Reportage

Au cœur de l’École Boudard : chez les apprentis du cuir

Au coeur2_Ecole Boudard_couture © Mathieu Cugnot/Divergence pour l’Etudiant
Les connaissances en couture sont des prérequis pour intégrer l’école Boudard, mais coudre le cuir et le tissu, ce n’est pas pareil ! © Mathieu Cugnot/Divergence pour l'Etudiant
Par Camille Jourdan, publié le 19 octobre 2018
10 min

Historiquement, l’École Boudard est connue pour avoir formé de nombreux salariés de la maison Hermès. Aujourd’hui encore, les étudiants défilent à Montbéliard (25) pour apprendre à travailler le cuir. BTS et FMA se forment aux métiers de maroquinier et de sellier d’art.

Une odeur de cuir flotte dans la pièce. Elle s’échappe des morceaux de peau de toutes les couleurs, empilés sur des chevalets en bois, aux quatre coins de l’immense atelier de l’École Boudard. Intégrée au CFA (centre de formation d’apprentis) du Pays de Montbéliard, cette école forme les actuels et futurs professionnels du cuir : les maroquiniers pour les plus grandes marques mais aussi les selliers peuvent commencer ici, par un CAP (certificat d’aptitude professionnelle) ou un FMA (équivalent du brevet des métiers d’art pour les fabricants en maroquinerie d’art), et poursuivre par un bac professionnel, voire un BTS (brevet de technicien supérieur). Ce pôle cuir, hébergé en grande partie dans un bâtiment annexe du lycée Les Huisselets à Montbéliard, propose aussi des formations pour les adultes.

En BTS, de la conception à la réalisation

À côté du grand atelier, la classe de première année de BTS métiers de la mode maroquinerie et chaussures est installée dans une plus petite salle, tapissée de dessins de sacs, de patrons, d’échantillons de tissu. Les huit étudiantes de la promotion – que des filles ! – sont assises à leurs établis, devant leur ordinateur. Toute la journée, elles seront en "atelier" ; ici, pas de théorie ou très peu. Les machines sont à leur disposition pour mener à bien leurs projets. En l’occurrence, les jeunes étudiantes travaillent depuis quelque temps à la confection d’un porte-passeport ou "pochette de soirée". "Le BTS permet d’apprendre à gérer l’ensemble de la production, de la conception à l’élaboration du produit fini", résume Amélie Niclass, leur formatrice.

Au coeur2_Ecole Boudard_COMELZ © Mathieu Cugnot/Divergence pour l’Etudiant
Au coeur2_Ecole Boudard_COMELZ © Mathieu Cugnot/Divergence pour l’Etudiant © Mathieu Cugnot/Divergence pour l'Etudiant

Point de départ ? Un cahier des charges, qui répertorie les caractéristiques de l’objet souhaité. "Par exemple, la pochette que nous devons concevoir doit être tout en cuir, doublée, avec une poche zippée, une autre plaquée, deux compartiments et deux fentes pour glisser des cartes", énumère de mémoire Adélie, 24 ans. Avant de passer à la machine à coudre, les étapes sont nombreuses.

En arts appliqués, avec les FMA

La première étape, pas toujours obligatoire : dessiner un croquis. En cours d’arts appliqués, l’imagination et la créativité sont de mise. Justement, à l’étage, les FMA sont penchés sur leurs dessins, crayon à la main. "L’idée est de représenter un sac de différents points de vue : de face, de côté, avec les détails des fermetures", liste Lucie, en première année. Devant elle : l’esquisse ultraréaliste de son futur sac. "Les élèves s’inspirent d’une planche de tendances", décrit leur professeure, Pascale Tissier. Sur cette planche : des vêtements, des motifs, des couleurs, dont les étudiants doivent retenir l’esprit dans leur création. "Le dessin ne s’apprend pas vraiment, reconnaît l’enseignante. C’est à force de pratique que l’on progresse."

De la maquette à la numérisation

En BTS, on se passe parfois de croquis. "On réalise directement une maquette", expose Claire, 20 ans, qui montre une pochette en tissu. Grossièrement découpée, cette maquette est un premier jet "que l’on fabrique en un quart d’heure. Elle permet de travailler avec un visuel", détaille la jeune fille. "Elle sert aussi à vérifier si l’article peut effectivement se monter, et à avoir une idée des cotes", détaille Amélie Niclass.

Au coeur2_Ecole Boudard_BTS_atelier © Mathieu Cugnot/Divergence pour l’Etudiant
Au coeur2_Ecole Boudard_BTS_atelier © Mathieu Cugnot/Divergence pour l’Etudiant © Mathieu Cugnot/Divergence pour l'Etudiant

Sur leur ordinateur, les jeunes étudiantes ont ouvert RCS, un logiciel de numérisation à l’aide duquel elles dessinent leurs patrons. "On part souvent d’un rectangle aux angles arrondis, puis on le manipule comme on le souhaite", explique Lise, 20 ans. Pour chaque pièce de leur modèle, elles indiquent les dimensions, les plis, les coupes à effectuer. "Le risque est de se tromper de quelques millimètres, prévient Claire. Cela arrive tout le temps. On est sans cesse en train de réajuster." Pour maîtriser ce logiciel, pas de secret : il faut le tester et découvrir peu à peu ses fonctionnalités. "Nous l’utilisons en entreprise", précise Claire, qui mène sa formation en apprentissage. Certaines de ses camarades ont préféré l’alternance, mais toutes jonglent entre leur poste en entreprise et leurs cours.

