Décryptage

Ecoles et universités main dans la main pour le climat

ENVIRONNEMENT
Les dirigeants du supérieur lancent un appel pour intégrer les enjeux du climat dans les entreprises. © lovelyday12/Adobe
Par Amélie Petitdemange, Dahvia Ouadia, publié le 20 septembre 2019
9 min

Plus de 80 dirigeants d’établissements et 1.000 enseignants et chercheurs ont signé une tribune dans le JDD la semaine dernière. Ils demandent au gouvernement "d’initier une stratégie de transition de l’enseignement supérieur positionnant le climat comme l’urgence première".

Cet appel fait suite à plusieurs actions en faveur du climat, dont un rapport réalisé par le think tank Shift Project sur la thématique.

Prendre la mesure de l’enjeu et obtenir des moyens

Isabelle Huault, présidente de l’Université Paris-Dauphine, a signé cette tribune pour que l’ensemble de l’enseignement supérieur prenne la mesure de cet enjeu et pour obtenir des moyens de la part de l’Etat. "La problématique dans le supérieur, c’est d’avoir les moyens de nos ambitions. Un financement prouverait le volontarisme du gouvernement, au-delà des discours", affirme la présidente de Dauphine.

Selon elle, les étudiants sont de plus en plus sensibles au réchauffement climatique : "De nombreux étudiants de Dauphine ont participé aux marches pour le climat. L’enjeu éducatif est principal". Un changement sociétal mis en avant par la tribune, selon laquelle "la mobilisation massive et sans précédent" des étudiants appelle "une réponse académique profonde".

Des arguments balayés par l’Union nationale inter-universitaire (UNI), qui dénonce cette tribune. "C’est un microcosme, les manifestations ont lieu à Paris, avec des personnes déjà mobilisées", affirme le porte-parole de cette organisation, Clément Armato. Selon lui, les étudiants iront "à reculons" dans des cours qui "n’auront aucun lien avec leurs formations".

L’UNI s’oppose à des cours obligatoires, préférant un financement de la recherche et des actions écologiques au sein des établissements. "Plutôt que de faire une tribune, les chefs d’établissement devraient mettre en place des gestes pour l’écologie : les universités allument les chauffages à fond en ouvrant les fenêtres, ne font pas de tri sélectif et laissent les lumières allumées la nuit", dénonce Clément Armato.

Des actions déjà en cours dans les écoles et universités

La présidente de Dauphine assure au contraire que son université s’engage dans la lutte contre le changement climatique. Elle a nommé une responsable de la question environnementale qui s’occupera de la gestion des déchets et de la promotion du zéro plastique, en installant par exemple des fontaines à eau sur le campus. Le projet immobilier de réhabilitation du campus, prévu pour 2020, prendra également en compte les questions écologiques.

Au niveau de la recherche Isabelle Huault veut "allouer des bourses doctorales supplémentaires et lancer des programmes de recherche sur les questions environnementales".

Quant au volet formation, l’université lance le projet "Dauphine Durable" pour "instiller les enjeux de la transition écologique dans les enseignements". Dès l’année prochaine, tous les étudiants de licence auront un cours obligatoire sur les enjeux de la transition écologique. Un certificat sera accessible à tous les élèves de master, avec un ensemble de trois ou quatre cours sur le changement climatique.

Marc Mézard, directeur de l’ENS Ulm, a également signé la tribune pour initier "une prise de conscience dans l’ensemble de la communauté universitaire" et recevoir "un soutien du monde politique". Comme Dauphine, son établissement n’a pas attendu la tribune pour mettre en place des enseignements dédiés. A partir de l’année prochaine, les étudiants pourront prendre une mineure sur la thématique écologique. Ces cours transversaux feront la part belle aux projets, réalisés entre étudiants de différents cursus.

L’UNI s’oppose à ces cours sur le climat "par peur de partis pris et d’orientation idéologique et politique". Pour les dirigeants de l’ENS et de Dauphine, ces craintes sont infondées. "Ces cours sont donnés par des chercheurs qui ont de l’éthique et s’appuient sur des savoirs scientifiques", souligne Isabelle Huault.

