Reportage

L'école Duperré : dans le labo de la mode

Styliste
Dans l'atelier sérigraphie, Agathe (à gauche) expérimente différentes techniques d'impression dans le cadre de son projet de diplôme. © Fotolia
Par Martin Rhodes, publié le 31 mai 2016
1 min

À 152 ans, l’École supérieure des arts appliqués Duperré, située en plein centre de Paris, est une vieille dame, mais toujours aussi bouillonnante d’imagination. Reportage sur la fabrique des futurs créateurs de mode.

Peaux tatouées ou percées, cheveux teints, vêtements arborant des formes ou des couleurs incroyables : quand on pousse les portes de l'école Duperré, l'originalité est partout. “La première fois que je suis entrée dans l'école, je me suis sentie impressionnée et pour tout dire apeurée par l'extravagance sans bornes de ces esprits créatifs”, se rappelle Camille, en deuxième et dernière année du DSAA (diplôme supérieur d'arts appliqués, équivalent bac+4) mode et environnement. Ironie du sort, la jeune femme est désormais considérée comme l'une des fortes personnalités de cette institution, qui a su garder sa dimension humaine : tout le monde, ou presque, se connaît.

Aujourd'hui, les étudiants du DSAA ont cours dans leur salle de classe. Ils poursuivent la rédaction de leur mémoire, un rendu visant à expliquer le travail de recherche et la réalisation du grand projet commencé en première année. Ils sont une petite dizaine d'élèves, encadrés par deux professeurs. Camille travaille en binôme avec Geoffroy, dont l'univers créatif est très proche du sien. Ensemble, ils produisent des objets, du mobilier, des tapis et des vêtements qui questionnent “les notions de corps et d'abri”.

Le cursus réconcilie le travail manuel et intellectuel. “En tant qu'étudiants, nous sommes libres comme l'air, explique la jeune femme. Nous pouvons créer ce que nous voulons, à condition d'avoir des choses à dire et d'être capables de défendre nos choix.” Les professeurs sont là pour apporter des réponses techniques aux projets les plus ambitieux.

Perroquet et règle japonaise

L'école Duperré compte une bibliothèque, une vêtementhèque, une tissuthèque et neuf ateliers techniques (découpe laser, maille, sérigraphie, etc.), équipés d'outils et de machines dernier cri. Dans l'atelier prototypage, l'enseignant, Christian Tournafol, donne ses consignes aux étudiants en première année du BTS (brevet de technicien supérieur) design de mode, réunis autour d'un plan de travail. “Vous allez poursuivre la confection de votre pantalon. N'oubliez pas, je veux qu'il soit à vos mesures”, lance l'enseignant.

Garçons et filles s'activent. Joan s'assied derrière une machine à coudre. Jeanne déplace un buste Stockman et déroule son patron au sol. Robin s'attaque à la découpe de l'entrejambe de son pantalon kimono. Le plan de travail est très vite recouvert de tissus de toutes les couleurs. On s'échange les ciseaux, les règles japonaises et les perroquets utilisés pour tracer des courbes. Quelques blagues fusent mais chacun reste concentré.

“En première année, on apprend à coudre et à monter toutes sortes de pièces comme des robes ou des manteaux. On a également des cours d'anglais, de physique et de technologie”, tient à préciser Robin. L'année prochaine, il suivra aussi des cours de philosophie et devra créer sa propre collection pour valider son diplôme.

Des mondes à part entière

Pour beaucoup d'étudiants de l'école Duperré, dont Camille, les portes ouvertes ont été un coup de cœur et une révélation. Il faut avouer que déambuler dans l'école est une expérience singulière. La création est partout, même dans les couloirs où sont en ce moment stockés les rideaux des salons de l'Hôtel de ville de Paris.

L'ennoblissement – les modifications apportées au tissu (comme les imprimés ou les broderies) – a été réalisé par les élèves du BTS et du DMA (diplôme des métiers d'art, équivalent bac+2) arts textiles. Leur ouvrage sera exposé à la mairie de Paris lors des prochaines Journées du patrimoine.

Chaque salle est un monde à part entière. Le bruit des machines ou l'odeur des matériaux attisent la curiosité. Dans l'atelier sérigraphie, les étudiantes de deuxième année du DMA, revêtues de leur blouse blanche tachée d'encre  expérimentent, en musique, cette technique d'impression très ancienne, proche du pochoir. “Ne les dérangez pas, pour une fois qu'elles sont calmes”, plaisante Armelle Hamot, l'enseignante.

