Etudiants handicapés : "Le respect de nos droits n'est pas automatique"
ENQUETE. Alors que s'ouvre ce mercredi la 6e Conférence nationale du handicap, l'Etudiant a enquêté sur les difficultés d'accès à l'enseignement supérieur pour les personnes en situation de handicap. De nombreux étudiants disent devoir batailler pour accéder aux études dans des conditions justes. Pour beaucoup, le système d'enseignement supérieur pousse à choisir entre sa santé et ses études.
Depuis sa mononucléose en 2015, Paryss est atteint d'un syndrome de fatigue chronique. Ce handicap l'a obligé à suivre sa licence à distance, puis son master avec des aménagements. Mais cela n'a pas suffi : "J'avais l'impression que ma dose de travail était doublée". En raison de ces difficultés, Paryss a abandonné ses études et vit à présent de l'AAH, l'Allocation adulte handicapé. Il considère que "le système décourage énormément les personnes handicapées de faire des études". Comme lui, de nombreux étudiants interrompent leurs études en raison de leur handicap.
. Elle vise à établir un bilan des avancées et des objectifs en matière de handicap, y compris dans l'enseignement supérieur. Inscrits en grande majorité à l'université, les étudiants handicapés sont de plus en plus nombreux. Selon le ministère de l'Enseignement supérieur, 35.000 personnes handicapées étudiaient à l'université en 2020-21, contre moins de 5.000 en 1990, et moins de 10.000 en 2010.
"Une accumulation de dysfonctionnements pédagogiques"
"Chaque semaine, je dois envoyer des mails pour résoudre des problèmes que je n'aurais pas dû avoir", explique Julie*. Etudiante en L3, elle est atteinte du syndrome d'Ehlers-Danlos et se déplace en fauteuil. Début 2023, elle a contacté la cellule anti-discrimination de son université en raison d'une "accumulation de dysfonctionnements" : discrimination, non-respect des aménagements, et remise en question de sa capacité à réussir.
Lise*, en L3 de lettres modernes à Sorbonne Université, évoque elle aussi une "bataille permanente avec la fac" : "Le respect de nos droits n'est pas automatique." Etant dyspraxique, elle bénéficie d'un tiers-temps pour les examens et compose sur ordinateur, mais "les aménagements sont toujours un peu bricolés, et c'est très stressant." Pour les partiels de janvier, une mauvaise impression de son sujet a ainsi retardé le début de son épreuve.
Ce partiel, c'est Inès, elle-même étudiante, qui a été embauchée pour le surveiller, sans formation préalable. Elle évoque une série de problèmes et inadaptations à certains handicaps. "Des étudiants avaient des croquis à faire alors qu'ils ne pouvaient pas écrire à la main, et une élève malvoyante devait décrire une scène de film." En 2020-21, 83,8% des étudiants handicapés comptabilisés bénéficiaient d'un tiers-temps pour les examens et concours, selon les données ministérielles. Mais les aménagements demandant davantage de moyens et de personnel sont bien moins courants : seulement 20,6% des étudiants avaient droit à une salle particulière, 7,5% à des documents adaptés, et 6,3% à un ou une secrétaire.
Une conseillère handicap à Sorbonne Université, qui souhaite rester anonyme, reconnaît auprès de l'Etudiant que si le service tente toujours de "s'arranger au mieux pour garantir le bon déroulement des examens", il est "parfois difficile" de s'adapter à l'augmentation du nombre d'étudiants handicapés et à la diversité des handicaps. Elle assure que "les choses vont s'arranger sur le long terme", sans pouvoir fournir d'informations précises sur le calendrier ou les moyens affectés à ce projet.
Des difficultés pour faire reconnaître ses besoins voire son handicap
Pour Elisa*, l'accompagnement est entravé par la méconnaissance des personnels, qui ont parfois une "vision misérabiliste" du handicap. Cette étudiante dans une grande école souffre de problèmes neurologiques et d'endométriose. Si elle se déplace actuellement en chaise roulante de façon ambulatoire, son handicap a longtemps été invisible, ce qui a conduit à la remise en question de ses besoins. "On m'a déjà dit que je n'avais pas 'le profil tiers-temps', ou que je n'avais pas l'air handicapée."
En 2022, elle s'effondre de douleur en classe. La grande école où elle étudie n'ayant pas de médecin sur place, elle est laissée seule dans une salle pendant deux heures, malgré les risques. "Mes amies ont dû attendre la fin d'un partiel pour me rejoindre et me payer un taxi pour que je puisse rentrer chez moi", raconte-t-elle.
Le manque de prise au sérieux, Solène le connaît également très bien. Dyspraxique, dyscalculique et atteinte elle aussi d'endométriose, elle souligne la difficulté à faire reconnaître un handicap "sans preuves". "J'ai souvent dû aller en cours avec des douleurs atroces, car j'ai peur de perdre mes bourses en ne venant pas."