Les écoles de commerce en avance

Les écoles de commerce ont aussi fait le pari d’intégrer les enjeux du climat dans leurs formations. Le think tank Shift Project montre que 24% des établissements publics proposent des cours sur les questions autour du climat contre 48% dans les écoles de commerce.
HEC Paris a créé dès 2003 un master développement durable qui s'appelle désormais Master for Social Innovation and Sustainability. "Il y a indéniablement une urgence planétaire... le dernier rapport du GIEC donne en effet froid (ou chaud) dans le dos", souligne Bénédicte Faivre Tavignot, signataire de la tribune et co-fondatrice de ce master.

Pour Françoise Roudier, directrice de l’ESC Clermont, également signataire de l’appel, c’était "une évidence de [s]’engager pour cette prise de conscience" : "Nos étudiants s’engagent sérieusement sur ces thématiques c’est aussi pourquoi nous proposons des cours pour les amener à mieux comprendre ces enjeux et les amener à prendre des décisions réfléchies en tant que futur cadre, manager ou entrepreneur".

L’ESC Clermont propose des modules sur la RSE durant lequel les étudiants doivent réaliser un projet dans un modèle de pédagogie interactive. Par ailleurs, le master grande école contient un volet consacré à "la prise de conscience mondiale de la protection de l’environnement", indique Françoise Roudier.

Ces modules répondent à une demande des étudiants : "on constate une forte adhésion quand on aborde ces sujets dans les programmes. Il y a du débat, de l’animation et des controverses. Par ailleurs les étudiants interrogent aussi l’école sur ces sujets-là que ce soit pour la mise en place du tri sélectif à l’école, du recyclage, etc.", ajoute Françoise Roudier.

"Disséminer une culture de la transition écologique"

De son côté, Jean-François Fiorina, DG adjoint de Grenoble école de management, s’est aussi engagé dans cette tribune "sans aucune réserve". "Tous les clignotants sont aujourd’hui au rouge en matière de transition climatique", estime le DGA. Selon lui, il est essentiel de sensibiliser les étudiants qui doivent s’emparer de cette problématique qui va transformer le monde. Et passer par l’éducation et la formation est "un bon moyen de disséminer une culture de la transition écologique".

A Grenoble école de management, la transition écologique est déjà amorcée que ce soit à travers le tri sélectif mais aussi à travers des électifs. L’école a également un référent RSE dans chaque association qui a pour rôle de diffuser la culture écologique à tous.

Que ce soit dans les universités ou les écoles, le rejet des étudiants de l’UNI, organisation classée à droite, est loin de représenter l’avis général. Plus de 30.000 étudiants sont d’ailleurs signataires du "Manifeste pour un réveil écologique" publié l’année dernière. Les étudiants à l’origine de ce manifeste ont d’ailleurs mis en ligne un Kit Enseignement & Transition écologique pour "aider les étudiants et jeunes diplômés à entamer un dialogue avec leur établissement d’enseignement supérieur afin d’intégrer les enjeux environnementaux dans les formations".

Intégrer les enjeux du climat dans les entreprises

Peu d’entreprises se sont déjà saisies des enjeux et ont créé des métiers sur le thème de la RSE ou de l’environnement. "Il existe bien des postes de responsables RSE ou de chef de projet environnement", note Françoise Roudier, directrice de l’ESC Clermont. Cependant, à part les entreprises de l’énergie, elle "ne voit pas apparaître de poste spécifiquement". Selon elle, "les entreprises attendent surtout des étudiants et des jeunes diplômés une culture générale sur toutes les questions de géopolitique, d’énergie, de climat et d’environnement".

Pour Bénédicte Faivre Tavignot, directrice de la Chaire "Social business/Entreprise et pauvreté" d'HEC, "les entreprises doivent s'adapter et anticiper les tendances des consommateurs". Elle observe par ailleurs que les entreprises "ont compris qu'elles ne pourront attirer, retenir les talents et motiver leurs salariés (notamment millennials) si elles ne s'engagent pas sur le climat, la biodiversité et la justice sociale. Et sur le fond, comment imaginer continuer à faire du business dans un écosystème complètement dégradé ?".

Jean-François Fiorina, DG adjoint de Grenoble école de management, pose cependant des limites à l’intégration des questions climatiques aux entreprises. Selon lui, "la transition écologique ne correspond pas encore à des métiers dans les entreprises, il s’agit davantage de compétences transversales". Il serait par ailleurs "essentiel de travailler à la remise en cause du modèle de consommation en place et de réfléchir à de nouveaux modèles".

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