Décryptage

Affaire Wauquiez : ce qui se passe en cours doit-il rester en cours ?

La loi le dit : il faut avoir l'autorisation de l'auteur d'un cours ou d'une conférence pour en diffuser le contenu.
La loi le dit : il faut avoir l'autorisation de l'auteur d'un cours ou d'une conférence pour en diffuser le contenu. © plainpicture/Millennium/Keri Bevan
Par Natacha Lefauconnier, publié le 19 février 2018
6 min

Vendredi 16 février 2018, des étudiants de l’EM Lyon ont enregistré et diffusé les propos tenus par Laurent Wauquiez dans le cadre d’un cours. Le président du parti Les Républicains estime que c’est illégal. Vrai ou faux ? Réponse de Maître Merlet-Bonnan, avocat.

La polémique a enflé après que des extraits du cours d’“enjeux de société” donné à l'EM Lyon Business School par Laurent Wauquiez, le président de la région Auvergne Rhône-Alpes et du parti Les Républicains, ont été enregistrés puis diffusés par l'émission "Quotidien", vendredi 16 février 2018.

Nicolas Sarkozy et Emmanuel Macron visés

Les propos de l’homme politique visaient notamment l’ex-président de la République Nicolas Sarkozy, l’actuel président Emmanuel Macron et Gérald Darmanin, ministre de l’Action et des Comptes publics.

Or, ce cours était destiné à une trentaine d’étudiants de l’EM Lyon Business School, qui avaient été sélectionnés sur lettre de motivation. Dès le début du cours, Laurent Wauquiez précisait à son auditoire qu’il était interdit de faire sortir ses propos de la salle : “Si j’ai la moindre interface qui sort par le moindre élève, là pour le coup, ça se passera très mal", entend-on dans l'enregistrement.

Un avertissement qu’il justifiait par le besoin de garantir la liberté de parole : “Si on veut que ce soit un lieu de liberté, il faut que tout ce que je dise reste entre nous. Donc pas de tweets, pas de posts sur les réseaux sociaux, pas de transcription de ce que je dis.

Les cours relèvent-ils d’un “cadre privé” ?

Mais peut-on parler de “cadre privé” dans le cas d’un cours donné dans une école de commerce, même s’il s’agit d’un établissement privé ? Les propos de Laurent Wauquiez ont-il été enregistrés de façon illégale, “avec des méthodes peu déontologiques qui ouvrent la voie à des suites judiciaires”, comme il l’affirme pour sa défense ?

C’est en tout cas l’avis du directeur de l’EM Lyon, qui a envoyé une lettre aux étudiants et collaborateurs de l’école, lundi 19 février, que s’est procurée la chaîne LCI : “Enregistrer une personnalité sans l’en informer n’est pas une valeur early maker (sic). Je note que cette absence d’éthique est par ailleurs un comportement illégal, contraire à notre règlement intérieur s’il s’agit d’un participant. La liberté exige une responsabilité collective."

Ce que dit la loi sur la propriété intellectuelle

L'EM Lyon est un établissement privé et l'auditoire était limité à une trentaine d'élèves, triés sur le volet. On peut donc reconnaître un cadre "privé". "Mais ce n'est pas tant cet aspect qui compte que le caractère privé des propos", explique Maître Jean Merlet-Bonnan, avocat à la Cour.

En effet, "une conférence ou un cours donnés par un intervenant sont soumis à la propriété intellectuelle" : il faut avoir l'autorisation de son auteur pour en diffuser le contenu. Mais encore faut-il, pour que le cours soit protégé par le droit d'auteur, qu'il lui soit reconnu un caractère d'originalité.

Autrement dit : la prise de notes ou l'enregistrement d'un cours ne sont pas illégaux. En revanche, la diffusion sans consentement de l'auteur peut causer des difficultés à son diffuseur.

Ce que dit la loi sur la protection de la vie privée

Laurent Wauquiez pourrait-il engager des poursuites contre l'élève coupable ? "L'article 9 du Code civil dispose que 'chacun a droit au respect de sa vie privée'", cite Maître Merlet-Bonnan. S'il y a atteinte à sa vie privée, Laurent Wauquiez pourrait alors lancer une procédure utilement.

Ainsi, sur la voix comme "attribut de la personnalité", un arrêt de la Cour d’appel de Paris considère qu'on peut prétendre à la protection de sa voix sur le fondement de l'article 9 du Code civil si la reproduction porte atteinte à sa vie privée. De plus, l'article 226–1 du Code pénal punit "le fait, au moyen d'un procédé quelconque, volontairement de porter atteinte à l'intimité de la vie privée d'autrui : 1°) en captant, enregistrant ou transmettant, sans le consentement de leur auteur, des paroles prononcées à titre privé ou confidentiel".

Une obligation : le respect du règlement intérieur

Cependant, sans conclure sur l'atteinte, ou non, au respect de la vie privée dans cette situation et la confidentialité des propos, la tendance jurisprudentielle tient compte des circonstances des faits et des droits du public à l'information. "La Cour européenne des droits de l’homme et la chambre criminelle de la Cour de cassation ont en effet posé des limites au respect de la vie privée, en considérant que n'était pas un délit la publication d'éléments qui apportent une contribution à "un débat d'intérêt général"", rapporte l'avocat.

Cela semble être le cas ici, pour des propos liés à la vie publique. Une action de Laurent Wauquiez aurait donc peu de chance d'aboutir, en l'état des informations dont nous disposons.

En revanche, l'étudiant ou l'étudiante qui a transmis ces enregistrements pourrait être sanctionné(e) s'il, ou elle, a enfreint le règlement intérieur de l'établissement. L’EM Lyon précise toutefois qu’il n’y aura pas d’enquête interne pour établir l'identité de l’élève à l’origine de la fuite.

Vous aimerez aussi

Contenus supplémentaires

Partagez sur les réseaux sociaux !