Un étage plus bas, Nicolas, en première année de DSAA, farfouille dans la tissuthèque à la recherche de motifs sombres ou au contraire bariolés. “Mes projets vestimentaires confrontent deux univers différents, à savoir les banlieues et les jeux vidéo. Si le premier est terne, le second est coloré et délirant”, explique le jeune homme. Parmi ses créations, citons un débardeur bling-bling flanqué d'une arme automatique couleur or, ainsi qu'une veste à capuche dont les poches en relief prennent la forme de manettes de Playstation.

Pendant ce temps, Karine, la gardienne de ces précieuses étoffes – que tous les élèves appellent par son prénom –, trie les échantillons envoyés par les grandes maisons. Mailles, soies, lins, laines, matières synthétiques : la tissuthèque est la mine d'or des futurs stylistes et directeurs artistiques.

Métier à tisser 2.0

L'atelier de tissage est immense et baigné de lumière. Tout autour de la pièce, du sol au plafond, des étagères supportent des centaines de grosses bobines de fil en forme de cône. L'endroit est étonnamment calme. Un seul des treize métiers à tisser informatiques est en marche. Marie est en deuxième année de DMA. Son poste attitré – qu'elle s'amuse à appeler “mon bureau” – est recouvert de blagues de camarades, de petits dessins et de vers de Baudelaire inscrits sur des Post-it. Marie est en train de réaliser le motif, qu'elle a préalablement dessiné sur son ordinateur portable. Ses pieds et ses mains battent la cadence comme sur un instrument de musique. “Je cherche à retranscrire le mouvement et la vitesse grâce au tissage. Mon projet de diplôme a pour thème les sports extrêmes. J'aimerais que le résultat évoque une chaussée qui défile sous les roues d'un skateboard”, confie la jeune femme.

Marie est originaire de Vendée. Elle a choisi l'école Duperré pour deux raisons : l'établissement est référent dans le domaine du textile et il est entièrement gratuit. Et elle ne regrette pas du tout son choix. Les cursus sont soutenus et tournés vers la technique. “En BTS, précise-t-elle, j'ai appris à utiliser des matières pour fabriquer des vêtements. Grâce au DMA, je suis désormais capable de créer ces matières.”

La mode n'est pas le monde impitoyable que l'on croit. Marie assure que l'ambiance entre les élèves est bonne, et même que l'entraide est de mise. Un avis partagé par tous ceux et celles que nous avons rencontrés. “Grâce à une ancienne étudiante de l'école, raconte Marie, j'ai décroché un petit contrat d'intérim sur le défilé Alexander McQueen de la Fashion Week de Paris. Mon travail consistait à broder des perles sur les franges d'une robe. J'ai passé une nuit entière sur un petit nuage.”

Se former à l'école Duperré

L'établissement est un lycée public délivrant des formations postbaccalauréat en arts appliqués (design d'espace ou design culinaire, scénographie). Parmi les cursus de mode, citons notamment :
- le DMA (diplôme des métiers d'art, bac+2) arts textiles ;
- le BTS (brevet de technicien supérieur, bac+2) design de mode. Les étudiants sont issus d'un bac STD2A (sciences et technologies du design et des arts appliqués). Les autres bacheliers doivent d'abord suivre une année de MANAA (mise à niveau en arts appliqués) pour acquérir un enseignement de base en art ;
- le DSAA (diplôme supérieur d'arts appliqués, bac+4) design, majeure mode et environnement. Les candidats reçus sont le plus souvent titulaires d'un BTS en arts appliqués.
Le dossier de candidature comprend les bulletins scolaires et une lettre de motivation pour postuler en BTS et en DMA ; les bulletins scolaires, un CV, des projets personnels et un texte de présentation pour le DSAA. Les étudiants admissibles sont convoqués à un entretien oral pour présenter leurs travaux personnels.
L'école reçoit chaque année de 6.000 à 7.000 candidatures. “Les 250 candidats retenus sont travailleurs et capables de rebondir. Ils ont aussi une singularité, un regard et un certain appétit pour le monde qui les entoure”, confie Annie Toulzat, la proviseure du lycée.

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