Décryptage

Comment les écoles de journalisme préparent leurs étudiants à couvrir les manifestations ?

A cause des risques, des établissements n'envoient plus d’élèves sur les lieux d’attentats et de manifestations.
A cause des risques, des établissements n'envoient plus d’élèves sur les lieux d’attentats et de manifestations. © Eric Pothier / Adobe Stock
Par Mersiha Nezic, publié le 17 décembre 2019
6 min

Les étudiants en journalisme sont en train de se manifester sur les réseaux sociaux avec le hashtag #informerestmondevoir. Leur indignation ne retombe pas après l’interpellation de deux étudiants de l’Académie ESJ Lille, lors d'une manifestation contre la réforme des retraites à Lille le 12 décembre 2019. Les écoles de journalisme, qui forment leurs élèves dans les conditions du réel, sont de plus en plus préoccupées par la sécurité des étudiants en reportage.

L’indignation ne retombe pas dans les écoles de journalisme après l’interpellation d’un étudiant jeudi 12 décembre, alors qu’il assistait à une manifestation contre la réforme des retraites à Lille, puis d’un deuxième, quelques heures plus tard, au cours d'un rassemblement de protestation contre la première arrestation.

Etudiants de l'ESJ Lille arrêtés : que s'est-il passé ?

Il s’agit d’étudiants de l’Académie ESJ Lille, un parcours post-bac d’initiation et de découverte proposé par l’établissement nordiste. Les deux jeunes hommes sont sortis de garde à vue vendredi dernier, mais le parquet de Lille poursuit l’enquête. Selon la police, le premier étudiant interpellé aurait commis des "violences volontaires sur personne dépositaire de l'autorité publique". Le deuxième est mis en cause pour "participation à un attroupement après sommations de dispersion".

"Les deux étudiants n’étaient pas en exercice pour l’école mais présents à cette manifestation à titre personnel", précise Pierre Savary, le directeur de l’école. L'établissement a réagi sur Twitter dès jeudi soir. "L’ESJ Lille est informée de l’interpellation de deux de ses étudiants. Les éléments en notre possession nous amènent à penser qu’ils ont été interpellés pour avoir pris des photos de policiers en intervention. La liberté de prendre des photos lors de manifestation est un droit".

#informerestmondevoir : le hashtag des étudiants en journalisme

En guise de protestation, les étudiants en journalisme se sont réunis dans leurs établissements respectifs à travers la France, le lundi 16 décembre à midi, munis d’appareils photos, de caméras ou de smartphones. Pour "défendre la liberté de la presse et condamner fermement la violence à l'égard des journalistes", ils se sont également manifestés sur les réseaux sociaux avec le hashtag #informerestmondevoir. Ils ont ainsi répondu à l’appel de la conférence des écoles de journalisme (CEJ), qui regroupe les quatorze écoles dont les cursus sont reconnus par la Commission Paritaire Nationale pour l'Emploi des Journalistes (CPNEJ).

L’organisme a réaffirmé dans un communiqué "le devoir qu’ont les journalistes et futurs journalistes de couvrir les manifestations comme tous les événements d’actualité au titre du droit du public à être informé".

Apprendre le métier de journaliste dans les conditions du réel

Dans le cadre de ces formations professionnalisantes, les étudiants travaillent dans les conditions du réel. Ils couvrent l’actualité et produisent des reportages sur le terrain. Un exercice de plus en plus risqué. 25 reporters ont été blessés pendant la manifestation contre la réforme des retraites du 5 décembre à Paris, selon le SNJ (Syndicat National des Journalistes).
L'historien des médias, Alexis Lévrier, va jusqu’à affirmer ce vendredi dans Le Parisien que "l'ampleur des violences policières à l'égard des journalistes, leur caractère répété, presque systématique désormais" sont "inédits".

Les écoles insistent sur les règles de sécurité...

Ce climat anxiogène affecte les écoles, de plus en plus préoccupées par la sécurité de leurs étudiants envoyés en reportage

. La multiplication des dérapages lors de manifestations a conduit l’IJBA (l’Institut de journalisme Bordeaux Aquitaine) a ne plus envoyer d’étudiants couvrir les rassemblements des Gilets jaunes. "Des élèves ont été menacés et à deux doigts de recevoir des coups de pied l'année dernière. Nous ne pouvons pas nous permettre de jouer avec la sécurité et l’intégrité physique de nos étudiants", explique Arnaud Schwartz, le directeur de l’établissement bordelais.

Actuellement, si les élèves couvrent les manifestations contre la réforme des retraites, les enseignants insistent sur les règles de sécurité. "Si nos étudiants se rendent compte qu’une situation est en train de basculer, ils doivent s’en extraire. Lorsqu’un étudiant filme, il doit toujours être accompagné d’un camarade attentif à l’environnement. Par ailleurs, il ne s’agit pas de prendre les gens par surprise, mais d’engager la conversation avant de brandir l’appareil photo ou le micro", reprend Arnaud Schwartz.

... et préparent même à vivre une garde à vue !

Depuis le drame qui a frappé Charlie Hebdo en janvier 2015, l’IPJ (Institut pratique du journalisme) Dauphine-PSL, a pour sa part décidé de ne plus envoyer d’élèves sur les lieux d’attentats et de manifestations" quand ceux-ci comportent un risque plus grand que la recherche d’informations", précise Eric Nahon, directeur adjoint de l'école.

L’établissement a même mis en place des sessions de formations sur le reportage en zone à risques depuis 2014. "Nos enseignants, qui sont des journalistes professionnels, expliquent aux étudiants de quel côté se placer dans une manifestation quand on fait de la radio, de la télé de l’écrit. Comment naviguer, ne pas être confondu avec un manifestant", détaille Eric Nahon.

De son côté, l'ESJ de Lille sensibilise les étudiants aussi. Et diffuse "le guide de défense du journalisme", lancé en juin dernier par l’association de la presse judiciaire et le SNJ (Syndicat national des journalistes). Ce document prodigue des conseils aux journalistes pour réagir légalement aux mesures de convocations et d’enquêtes. Parmi les questions abordées : "Que faire en cas de garde-à-vue ?"

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