Interview

Concilier études et militantisme : mission impossible ?

24.000 personnes ont manifesté le 5 avril 2016 contre la loi Travail, à l'appel de plusieurs organisations de jeunesse (Unef, Unl, Fidl). // Cortège parisien
Faire partie d'une représentation étudiante ou lycéenne exige un investissement, qui parfois prend le pas sur les études. © Camille Stromboni
Par Isabelle Dautresme, Camille Stromboni, publié le 13 avril 2016
7 min

Alexandre Leroy à la Fage, Martin Bontemps à l’Unef, Zoïa Guschlbauer à la Fidl… trois jeunes qui sont à la tête d’organisations étudiantes et lycéennes et qui se livrent sur leur double casquette, pas toujours confortable.

Alexandre Leroy, président de la Fage : "J'ai mis mes études entre parenthèses"

Alexandre Leroy, 26 ans, est en master 2 à l'IAE de Créteil. Il préside la Fage (Fédération des associations générales étudiantes).

Alexandre Leroy : Président de la Fage

"Être à la tête d'un syndicat étudiant est un emploi à plein temps. Pas facile, dans ces conditions, de mener des études en parallèle. J'ai commencé à militer à l'université, d'abord à la fédération locale de la Fage, à Angers, le temps de décrocher deux licences (l'une en histoire, l'autre en lettres), avant d'être élu dans les instances nationales comme vice-président chargé de la stratégie. C'est là que les choses ont commencé à se compliquer. J'ai entrepris un master de recherche en histoire, que j'ai très vite abandonné. J'ai mis mes études entre parenthèses, pendant deux ans, avant de rejoindre l'IAE de Créteil. Aujourd'hui, je suis en deuxième année de master.

Ce n'est pas évident de présider un syndicat étudiant et de préparer un master en même temps. Mais on y arrive. Comment ? En rognant sur son sommeil et en optimisant son organisation de façon à libérer du temps pour travailler. Il m'arrive de rendre des travaux en retard. Je préviens mes profs quand, vraiment, je vois que je ne vais pas y arriver. Ils sont compréhensifs. Quant aux cours auxquels je ne peux pas assister pour cause, comme le vendredi 9 mars, de rencontre avec le Premier ministre, la plupart sont mis en ligne, ce qui permet de les rattraper plus aisément. Dans certaines universités, les étudiants engagés bénéficient d'un régime spécial. Ils peuvent, par exemple, être prioritaires dans le choix des TD, bénéficier d'autorisations d'absence et même, parfois, choisir les modalités d'évaluation des connaissances. Mais c'est loin d'être le cas partout.

Quoi qu'il en soit, même si l'engagement associatif est chronophage, au point qu'on puisse mettre un peu plus de temps à décrocher un diplôme, il est fortement valorisé sur un CV. Les compétences développées dans ce cadre sont en effet très proches de celles qu'on met en œuvre dans l'entreprise : organisation, prise de parole, management, gestion de projet… Sans parler de l'esprit d'équipe. Les futurs employeurs en ont bien conscience.

Forcément, quand on s'engage dans un mouvement très prenant, on prend goût au militantisme. Je ne sais pas encore tout à fait ce que je ferai une fois mon diplôme en poche, ce qui est sûr, c'est que je continuerai à militer, soit dans un syndicat, soit dans une association citoyenne. Je ne souhaite pas emprunter le tunnel trop commun qui mène directement du monde étudiant au monde des partis politiques."

Martin Bontemps, vice-président de l'UNEF : "Je ne suis pas allé à la fac avec l'idée de décrocher ma licence à tout prix en trois ans"

Martin Bontemps, en L3 de sciences politiques à Paris 10, est vice-président de l'UNEF (Union nationale des étudiants de France).

