Décryptage

Ecoles de journalisme : face à la précarité et aux difficultés d'insertion, le pari de l'apprentissage

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Par Amélie Petitdemange, publié le 27 mai 2022
7 min

L'insertion sur le marché du travail était au cœur des débats de la 12e conférence nationale des métiers du journalisme, le 5 mai dernier. Et le constat est clair : les étudiants en journalisme, formés au métier, ne sont pas toujours prêts à affronter un monde du travail empreint de précarité. Pour trouver une solution, des écoles de journalisme font le pari de l’apprentissage.

L’Université Paris Dauphine-PSL accueillait, jeudi 5 mai, la 12e Conférence nationale des métiers du journalisme. L’après-midi, experts, professionnels et étudiants ont abordé l’épineuse question de l’insertion sur le marché du travail des jeunes journalistes. Le journaliste Didier Desormeaux, animateur des tables rondes, met en garde contre une certaine nostalgie. "Il ne faut pas croire qu’il y a eu un âge d’or des formations en journalisme. On nous disait déjà 'dans 20 ans vous serez alcoolique, interdit bancaire ou divorcé'", lance-t-il avec dérision.

Les jeunes journalistes peu préparés au marché du travail

Olivier Standaert, directeur de l'Ecole de journalisme de Louvain, souligne que les jeunes journalistes doivent "combiner instabilité et flexibilité". Ils commencent souvent par des postes qui ne s’inscrivent pas dans la durée : CDD, temps partiels, piges, travail en indépendant...

S’ils sont formés aux métiers, les jeunes journalistes ne sont pas toujours préparés à ce marché du travail. "Les étudiants sont formés aux compétences et aux outils mais ils se sentent peu préparés à l’emploi, à un marché du travail imprévisible et parfois compliqué à comprendre", explique Olivier Standaert. Ils se retrouvent perdus au niveau contractuel, administratif et même social, dans un milieu professionnel qui fonctionne beaucoup sur du relationnel.

Un module sur l’insertion professionnelle des journalistes et la pige

"Nous sommes là pour former des journalistes professionnels et nous assumons cette responsabilité d’insertion professionnelle", temporise Pascal Guénée, directeur de l’IPJ-Paris Dauphine. Il rappelle que les écoles de journalisme françaises reconnues ont un référentiel avec "trois à quatre fois plus d’heures de cours que les formations universitaires".

Un module de 18 heures est ainsi prévu pour les sujets relatifs à l’insertion, comme la convention collective nationale de travail des journalistes. Pascal Guénée observe cependant que les étudiants considèrent souvent que ces cours ne sont pas prioritaires par rapport à des cours plus concrets, comme l’utilisation d’une caméra par exemple. Il cite aussi les trois jours dédiés à la "pige", qui sont loin des préoccupations des jeunes lorsqu’ils sont encore en formation. "Pour les informations sur la pige, il y a un décalage entre le moment où l'on donne ces informations, et le moment où elles sont mises en œuvre", note-t-il.

Améliorer les conditions de travail

Pour prendre le pouls de la génération actuelle, Stéphane Cabrolié, maître de conférences à l’EJCAM (Ecole de journalisme et de communication d’Aix-Marseille), a mené l'enquête auprès des étudiants. A la question "Selon vous quelles seraient les contraintes susceptibles de peser dans l’exercice de votre métier ?", près de la moitié ont pointé les "contraintes économiques et la précarité". Les "contraintes hiérarchiques et éditoriales" arrivent en deuxième position (28% des répondants) suivis des "contraintes relevant du temps" (27%).

Pour Pascal Guenée, les recruteurs doivent opérer une prise de conscience, notamment en termes de diversité et d’inclusion. Trop souvent, ils utilisent "l’excuse de la passion journalistique" pour justifier de mauvaises conditions de travail. "Les recruteurs sont encore dans le fantasme que les jeunes journalistes accepteront de faire des centaines de CDD dans toute la France avant de décrocher un job", regrette-t-il.

L’apprentissage, voie royale vers l'insertion des journalistes ?

Pour mieux préparer les étudiants au monde du travail et favoriser leur insertion, l’apprentissage peut être une piste. "Ça va nous ouvrir plus facilement des portes, c’est la voie royale vers l’insertion", témoigne Grégory, en deuxième année à l’école de journalisme de Tours et en apprentissage à RFI.

Pour Pauline, en première année de journalisme à Sciences po Paris et alternante à France Info, ces deux ans d’apprentissage apportent un rythme très intensif, soutenu mais riche. "L'avantage, c’est qu’on est moins stressé et on perd moins de temps à chercher des stages que les étudiants en formation classique", ajoute la jeune femme.

Odile Duperry, adjointe à la direction de la rédaction de l’AFP, s’occupe des 14 apprentis de la rédaction. Selon elle, "l’apprentissage est vraiment très adapté à notre profession". En 2020, après leur apprentissage, six étudiants ont décroché un contrat de l’AFP à l’étranger, quatre sont en CDD, une en CDI et sont partis. "Nous nous sentons responsables de l’insertion de nos apprentis", assure-t-elle.

Entre apprentissage et formation initiale, comment choisir ?

Par ailleurs, l’apprentissage est loin de garantir un emploi. "L’employeur nous dit dès le début que cela va être compliqué d'avoir un emploi pérenne à l'issue de la formation", raconte Grégory. L’étudiant n’a pas de CDD garanti après ses deux ans au sein de RFI. "Mais quand on tape à la porte des rédactions ensuite, ils savent qu’on a une expérience professionnelle solide", explique-t-il.

Lorsque les alternants sont embauchés à l'issue de leurs études, ils peuvent aussi être déçus par le poste. Le sociologue Jean-Marie Charon évoque ainsi des situations ou des étudiants se sentaient vraiment intégrés à la rédaction lorsqu'ils étaient alternants mais une fois embauchés se trouvaient reléguer à "des tâches moins prestigieuses".

Repenser les formations des écoles de journalisme

Pour mieux préparer les étudiants au marché du travail, il faudra adapter les formations. "Nous avons traversé une période d’incertitude avec la crise sanitaire. C’est le moment d’innover et de repenser les modules pédagogiques", affirme Pascal Guénée.

Et la CEJ (Conférence des écoles de journalisme), qui regroupe les 14 cursus agréés par la profession, présentera des propositions lors des Etats généraux de la formation et des emplois des jeunes journalistes, les 3 et 4 octobre 2022.

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