Tout comme Elisa*, Julie a connu le handicap invisible puis le handicap visible. "Ça a été le jour et la nuit : maintenant, c'est ma présence à la fac et mes capacités qu'on remet en cause." "Quand on est handicapée, il faut toujours justifier qu'on mérite d'être là", ajoute-t-elle. "À force, je finis par croire que je suis nulle, et ça crée beaucoup d'autocensure."
Locaux inadaptés aux étudiants handicapés
Elle a souhaité intégrer une CPES de sciences humaines au lycée Henri IV, l'un des rares établissements à proposer la formation. Le contact indiqué lui a fait savoir que le lycée n'était "pas adapté pour recevoir des personnes à mobilité réduite" et que c'était "un chantier de long terme ".
Une grande partie des lycées parisiens sont en effet partiellement inaccessibles et les travaux de mise aux normes sont pris en charge par la région Île-de-France. Contactée par l'Etudiant, la région reconnaît que "le défi reste toujours de permettre à des personnes aux handicaps variés et parfois très lourds d’être accueillies dans des locaux souvent anciens, et pour lesquels ces adaptations peuvent être parfois impossibles à court terme." Selon la région, une démarche d’accueil personnalisé peut être mise en place si les parents d'élèves contactent le rectorat.
Un système qui pousse à l'abandon
Lorsqu'ils ont réussi leur premier cycle, les étudiants handicapés sont confrontés à des difficultés pour poursuivre leurs études. Le ministère de l'Enseignement supérieur indique sur son site que les étudiants handicapés "se concentrent en licence et deviennent moins nombreux au fil du cursus universitaire". En effet, parmi les étudiants handicapés inscrits à l'université en 2020-2021, 21,5% suivaient un master et 0,7% un doctorat, contre respectivement 32,6% et 4,5% de l'ensemble des étudiants.
Les professeurs de Julie lui disent par exemple que le master qui lui plaît n'est "pas fait pour elle". On l'encourage plutôt, si elle redouble, à faire une licence à distance, payante et éloignée de son domicile. "Je demande plus d'inclusion, et on me propose l'exclusion", résume-t-elle.
Pour Louise, responsable de l'information du bureau national de la FSE (Fédération Syndicale Etudiante), l'enseignement supérieur mène en effet une politique d'exclusion à l'égard des étudiants handicapés. Les étudiants doivent prendre en charge eux-mêmes les démarches, or "tout le monde n'a pas le temps, les compétences et les connaissances pour se battre".
Hanna, étudiante en première année de CPGE littéraire au lycée Henri Poincaré à Nancy n'a ainsi pas accès à certaines parties du bâtiment et rencontre des problèmes dans les transports. Face à cela, c'est "toujours à [elle] de prendre les devants" pour s'assurer que ses cours, ses concours blancs ou ses déplacements seront adaptés. "Il faut toujours tout prévoir, c'est une grosse charge mentale."
Pire, selon la FSE, cette situation est "une volonté politique" : "On pousse à l'abandon par découragement." Les étudiants seraient incités à intégrer des formations courtes ou très adaptées, voire à se déscolariser. "Pour passer le bac, faire mes vœux Parcoursup, passer des concours, j'ai dû mettre ma santé entre parenthèses, témoigne Elisa*. Beaucoup font le choix inverse et doivent renoncer aux études pour protéger leur santé."
Des contraintes insuffisantes pour les universités ?
Pour la FSE, le système d'enseignement supérieur "ne fait pas des étudiants handicapés une priorité. Les professeurs n'ont pas de formation obligatoire, et les universités ont souvent une mauvaise organisation interne." La FSE demande ainsi un suivi centralisé pour moins de disparités, et "une prise en compte des cas individuels".
Pour établir leurs politiques, les universités se basent sur plusieurs textes législatifs et des guides édités par le ministère. Mais il est difficile de déterminer l'aspect contraignant de ces directives. La charte Université/Handicap du 4 mai 2012 mentionne par exemple dans son article 2 que "chaque établissement élabore sa politique en la matière et en définit les axes stratégiques". Sollicité pour des précisions, le ministère de l'Enseignement supérieur n'a pas répondu.
Cette relative autonomie concerne ainsi l'établissement des politiques et des chartes handicap, mais aussi la répartition des budgets. Cela crée des disparités entre les universités. Ainsi, les établissements où a étudié Solène "ne sont pas au même niveau". Elle salue le service handicap de l'université de Limoges : elle y a accédé aux aménagements demandés "sans avoir besoin de reconnaissance MDPH" (Maison départementale des personnes handicapées), mais a aussi obtenu des aides auxquelles elle ignorait avoir droit, comme un tuteur et une assistance à la prise de notes.