Martin Bontemps- Vice-président de l'UNEF

"Pour pouvoir militer, j'ai renoncé aux cours en présentiel et je passe mes examens en contrôle terminal. Je travaille donc de chez moi. Enfin, quand je parviens à dégager du temps, ce qui n'est pas toujours simple. Mon emploi du temps est d'abord organisé autour de mon activité militante. Le temps libre qui me reste, je le partage entre les révisions, les sorties entre amis, ou les matchs à la télé...Certes, je mets plus de temps que d'autres à valider mes diplômes, mais je ne suis pas allé à la fac avec l'idée de décrocher ma licence à tout prix en trois ans.

Pour moi, le temps des études doit aussi être celui de l'ouverture sur le monde à travers le militantisme ou autre chose, peu importe. Le problème c'est qu'à l'université cet engagement n'est pas reconnu. J'ai bien tenté de valider certains cours, notamment de politiques contemporaines, d'analyse de l'actualité ou d'histoire de la politique en France – ce que je fais au quotidien dans le cadre de l'UNEF est directement lié à ces thématiques –, mais impossible ! L'université ne veut pas reconnaître que les compétences acquises à travers le syndicalisme puissent se traduire dans un parcours académique. Pourtant, ces compétences sont nombreuses : esprit critique, capacité à argumenter, à convaincre, adaptabilité... Rencontrer d'autres responsables syndicaux, des parlementaires ou des ministres développe des qualités orales, mais aussi en matière de préparation de rendez-vous et d'organisation. Sans parler de la pression, qu'il faut apprendre à gérer !

La charge de travail est très grande, surtout actuellement : il faut rédiger des tracts, des communiqués, organiser les rassemblements, mettre en place le service d'ordre... Avec William Martinet, le président, on se répartit les rôles. Pour ma part, j'ai la responsabilité de deux commissions de réflexion : les aides sociales et la commission universitaire. Après ma licence, je pense poursuivre en master de sciences politiques, si possible au Canada. À terme, je projette de devenir professeur des écoles tout en continuant à militer."

Zoïa Guschlbauer, présidente de la FIDL : "Un bon militant est un bon étudiant"

Zoïa Guschlbauer, 17ans, est en terminale S et présidente de la FIDL (Fédération indépendante et démocratique lycéenne).

Zoïa Guschlbauer, présidente du syndicat lycéen, la fidl

"L'engagement syndical prend beaucoup de temps, surtout lorsque l'on se retrouve en première ligne, comme en ce moment avec la loi Travail. Pas question pour autant de perdre le bac de vue. À la FIDL, nous avons une devise : un bon militant est un bon étudiant, ce que je m'emploie à être le plus possible.
Bien sûr, le militantisme a des inconvénients, c'est très gourmand en temps, mais c'est tellement enrichissant ! Je rencontre des tas de gens différents, j'apprends à m'organiser, à argumenter, à convaincre ...

Depuis la mobilisation contre la loi El Khomry, je reconnais que c'est encore plus difficile car je suis très souvent sollicitée. Mais comme je ne veux absolument pas que mon travail scolaire en pâtisse, je me ménage des moments dans mon emploi du temps pour travailler. Le jeudi après midi, je n'ai pas cours, et le dimanche, un jour plutôt tranquille au niveau syndical (il y a rarement des manifs ce jour là), je mets le cap sur la bibliothèque municipale. L'ambiance y est au travail, c'est donc plus facile de se concentrer et de résister à la tentation de répondre au téléphone. Être à la tête d'un syndicat lycéen n'est pas incompatible avec des résultats scolaires corrects. Tout est question d'organisation et de capacité à déléguer. Je ne suis en effet pas toute seule à la FIDL, il y a un vice-président, un bureau national, des militants en région sur lesquels je peux m'appuyer.

Je ne sais pas encore ce que je vais faire plus tard. J'envisage de m'inscrire en licence de géographie pour travailler dans l'environnement ou dans la politique de la ville.
Quant à savoir si je rejoindrai un syndicat étudiant une fois mon bac en poche, c'est trop tôt pour le dire. Aujourd'hui, je suis présidente de la FIDL et me consacre totalement à mes fonctions."

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