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Ces ingénieur(e)s qui changent de vie par conviction écologique

Rester dans un emploi bien rémunéré ou exercer un métier en accord avec ses convictions, tel est le le dilemme de certains jeunes ingénieurs.
Rester dans un emploi bien rémunéré ou exercer un métier en accord avec ses convictions, tel est le le dilemme de certains jeunes ingénieurs. © Adobe Stock/Knut
Par Sarah Nafti, publié le 20 avril 2023
6 min

Étudiants, ils ont appris en école d’ingénieurs à "optimiser", à "résoudre des problèmes", sans "questionner la technologie". Avec l’urgence écologique, certains s’interrogent sur leur rôle dans le système productiviste et font le choix de quitter leur emploi pour s’investir dans les luttes écologistes. Des collectifs se montent pour les y aider. Témoignages.

Diplômée en génie civile, Agathe*, 33 ans, a commencé par travailler sur un projet massif d’extraction de gaz. Un projet "techniquement passionnant" mais "aberrant" en termes écologiques. "En école d’ingénieurs, on apprend à résoudre des problèmes et j’adorais cet aspect de mon métier. Mais on ne nous apprend pas à se poser la question : est-ce que ce problème mérite d’être résolu ?"

Constatant que son emploi ne lui convenait pas, elle s’est tournée vers les énergies renouvelables. Mais là aussi, elle a découvert l’envers du décor : "C'est un autre moyen de faire gagner de l’argent au privé. On créé des crises sociales et environnementales, mais construire des éoliennes donne l’illusion de faire ce qu’il faut au lieu d’avoir une réflexion globale sur notre système."

Questionner la responsabilité des ingénieurs

Il y a un an, elle a quitté son emploi et rejoint le collectif les Desert’Heureuses, qui vise à rendre la désertion "possible et désirable". Ce collectif s’adresse aux étudiants et aux ingénieurs pour "les interpeller, les amener à les questionner sur leur responsabilité dans les ravages actuels". Car quitter le confort du salariat, n’est pas si simple. "On a appris que notre valeur d’être humain est validée par l’argent. C’est quelque chose qui est difficile à déconstruire."

Donner du sens à son métier

Aurèle espère donc pouvoir faire un choix hybride : travailler dans une entreprise qui ne contrevient pas trop à ses convictions, tout en gardant du temps et de l’espace pour s’investir sur le reste. Conscient "de sa chance" de pouvoir, grâce à ces études, trouver du travail facilement, il veut "s’investir dans des projets qui ont du sens". Actuellement en césure avant sa dernière année, il a profité de cette pause pour se mettre à la photographie et documenter les luttes sociales et environnementales.

Thibault*, diplômé de l’Insa Lyon en 2019, a aussi fait ce choix : un emploi moins bien rémunéré, mais qui a plus de sens. Lors de sa première expérience professionnelle, il a eu "la mauvaise surprise" de devoir travailler sur des projets de production pétrolière offshore. Il a démissionné au bout de six mois.

À l’origine, cet ingénieur mécanicien était pourtant "fasciné" par l’aéronautique, et pensait y faire carrière. "Il faut dire qu’il existe des parrainages de promo par les entreprises, et qu’elles arrivent à nous vendre du rêve." "Aujourd’hui, j’aide des collectivités à décarboner leurs transports en commun, je les conseille sur des modes énergétiques durables." Ce nouvel emploi, qui lui permet d’influencer les politiques publiques locales, correspond à sa volonté d’agir en faveur de la transition écologique "au-delà de [son] seul impact personnel".

Quitter le système pour le changer

Ce sont à ces jeunes, cadres ou futurs cadres, que Romain du collectif "Vous n’êtes pas seuls" veut s’adresser. Cet ingénieur en statistiques, diplômé en 2017 des Mines de Saint-Etienne, s’oppose à "un monde où tout est quantifiable, que l’on veut appréhender par des bases de données".

Avec d’autres scientifiques, il porte une critique radicale d’un système dont ils ont, par leurs métiers, vu une partie du fonctionnement intérieur. Il considère que "les tentatives de changement du système de l’intérieur sont illusoires" et que les classes prépas et les écoles d’ingénieurs sont des moments "dépolitisants" : "Les ingénieurs ont l’impression de ne pas faire de politique parce qu’ils font de la technologie, alors que tous les usages sont politiques."

Il en veut pour preuve certains sujets qui agitent la société comme la surveillance par les outils numériques ou le développement de l’intelligence artificielle. Les ingénieurs sont "le cœur battant de ce système".

Avant de quitter son emploi de data scientist, Romain a mis de l’argent de côté, ce qui lui a permis de "faire ce pas de côté sans trop hésiter". Mais "une fois qu'on en est sorti", vivre hors du système s’apprend. Des solidarités se créent, qui permettent de se débrouiller. "On passe par un système de récupération, de réemploi, par des réseaux d’agriculture vivrière…" Avec son collectif, Romain veut "ouvrir des brèches" et "faire naître les graines de la contestation radicale".

*Le nom a été changé pour préserver l'anonymat.

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