Décryptage

Ecoles de commerce et ouverture sociale : le défi de la sélectivité

L’ESSEC a lancé en 2022 l’expérimentation du double appel à l’oral pour son concours post-prépa.
L’ESSEC a lancé en 2022 l’expérimentation du double appel à l’oral pour son concours post-prépa. © Mathilde MAZARS/REA
Par Lola Fourmy, publié le 05 janvier 2023
7 min

Le débat sur l’ouverture sociale des écoles de commerce françaises n’est pas nouveau et les dispositifs mis en place, eux, sont de plus en plus nombreux. Au dépit de quelques critiques et d’interrogations, les grandes écoles sont bien décidées à tenir le cap.

Le manque de diversité sociale et territoriale dans les grandes écoles n’est plus à démontrer. L’étude "Quelle démocratisation des grandes écoles depuis le milieu des années 2000 ?", publiée en 2021 par l’Institut des politiques publiques, pointait le fait que 65% des étudiants en école de commerce à la rentrée 2016 étaient issus des CSP très favorisées. Les très défavorisés, eux, ne représentaient que 8% des effectifs.

Des étudiants de même niveau, parfois plus engagés

Pour lutter contre ce phénomène, l’Essca est la première école de management à avoir mis en place une modulation des frais de scolarité au-delà des critères boursiers. Ainsi, des élèves non boursiers peuvent bénéficier d'une modulation des frais d’inscription en fonction des revenus. Une manière d’ouvrir l’établissement à d’autres profils.

Mais, cette ouverture sociale serait-elle synonyme d’un abaissement de la sélectivité comme le craignent certains ? "Absolument pas", répond Christine Sinapi, directrice des programmes académiques de l’Essca. "Et pour cause, on les sélectionne de la même manière que les autres étudiants et ils sont même parfois encore plus engagés dans leurs études." Les chiffres le prouvent : "Ces étudiants ont exactement le même taux de passage en deuxième année que le reste des étudiants. Ils ont la même moyenne et certains ont même surpassé les autres dans certaines matières", explique encore Christine Sinapi.

Pour autant, l’Essca n’envisage pas d’aller un cran plus loin et de proposer un système de bonification de points lors de l’admission. "Ça ne me semble pas nécessaire chez nous, affirme la directrice des programmes. Ce sont des dispositifs qui peuvent être efficaces, mais qui peuvent aussi être une source de rupture d’égalité et cela interroge." Cette bonification pourrait même renforcer l’internalisation des stéréotypes chez les jeunes issus de milieux moins favorisés et donc les faire douter de leur légitimité.

Moderniser la notion d’excellence

Mais alors pourquoi tant de doutes face à ces politiques d’ouverture sociale ? "Certains sont accrochés à une notion d’excellence qui date d’une ou deux décennies, où celle-ci se mesurait uniquement par l’excellence académique. Aujourd’hui, le monde bouge, et nous avons aussi besoin d'autres compétences, comme la persévérance et la résilience", explique Chantal Dardelet, la directrice du CEDI (Centre égalité, diversité et inclusion) de l’Essec.

Partant du constat que les étudiants boursiers étaient moins bons à l’écrit, mais meilleurs à l’oral, l’Essec a donc lancé en 2022 l’expérimentation du double appel à l’oral pour le concours post-prépa. Le principe : permettre aux 35 étudiants boursiers situés juste en dessous de l’admissibilité à l’écrit de passer quand même l’oral. Et ça marche puisque 24 d’entre eux ont finalement intégré l’Essec à la rentrée dernière. "Nous n’avons changé ni les notes, ni les coefficients, les épreuves sont anonymes. Ce qui signifie que ces élèves ont surpassé les autres à l’oral et ont donc obtenu une note suffisante pour intégrer l’école", détaille encore Chantal Dardelet.

"Cela pose la question des compétences que l’on teste. L’écrit, ce sont des compétences scolaires. D’ailleurs, commencer par l’écrit est un choix arbitraire, on pourrait faire l’inverse !" affirme la directrice du CEDI de l’Essec qui insiste : "Ce sont les mêmes épreuves pour tous, donc le même niveau d’exigence".

La baisse de l’excellence, un faux débat

Et l’école de commerce a décidé d’aller plus loin avec le lancement du programme Sirius. Un accompagnement d’un an pour les bacheliers professionnels vers les études supérieures et les grandes écoles, puis une prise en charge pour les boursiers de 90% des frais d’inscription après admission. "Le constat est simple, sur une génération de bacheliers, on compte 25% issus des filières professionnelles or, ils ne sont plus que 15% dans l’enseignement supérieur. Ils ne représentaient que 1% dans notre école en 2021. Nous avons donc décidé de donner une seconde chance à ces élèves et briser le plafond de verre lié à la perception des filières professionnelles", argumente Nicolas Arnaud, directeur des programmes d’Audencia. Cette année, une vingtaine d’élèves bénéficient de ce programme.

Pour Nicolas Arnaud, ces nouveaux profils n’ont pas d’impact négatif sur l’excellence de l’établissement, bien au contraire. "C’est un faux sujet qui refuse de prendre en compte ce qui se passe avant les candidatures dans nos grandes écoles. Nos concours sont conçus dans l’idée que le capital socioculturel - sans parler du capital financier - suffit, or nos épreuves ne tiennent pas compte de ce partage inégal du capital social en amont", estime-t-il.

Il plaide aussi pour le rôle de transformation que doivent jouer les écoles de management. "Si on intègre des élèves avec un niveau moins élevé et qu’on les amène au même niveau que les autres, là, on joue vraiment notre rôle de transformateur", assène le directeur de l’école nantaise. Et de citer l’exemple d’un étudiant, venu d’un bac pro, qui a repris ses études en auto-financement et intégré Audencia en admissions parallèles, pour finir expert en fusion-acquisition à la City de Londres… un exemple à suivre !

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