Décryptage

Formations dans le nucléaire : y a-t-il un effet Fukushima ?

Par Sylvie Lecherbonnier, publié le 26 septembre 2011
1 min

Mars 2011 : le tsunami qui s’abat sur le Japon provoque d’importants dégâts dans la centrale de Fukushima. La catastrophe a-t-elle changé la façon d’enseigner dans les filières du nucléaire ? Les étudiants déjà engagés dans ces cursus sont-ils inquiets pour leur avenir professionnel ? Y a-t-il moins de jeunes qui se dirigent vers ces formations ? Premières impressions à l’École des mines de Nantes, à la rentrée 2011.

À la Maison des élèves de l’École des mines de Nantes, au printemps 2011, les discussions ont été plus vives que les années précédentes entre les élèves des options nucléaire et ceux de l’option génie des systèmes énergétiques, davantage centrée sur les autres énergies. Les seconds ont toujours taquiné les premiers sur leurs choix (et inversement !), mais avec le spectre de la catastrophe de Fukushima en mars 2011, les débats ont pris un tour plus polémique.

Ces échanges n’ont pourtant pas dissuadé les 35 élèves-ingénieurs des 2 options nucléaire (STAR et NTSE) de poursuivre dans cette voie. Ils l’ont choisie à la fin de leur 1ère année d’études aux Mines de Nantes ont suivi des cours de spécialisation en 2e année et attaquent leur option en ce début de 3e année. Avec le même enthousiasme. Paul Couchot part en année de césure chez Areva Erlangen en Allemagne. Il en est ravi : “Fukushima est un drame dont on doit tirer des leçons pour davantage allier le côté technique et le côté humain. Mais la catastrophe ne remet pas en cause mon envie de me diriger dans cette voie.” Catalina Devis-Cantillo, elle, est venue de Colombie pour suivre une formation dans le nucléaire. Son rêve : développer cette énergie dans son pays d’origine.

 
La catastrophe japonaise devenue un exemple pédagogique

 

En ce matin de septembre, ils sont 9 à commencer, en demi-groupe, le cours “Cycle du combustible”. L’enseignant-chercheur, Abdesselam Abdelouas, parle sciences, mais aussi économie ou géopolitique. La France et le retraitement des déchets, les débats lors de la guerre du Golfe sur les bombes d’uranium, les coûts d’extraction, la position des Américains… Tout y passe.

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Le premier cours du cycle du combustible nucléaire en 3e année à l'École des Mines de Nantes.

Face à lui, les étudiants ne sont pas en reste. Ils posent des questions sur les concurrents d’Areva pour l’extraction minière ou sur les propriétés de l’acide fluorhydrique. “Nous essayons à chaque unité d’enseignement de traiter les questions sociétales”, assure l’enseignant-chercheur.

Fukushima a été intégré dans les cours… comme un exemple pédagogique. “À partir du moment où c’est arrivé, il est normal qu’on en parle et qu’on l’intègre dans nos enseignements”, confie Lydie Giot, responsable de l’option STAR (systèmes et technologies associés aux réacteurs nucléaires). Son collègue, Christophe Hartnack, responsable de l’option NTSE (nucléaire : technologies, sûreté, environnement) tempère : “Le programme n’a pas été bouleversé. Il ne faut pas trop se focaliser non plus. Les questions liées aux risques sont déjà très présentes.

À la fin de leur option, les étudiants assistent, par exemple, à un “exercice de crise” au sein d’une centrale nucléaire ou de l’EAMEA (École des applications militaires de l’énergie atomique) de Cherbourg, exercice qui simule un accident nucléaire plus ou moins fort avec intervention des pompiers, évacuation de zones… “Les étudiants prennent alors conscience des conséquences d’une fuite radioactive, souligne le directeur des études, Lionel Luquin. Ils doivent sortir des aspects scientifiques et se rendre compte que le risque zéro n’existe pas.
 
