Enquête

Le long chemin vers la parité dans les écoles d'ingénieurs

Des opérations comme "Féminisons les métiers de l'aéronautique" permettent à des lycéennes de rencontrer des ingénieures d'Airbus.
Des opérations comme "Féminisons les métiers de l'aéronautique" permettent à des lycéennes de rencontrer des ingénieures d'Airbus. © Lydie Lecarpentier/REA
Par Clément Rocher, publié le 05 janvier 2022
6 min

Les écoles d'ingénieurs mettent en place des actions de sensibilisation pour développer la mixité au sein des promotions. Mais le taux de féminisation stagne depuis dix ans. Les étudiantes représentent moins d’un tiers des effectifs totaux d’étudiants. Comment changer la donne ?

Le chiffre est criant : seulement 28% de femmes sont inscrites dans des formations en ingénierie. Depuis 2013, ce taux ne progresse pas malgré les nombreuses actions menées par les écoles d'ingénieurs et d'autres acteurs de l'enseignement supérieur.

Afin de tendre vers la parité parmi les étudiants, le principal challenge des établissements consiste à augmenter le recrutement des jeunes femmes. Un pari sur le long terme. Mais les effets se font attendre.

Attirer les étudiantes dans les écoles d'ingénieurs

En effet, dans certains écoles d'ingénieurs, le taux de féminisation ne dépasse pas 15%. C'est notamment le cas de l'EPITA, de l'ISAT ou bien de l'ESTACA, établissement spécialisé dans les filières du transport (automobile, aéronautique, spatial), située à Saint-Quentin-en-Yvelines (78) et à Laval (49), qui présente un taux de 13%.

"Ce n'est pas faute de mener le combat. L'école est très active sur ce sujet mais nous avons un taux qui reste faible. L'école est notamment membre de l'association Femmes & Sciences, nous participons à des rencontres organisées dans les collèges et lycées. Il y a 10 ans, nous avions un taux de 8% mais cette progression n'est pas suffisante", explique Catherine Forveille, référente discrimination de l'ESTACA.

Les domaines de spécialisation portés par l'école d'ingénieurs sont marqués par des stéréotypes, encore tenaces aujourd'hui. "Nos domaines d'activité, comme par exemple les nouvelles mobilités, sont davantage associés à une image masculine. Nous manquons aussi de modèles féminins tel que des ingénieures en activité. Pourtant nos étudiantes sont très bien intégrées."

Ce besoin de recruter des femmes est également formulé par les entreprises. "Les femmes ingénieures ont leur rôle à jouer. Non seulement elles sont les bienvenues, mais à profil égal, les entreprises favoriseront une fille. L'évolution des métiers de notre secteur fait que cette réticence est moins compréhensible", poursuit Catherine Forveille. D'autant plus que l’insertion professionnelle des jeunes femmes est quasi garantie à la sortie des écoles d’ingénieurs.

Certaines écoles d'ingénieurs peinent à attirer les hommes

Elles sont peu nombreuses mais certaines écoles d'ingénieurs affichent des taux de féminisation particulièrement élevées. C'est le cas d'Oniris, de l'ESBS et de l'EBI, école spécialisée en biologie, située à Cergy (95), qui approche les 78,5%. "C'est une donnée qu'il faut transformer en atout. Nous avons dû agir dans le passé pour que les chances d'être leader dans un projet d'enseignement soient similaires pour un homme et une femme", explique Florence Dufour, directrice de l'EBI.

La responsable a également échangé avec ses diplômés afin d'établir un retour d'expérience. "Les hommes ont intégré pour la plupart des secteurs fortement féminisés comme l'industrie chimique ou cosmétique. La probabilité pour eux d'y être dirigés par une femme est bien supérieure que dans le secteur du numérique. Ils ont eu l'habitude de trouver leur place et de se montrer efficace. Ils arrivent aussi à mieux repérer les talents féminins dans leur équipe et savent leur donner des responsabilités."

Quelques écoles d'ingénieurs montrent l'exemple

Certaines écoles d'ingénieurs sont pourtant parvenues à trouver un équilibre entre la proportion d'hommes et de femmes. On peut citer l'exemple de l'ENSIC, l'ENGEES mais aussi de Chimie ParisTech.

"L'école possède une longue tradition de parité. Il y a plusieurs raisons à cela. Les filles montrent plus d'intérêt pour la chimie que pour l'informatique. Elles sont aussi mobilisées sur les questions environnementales et les enjeux autour de la santé", soutient Christian Lerminiaux, directeur de l'établissement.

"Nos meilleurs ambassadeurs restent nos étudiants. Quand ils se déplacent dans les lycées, ils mettent en avant cette diversité. C’est beaucoup plus agréable de travailler dans un environnement mixte", conclut le directeur.

"On devrait pouvoir atteindre 40% de femmes"

Reste que la parité dans l'ensemble des écoles d'ingénieurs n'est pas encore pour demain. En tout cas au vu des chiffres. "J'ai espoir que l'on progresse mais ce ne sera pas rapide", confirme Catherine Forveille.

"Je pense que c’est possible. On devrait pouvoir atteindre 40% de femmes. Il y a une chose sur laquelle on n'insiste pas assez : quand on regarde l’équilibre entre la vie professionnelle et la vie privée, elle est bien meilleure pour les ingénieurs que pour n’importe quelle autre profession", intervient Christian Lerminiaux.

D'autres pays font mieux que la France. Par exemple, ceux du Maghreb enregistrent les plus forts taux de femmes ingénieures au monde. "La manière de se former au numérique y est présentée de manière différente dès le lycée. Les jeunes femmes arrivent très bien à se projeter dans ce secteur. Il faut se questionner sur la manière dont on expose aux élèves les sciences et les métiers de l'ingénieur", affirme Florence Dufour.

Des actions de sensibilisation pour promouvoir les métiers de l'ingénierie

En France, dès le lycée, de fortes disparités existent dans le choix de spécialités des élèves de première et de terminale. Les filles sont particulièrement sous-représentées dans les enseignements scientifiques.

À la rentrée 2021, 39,8% des filles de terminale générale ont choisi les mathématiques (-2% par rapport à 2020). Comme en 2020, seulement 14% des élèves suivant la spécialité NSI (numérique et sciences informatiques) et 13% de ceux suivant la spécialité SI (sciences de l’ingénieur) sont des filles.

Pour faire bouger les lignes, les écoles d'ingénieurs mettent en place de nombreuses actions de sensibilisation. Depuis 10 ans, l'opération "Ingénieuses" menée par la Conférence des directeurs des écoles françaises d'ingénieurs (CDEFI) se donne pour objectif de promouvoir les formations et les métiers de l'ingénierie auprès du public féminin et favoriser l'égalité femmes-hommes.

Vous aimerez aussi

Contenus supplémentaires

Partagez sur les réseaux sociaux !