La maîtrise des machines

Dans un coin de la pièce, Cassy et Mylène fouillent dans le matériel amassé un peu partout sur les tables. Cassy tire un énorme rouleau, dans lequel sa camarade découpe un morceau de tissu. "C’est de la liliane, un thermocollant" indique la jeune fille. Elles prennent aussi de la salpa, un papier "un peu plus souple que le carton mais plus résistant". "Elles connaissent les différents matériaux de renfort et savent lequel utiliser pour tel effet", explique Amélie Niclass.

Avec leurs bouts de tissu, Mylène et Cassy se dirigent vers la pièce voisine. Aussitôt, le bruit des machines, fort et régulier, résonne. Elles déposent la première bande sur la Comelz, une énorme machine de découpe, reliée au logiciel RCS. Les pièces du patron de Mylène s’affichent alors sur un écran. Elle les fait défiler : "renfort haut", "devant", "renfort bas"… "Vous pouvez choisir la matière et les pièces sélectionnées", les guide Amélie Niclass. Après quelques clics, un laser vert projette la forme des pièces sur le cuir. "On les place là où le cuir a le moins de défauts", signale Mylène. Et c’est parti : les deux bras de la Comelz commencent à s’agiter ; ils avancent, reculent, percent des trous, découpent le tissu.

Au coeur2_Ecole Boudard_Césarie_Claire © Mathieu Cugnot/Divergence pour l’Etudiant
Au coeur2_Ecole Boudard_Césarie_Claire © Mathieu Cugnot/Divergence pour l’Etudiant © Mathieu Cugnot/Divergence pour l'Etudiant

Quelques minutes après, les deux étudiantes regagnent la première salle, les bras chargés de leurs pièces découpées et de chutes. Debout derrière son établi, Adélie ne lève pas la tête ; elle est concentrée, un cutter en main. Elle préfère découper ses pièces à l’ancienne : "C’est une habitude", confie-t-elle. Suivant des gabarits en carton, elle tranche minutieusement le cuir de sa future pochette. De leur côté, Mylène et Cassy font passer des morceaux de cuir dans une machine aux allures de massicot : "C’est une refendeuse : une lame enlève une couche du cuir", expliquent-elles, montrant l’épaisseur de la pièce avant et après.

Découper, refendre, parer, astiquer… Le cuir se travaille sans cesse, et à chaque opération correspond un outil particulier que les étudiantes apprennent à maîtriser au fil de leur formation. "Même si parfois elle sait que l’on se trompe, Amélie nous laisse tester, souligne Claire. On fait tout de A à Z." Y compris ce qui ne relève pas de l’artisanat, complète Ildiko, 30 ans : "Le but de la formation est de savoir industrialiser un produit, en plus de maîtriser la technique."

La jeune femme, venue de Hongrie pour suivre cette formation, peaufine le dossier "industrialisation" de sa pochette : "Il contient les informations nécessaires pour reproduire le modèle", précise-t-elle. D’abord une photographie, puis une description incluant les dimensions et les coloris, mais aussi une liste des pièces, des matériaux, des teintes, ou encore des machines utilisées. "Nous indiquons le calcul des coûts : le prix des matières premières, de l’outillage et de la main-d’œuvre", ajoute Ildiko. "Savoir industrialiser un produit", c’est savoir gérer sa production. Un cours théorique est dédié à cet aspect : "On parle de gestion du temps, d’ergonomie…", décrivent les étudiantes, qui suivent également des cours généralistes.

L’alternance, un plus

Les semaines ne se ressemblent jamais : les étudiants restent parfois plus d’un mois en entreprise, avant de revenir deux semaines au lycée. "Il arrive que nous passions 25 heures en atelier, d’autres fois seulement une dizaine d’heures." Malgré un emploi du temps flexible, ils ne dépassent jamais 35 heures par semaine, à l’école comme en entreprise. "L’alternance est vraiment un plus", affirment les étudiants, en BTS comme en FMA. D’autant plus que l’embauche est quasiment garantie à l’issue de la formation.

Au coeur2_Ecole Boudard_Théophile © Mathieu Cugnot/Divergence pour l’Etudiant
Au coeur2_Ecole Boudard_Théophile © Mathieu Cugnot/Divergence pour l’Etudiant © Mathieu Cugnot/Divergence pour l'Etudiant

En attendant d’imaginer, de gérer la production, ou de fabriquer des sacs qui seront vendus dans des boutiques de luxe aux quatre coins du monde, les étudiants de l’École Boudard peuvent acheter leurs propres créations : le sac de leurs rêves prend vie entre leurs mains.

Se former à l’École Boudard

L’École Boudard est intégrée au CFA du Pays de Montbéliard.

Les cours ont principalement lieu au lycée Les Huisselets, à Montbéliard.

Le CAP requiert un niveau de troisième. Cette formation permet ensuite d’intégrer le bac professionnel, qui est cependant aussi accessible après une troisième générale.

Pour entrer en BTS, le niveau bac est demandé. Un niveau que garantit le FMA, accessible sans condition de diplôme.

Le CAP, le FMA et le BTS se déroulent sur deux ans en alternance. Le bac professionnel s’obtient, quant à lui, en trois ans.

Pour se lancer dans les métiers du cuir, il faut aimer les métiers manuels. Avoir des notions de couture est un plus pour entrer en CAP, et devient indispensable pour intégrer les autres formations.

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