les embellissements sur vos tissus".
Pendant ce cours en ligne dispensé via l’application Blackboard Collaborate, l’enseignante est la seule à apparaître en vidéo. Les étudiants envoient des questions par message ou demandent à prendre la parole. Car si un étudiant intervient, son image est affichée en plein écran et la classe perd la vision de la démonstration de l’enseignante.
Élèves comme professeurs estiment que la formule est plus fatigante que l'enseignement en présentiel. "Garder leur attention pendant quatre heures par écrans interposés, c’est un défi. Et il faut tenir la longueur du confinement. Les étudiants doivent rester concentrés et professionnels", explique Mélodie Boitard. Ce qui n’a rien d’évident.

"Je n’ai pas la tête à ça, j’ai du mal à me concentrer, raconte Fanny Lallart, étudiante en 5e année à l’ENSAPC de Cergy, dans les colonnes du Quotidien de l’art. C’est difficile de travailler dans l’incertitude. Il y a une course au 'meilleur projet de confinement', une injonction à produire que nous essayons de déconstruire. Par ailleurs, une école d’art, c’est d’abord un lieu où on se rencontre, où on touche des objets."

Lou-Anne Guillon, l’étudiante bordelaise en design, s’estime plutôt chanceuse d’être confinée au vert, dans une maison avec jardin alors que le confinement exacerbe la confusion entre temps de travail et temps libre. "Je prends l’air régulièrement", dit-elle.

Le numérique rend l’enseignement "rigide et froid"

Pendant que les étudiants s’accrochent, les écoles buttent sur la difficulté d’organiser une relation pédagogique de longue haleine à distance.

Du côté de l'École supérieure d’art Annecy Alpes (ESAAA), l’équipe pédagogique a mis en place une "école en archipel, hors des murs. Ce n’est pas une transposition de nos enseignements habituels", précise le directeur de l’établissement Stéphane Sauzedde. Des groupes de travail sont mis en place sur Riot, un service de communication open source via lequel étudiants et enseignants échangent des idées et travaillent sur des projets communs.

Aujourd'hui, après un mois de fonctionnement, une cinquantaine de projets pédagogiques tournent. Des professeurs partagent des cours, de la documentation, des conseils. Les étudiants montrent des vidéos de performances, des photos, des travaux de sons, d’écritures, de dessins ou des peintures. Via les salons de discussions techniques de la plateforme, les étudiants se partagent des tuyaux. Une étudiante a ainsi montré comment faire de la glaise à céramique en récupérant de la terre à côté de chez soi.
Mais Stéphane Sauzedde, qui estime que le numérique rend l’enseignement "rigide et froid", ne cache pas une certaine frustration. "Un objet fabriqué en art ou en design, ne peut seulement être appréhendé par l'image numérique. On a besoin d'en percevoir le volume, d'en sentir le poids, la texture. Et ce n’est pas possible en passant par nos ordinateurs qui restent des blocs de métal et de verre et qui lissent tout tristement… ".

Les étudiants ont gagné en autonomie

Difficile surtout de transposer l'ensemble des enseignements en distanciel. Comment faire lorsque, par exemple, tous les élèves ne disposent pas de machine à coudre en modélisme ? Les écoles sont souvent obligées de revoir leurs programmes.
"Quand les étudiants de première année reviendront à la rentrée, ils reprendront les apprentissages qu’ils ne peuvent pas faire actuellement, explique Anne Balas-Klein, la directrice de LISAA Mode. En revanche, nous avons introduit des éléments de deuxième année qui sont faisables à distance en première année."
L’école procédera à un bilan de rentrée pour "peser au fil de l’eau ce qui aurait été mal digéré par les étudiants. Mais peut-être qu’ils auront aussi développé de nouvelles compétences. Les étudiants revoient leur manière d’apprendre. Ils ont, sans doute, gagné en autonomie".

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