Les étudiants de l'École des Mines de Nantes, déjà engagés dans la filière du nucléaire et confiants dans leur avenir professionnel.

Un toilettage des programmes sera nécessaire en 2012 pour encore renforcer la prise en compte des risques, annonce cependant Stéphane Cassereau, directeur de l’École des mines de Nantes jusqu'au 1er octobre. “Le modèle probabiliste a montré ses limites. Il y avait très peu de chances que la catastrophe de Fukushima se produise, mais elle a bien eu lieu. Nous devons aider les futurs ingénieurs à penser de manière différente.

 
Des étudiants sereins quant à l’avenir du nucléaire

 

Quid de l’avenir de l’industrie nucléaire, alors ? Les étudiants n’expriment pas d’inquiétude. Les déclarations de candidats à la présidentielle 2012, comme Martine Aubry (PS) ou Eva Joly (Europe Ecologie – Les Verts), qui veulent engager une sortie progressive du nucléaire ne font pas mouche auprès d’eux. Amaury de La Salle voit plus loin : “Même si des centrales devaient être démantelées, nous aurions encore du travail, car sortir du nucléaire prendra des dizaines d’années et nos compétences seront demandées”.

Avant Fukushima, les diplômés 2010 n’ont eu aucune difficulté à trouver un emploi. Plus de la moitié ont signé un contrat avant leur sortie d’école, pour des salaires brut annuels avoisinant les 37.000 €, primes comprises.

Pas d’appréhension non plus du côté de la direction de l’école aujourd’hui. “Les entreprises n’affichent plus des perspectives pour les 10 prochaines années mais elles n’ont en aucun cas stoppé leur recrutement précise Lionel Luquin. Seule certitude à ce jour : la recrudescence des postes sur la sûreté nucléaire.

 
Quelle attractivité pour demain ?

 

Reste à savoir si les formations dans le nucléaire resteront attractives dans les années à venir. L’École des mines de Nantes craint les effets de communication. “Si un discours ‘décliniste’ sur le nucléaire s’installe, on pourrait subir une pénurie d’étudiants sur un secteur qui va continuer à recruter dans les prochaines décennies”, assure Stéphane Cassereau.


Crédit photo : École des Mines de Nantes
La rentrée des élèves en 1re année à l'Écoles des Mines de Nantes. Se dirigeront-ils vers le nucléaire aussi massivement que leurs aînés? L'avenir nous le dira.

Pour le moment, le statu quo domine : 35 étudiants se sont inscrits pour entrer dans les options “nucléaire” en 2012. Le même chiffre que 2011. Lydie Giot a fait passer les entretiens aux étudiants de 1ère année pour leur choix d’options au moment de Fukushima. Elle leur a posé des questions sur leur sentiment face à la catastrophe et a été surprise de leurs réponses : “Ils ont plutôt envie de comprendre et de contribuer à améliorer les technologies existantes.”
 


Des formations dans le nucléaire de plus en plus nombreuses
En 2008, un rapport ministériel préconisait de passer de 300 à 1.200 diplômés de niveau bac+5 spécialisés dans le nucléaire. En cause : le trop petit nombre de formations dans le nucléaire au regard des besoins des entreprises. Écoles d’ingénieurs et universités ont joué le jeu. On trouve désormais des options “nucléaire” dans les écoles généralistes, mais aussi dans les écoles tournées vers la chimie, voire le BTP.L’École des mines de Nantes fait office de pionnière dans le domaine. Elle a proposé une option nucléaire (NTSE) depuis 1997. Elle ne rassemblait que 3 élèves au départ, puis 10. Il a fallu attendre les années 2004-2005 pour qu’elle commence à faire le plein et que l’option STAR soit créée.Aujourd’hui, 2 options sur 10 concernent cette énergie. Deux masters ont également vu le jour, l’un centré sur le traitement des déchets radioactifs, l’autre sur les applications médicales. En comptant les docteurs, l’École des mines de Nantes diplôment 80 étudiants par an sur ces enjeux.

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